C’est le principe de souveraineté alimentaire, qui est strictement à l’opposé d’une agriculture toujours plus extravertie et, par conséquent, toujours plus exposée aux aléas des marchés européen et mondial.
Une agriculture authentiquement moderne est fondée sur des exploitations agricoles plus économes et autonomes en intrants, qu’il s’agisse de carburant, d’engrais, de pesticides et d’alimentation animale : c’est le concept, effectivement très moderne, d’« agriculture intégrée » : hélas, un tabou pour la Haute Assemblée !
C’est une agriculture qui se diversifie en profondeur, notamment avec la prise en compte de nouveaux systèmes de production agricoles émergents, capables de fournir à une clientèle de proximité des aliments transformés de qualité, élaborés à partir des produits de la ferme.
C’est une agriculture qui produit concomitamment des services à la collectivité en termes d’entretien du milieu, de paysages, de protection des ressources en eau… Ce sont autant d’externalités positives qui doivent être enfin rémunérées correctement.
Chacun aura compris que nous devons inventer une agriculture soutenable : plus autonome, plus riche en emplois, plus centrée sur les marchés de proximité, choisissant – guidée par la sagesse paysanne ! – de valoriser son milieu plutôt que de se contenter de l’exploiter et contribuant ainsi à l’aménagement durable du territoire.
Sur ces enjeux stratégiques, la présente loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche botte purement et simplement en touche !
Elle ignore la souveraineté alimentaire : c’est un tabou de plus pour la majorité présidentielle ! Celle-ci l’a d’ailleurs balayée par le recours légal, mais antidémocratique, au scrutin public !
Le texte ignore tout autant l’autonomie des exploitations agricoles : ce défi concernerait-il de trop près les lobbys de l’agrochimie, promoteurs du leurre que constitue l’« agriculture raisonnée » ?
Il ne prend pas en compte de nouvelles formes d’installation, qui répondraient aux besoins d’une agriculture de proximité, mais qui sont toujours exclues du statut actuel d’exploitant agricole.
Enfin, il n’apporte aucune réponse aux problèmes, pourtant récurrents, de couverture sociale : les injustices au niveau des cotisants solidaires, des retraites et du statut du conjoint perdurent malheureusement.
En revanche, vous semblez fier, monsieur le ministre, d’avoir pu faire valider par le Parlement une « modernisation » qui, pourtant, n’engage en rien la nécessaire mutation de l’agriculture productiviste telle que je l’ai décrite tout à l’heure, mais qui anticipe, pis : entérine l’abandon d’une certaine idée de la politique agricole commune.
La généralisation des contrats, le renforcement de l’interprofession ne sont évidemment pas critiquables en soi, bien au contraire. Mais ils ne peuvent en aucun cas se substituer à l’abandon programmé d’une « ardente obligation », celle de réguler efficacement les marchés agricoles. Nous attendions de la France une autre posture que cette capitulation devant la dérive néolibérale de la politique agricole européenne.
En témoigne l’instauration, pour les producteurs qui en auront les moyens – actuellement subventionnée, mais pour combien de temps encore ? –, de la très anglo-saxonne assurance contre la chute des revenus liée à l’effondrement des prix agricoles.
À ce sujet, je serais curieux, monsieur le ministre, de connaître votre avis sur l’introduction des marchés à terme pour s’accommoder des fluctuations des prix avec, pour corollaire, la certitude de les voir fluctuer encore plus, à l’instar de ce que l’on observe sur les marchés financiers.
Pour conclure, je me dois, hélas ! de dénoncer deux nouvelles trahisons du Grenelle de l’environnement, qui feront plaisir aux lobbys de l’agrochimie et de la frange la plus productiviste de la profession agricole.
La première concerne les préparations naturelles peu préoccupantes, PNPP, dont le célèbre purin d’orties. L’Assemblée nationale avait introduit une excellente disposition visant à publier une liste de PNPP réputées autorisées, à l’instar de ce qui est pratiqué par la plupart des pays de l’Union européenne : leur promotion se trouvait ainsi facilitée dans le strict respect des directives européennes.
La suppression de cette liste par la CMP revient à leur imposer la même procédure d’homologation, financièrement rédhibitoire et techniquement inapplicable que celle qui est prévue pour les pesticides de synthèse. Au-delà des aspects environnementaux et de santé publique, qui doivent nous conduire à diminuer l’usage des pesticides, la compétitivité des produits « bio » français sera pénalisée, alors que notre pays en importe de plus en plus ! Car il faut aussi parler de compétitivité pour les produits « bio ».
La seconde trahison du Grenelle que je veux dénoncer, c’est l’introduction par l’Assemblée nationale d’une disposition – hélas ! validée par la CMP – permettant de simplifier les procédures, notamment d’exonérer d’enquête publique et d’études d’impact l’extension des élevages. Toujours au nom de la compétitivité, elle permettra de faciliter la concentration des élevages industriels porcins. Une telle disposition est franchement ahurissante eu égard à l’exigence de protection et de restauration de la qualité de nos rivières et eaux souterraines et à la prolifération des fameuses algues vertes sur certaines de nos côtes !
Au final, cette loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, telle qu’elle est issue de la CMP, me paraît globalement hors sujet. De plus, elle cautionne implicitement l’abandon d’une PAC digne de ce nom et aggrave, s’il en était encore besoin, le sabordage du Grenelle de l’environnement. C’est tout simplement désespérant !
Votre courtoisie, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, n’y changera rien. Nous ne pouvons cautionner les conclusions de la CMP. Par conséquent, nous voterons contre.