Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Réunion du 17 juin 2008 à 10h00
Conseil européen des 19 et 20 juin 2008 et présidence française de l'union européenne — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga :

Tout d’abord, le projet d’Union pour la Méditerranée sera-t-il l’un des points forts de la présidence française de l’Union européenne ?

Nous souhaitons avec vous, monsieur le secrétaire d’État, la réussite dans cette partie du monde de projets pragmatiques menés avec persévérance. Toutefois, notre inquiétude concerne la méthode suivie par la France ; nous craignons qu’elle ne soit pas la bonne.

Au départ, l’unilatéralisme de la France a en effet suscité une méfiance générale parmi les Européens et du scepticisme, voire un rejet violent, chez tels chefs d’État du Sud, dont les peuples sont bâillonnés, ce qui fait que nous ne savons rien de leur opinion.

Aujourd’hui, le projet d’Union pour la Méditerranée ne se réduit-il pas à une relance à grand spectacle du processus de Barcelone, alors qu’il pourrait être porteur d’espoir ? Mais pour cela, il faudrait que les causes de l’échec du processus de Barcelone aient été analysées et que l’on y ait remédié. C’est loin d’être le cas !

Les pays que nous prétendons rassembler autour d’un projet commun sont trop divisés, sur le plan interne et entre eux, leurs intérêts divergent trop d’avec les nôtres, nous sommes trop divisés nous-mêmes pour qu’une instance supplémentaire réussisse là où le processus de Barcelone a échoué, alors que les circonstances sont beaucoup moins favorables qu’au lendemain des accords d’Oslo.

J’évoquerai à cet égard quelques obstacles, quelques interrogations.

Comment inspirer confiance à la fois aux autocrates et aux peuples dont ils contrarient l’aspiration à une réelle citoyenneté ? Nos ambiguïtés diplomatiques ont un coût pour nous !

Comment persuader l’innombrable jeunesse de la rive sud que nous prétendons établir avec les pays où elle vit des relations d’égalité et de parité, pour reprendre vos propres termes, monsieur le secrétaire d’État, au moment même où l’Union européenne prépare des moyens juridiques communs pour lui fermer ses portes ?

Notre crédibilité est aussi atteinte par notre refus de regarder les réalités en face. Comment réunir dans le même projet l’Algérie et le Maroc, opposés à propos du Sahara occidental et incapables de s’entendre sur le tracé de leur frontière ? Comment faire travailler sur des projets communs Chypre et la Turquie, le Liban et la Syrie ? Comment faire accroire à la Turquie que ce projet n’est pas un moyen de dissoudre sa demande d’adhésion dans un vague ensemble ? Comment, surtout, réunir les Palestiniens et les Israéliens alors que la colonisation accélérée de la Cisjordanie et le siège de Gaza ruinent toute illusion de paix, même dans l’esprit de Condoleezza Rice ?

Nous sommes là au cœur de l’échec du processus de Barcelone, monsieur le secrétaire d’État, et voilà que l’Union européenne, à la veille de la présidence française, annonce ce qui se négociait sous la table depuis mars 2007 : l’approfondissement du partenariat entre l’Union européenne et Israël, c’est-à-dire l’octroi d’un statut de quasi-membre de l’Union à ce pays sans qu’aucune des conditions posées, qu’il s’agisse du respect des conventions internationales dans les territoires palestiniens militairement occupés, du respect des résolutions de l’ONU ou de la mise en œuvre de la feuille de route, soit remplie ! Avons-nous oublié les exigences, concernant tant leurs relations avec leurs voisins que le traitement de leurs minorités, auxquelles l’Union soumet les nations qui sollicitent l’adhésion ?

La France, qui s’apprête à présider l’Union, devra cesser de prendre des initiatives diplomatiques désordonnées et incompréhensibles pour ses partenaires, qui nous valent beaucoup d’inimitiés.

Un jour, tel dirigeant est placé au banc d’infamie ; le lendemain, il est invité à assister dans la tribune d’honneur au défilé du 14-Juillet : qui y comprend quelque chose ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion