L’article 1er, tel qu’il nous est soumis, contient un solide verrou anti-privatisation. Je trouve cela dommage, car l’efficacité économique et commerciale qui guide le projet de La Poste peut se trouver, à terme, renforcée par des échanges d’actions, des achats d’entreprises, de franchises ou des investissements que seule l’ouverture du capital à des investisseurs privés permettrait de financer.
Il s’agit de ne pas reproduire l’erreur faite par France Télécom au tournant du millénaire. Cette entreprise a procédé à environ 100 milliards d’euros d’achats entre 1999 et 2001, dont 80 % ont été payés cash. Cela a très gravement affecté l’économie du groupe et ses marges de manœuvre durant plusieurs années : en 2002, France Télécom était le groupe de télécommunications le plus endetté du monde. Après une décote de sa valeur du fait de ratios financiers préoccupants, il a fallu procéder à une augmentation de capital en faisant baisser la participation de l’État, d’où il est résulté le prix le plus élevé d’Europe pour le consommateur, ainsi qu’une pression forte sur les salariés.
À l’inverse, on peut tirer un enseignement intéressant de ce qui s’est passé entre les postes danoise et suédoise.
Le 24 juin dernier, la poste suédoise, Posten AB, et la poste danoise, Post Danmark, ont fusionné. Le Danemark avait anticipé en ouvrant 22 % du capital de la poste nationale à CVC Capital Partners – un fonds européen –, facilitant ainsi les opérations de fusion des deux postes. La poste suédoise, quant à elle, était possédée à 100 % par l’État. Mais contrairement à ce qu’il est actuellement question de faire en France, la loi suédoise n’avait pas interdit l’entrée de fonds privés dans le capital de Posten AB, si bien que juridiquement la fusion a été possible.
Le nouvel opérateur né de ce mariage, Posten Norden AB, atteignant une taille critique, a ainsi pu reprendre une place de quasi-exclusivité sur le marché scandinave, alors que des opérateurs privés taillaient des croupières aux deux opérateurs séparés. Inutile de préciser que les 50 000 salariés concernés sont assurés d’un futur plus radieux et que les capacités d’investissement de Posten Norden AB lui permettent de garder sa place de pionnier du service postal en Europe, aux dires des postiers français.
Voilà le paradigme économique que l’on ne pourra pas réaliser en verrouillant le capital de La Poste, comme le prévoit le présent projet de loi.
Mais au-delà de cette logique économique, je voudrais vous faire part, mes chers collègues, de ma seconde grande incompréhension, cette fois à l’égard des propos de mes collègues de l’opposition : depuis quand l’exécution d’une mission de service public est-elle l’apanage de la seule personne publique ? L’ouverture d’une partie du capital des investisseurs privés n’entache pas, a priori, la qualité de l’exécution des obligations de service public de La Poste.