Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 22 décembre 2005 à 9h30
Lutte contre le terrorisme — Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce ne sera certainement pas une surprise pour vous : le texte issu de la commission mixte paritaire ne nous convient pas plus que le projet de loi initial. En effet, son esprit reste resté inchangé, et il fait peser une lourde menace sur les libertés individuelles.

Que le Gouvernement veuille prévenir tout acte de terrorisme contre notre pays, quoi de plus responsable ? Pour autant, cela doit se faire exclusivement dans le cadre de l'État de droit, de la démocratie et des droits de l'homme. C'est ce postulat qui doit donc guider l'action de tout gouvernement et imposer de s'attaquer de manière pertinente à cette négation de l'humanité que constitue le terrorisme.

À cette fin, doit-on privilégier les mesures sécuritaires, nécessitant de multiples modifications de la loi pénale qui fragilisent un peu plus l'édifice de nos libertés fondamentales, ou les mesures permettant de limiter en amont l'action des groupes terroristes ?

Nous penchons, bien évidemment, pour la seconde option. C'est malheureusement la première qu'a choisie le Gouvernement avec ce texte.

Toutes les mesures qu'il préconise présentent deux points faibles. D'une part, elles ne seront pas efficaces pour empêcher un acte terroriste et, d'autre part, en se situant exclusivement dans une logique de police administrative, elles restreignent dangereusement les libertés individuelles.

Tel est le cas de la vidéosurveillance : elle intervient a posteriori et servira, au mieux, à identifier les auteurs d'un attentat, mais elle ne servira pas à démanteler des réseaux et à remonter jusqu'aux commanditaires de ces actes odieux et barbares.

Les organisations terroristes n'ont que faire de la vidéosurveillance, nous le savons bien depuis les attentats de Londres. En revanche, les honnêtes citoyens n'échapperont pas à ce regard indiscret et permanent qui portera atteinte à leur liberté d'aller et venir librement et au respect de leur vie privée.

Ainsi, des dispositions qui étaient encore aujourd'hui un tant soit peu encadrées ne le seront plus du tout. Les agents qui mèneront des actions de police administrative à des fins préventives, et donc sans le contrôle d'un juge, auront les mêmes prérogatives que ceux qui mènent actuellement les actions de police judiciaire, ciblées et ponctuelles.

Cet élargissement des pouvoirs de police administrative a évidemment pour contrepartie d'affaiblir les libertés individuelles de nos concitoyens.

La procédure d'urgence aggrave cette situation en écartant ni plus ni moins la commission départementale, celle-ci ne pouvant se prononcer qu'après la pose de systèmes de vidéosurveillance.

Nous sommes au regret de constater que la France succombe à la tentation de faire prévaloir la logique administrative - et par conséquent politique - sur la logique judiciaire, primauté lourde de danger s'agissant de la présomption d'innocence et du principe de légalité.

Toutes les mesures prévues par le projet de loi et qui, sous couvert de prévention du terrorisme, se situent dans le cadre d'actions de police administrative, seront donc appliquées sans contrôle du juge judiciaire.

C'est évidemment regrettable eu égard au respect des droits fondamentaux de nos concitoyens : je fais ici référence à l'extension des contrôles d'identité dans les trains transnationaux, aux interceptions et à l'accès à des données relatives aux communications électroniques, à la constitution de fichiers concernant les étrangers qui voyagent, aux possibilités de contrôler et de photographier, en tout point du territoire, les occupants de véhicules, ou enfin à la consultation de multiples fichiers par des agents de la police et de la gendarmerie nationales.

Les mesures relatives à l'aggravation des peines, à la déchéance de la nationalité ou encore à la garde à vue, ne parviennent pas à nous convaincre davantage.

Le Gouvernement nous présente la plupart de ces dispositions comme étant exceptionnelles et applicables jusqu'au 31 décembre 2008 seulement. Nous sommes malheureusement habitués à ce que l'exceptionnel devienne pérenne, et cela ne nous encourage guère à donner un blanc-seing au Gouvernement lorsque autant de droits fondamentaux se trouvent ainsi remis en cause.

Toutes les mesures exceptionnelles prévues par les textes passés pour une période donnée - sans exception, si je puis dire - ont été reconduites, voire entérinées. Dès lors, comment vous faire confiance aujourd'hui ? Nous n'avons pas beaucoup d'illusion à ce sujet !

Toutes ces mesures seront d'une efficacité très limitée en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, tout en portant atteinte aux libertés. L'équilibre entre liberté et sécurité est ainsi rompu. C'est le premier motif qui nous conduit à rejeter catégoriquement ce texte.

Même si les dispositions du texte sur le gel des avoirs se situent dans la logique de la lutte contre le terrorisme, elles n'interviennent qu'une fois que l'attentat est commis et que ses auteurs sont éventuellement arrêtés et jugés. Encore faut-il, en effet, que la police ait pu retrouver et appréhender les terroristes, sans parler du fait qu'ils aient pu mourir lors de l'attentat !

C'est pourquoi nous avions fait des propositions en matière de lutte contre le blanchiment de l'argent sale et en faveur d'une plus grande transparence des transactions financières.

Nous regrettons que la commission et le Gouvernement n'aient pas compris l'intérêt de telles propositions concernant la lutte contre le terrorisme. Il est pourtant évident que les réseaux terroristes prospèrent et perdurent grâce au blanchiment de capitaux, à l'existence de pays reconnus pour leur législation insuffisante ou leurs pratiques faisant obstacle à la lutte contre ce blanchiment, et qui représentent de magnifiques paradis fiscaux pour ces réseaux.

Les propositions du Gouvernement en la matière ne vont malheureusement pas aussi loin, puisqu'elles ne concernent que le gel des avoirs et n'ont donc qu'une incidence minime sur le financement du terrorisme.

En cela, le projet de loi ne répond finalement pas à la lutte contre le financement des réseaux terroristes, qui devrait être prioritaire.

Cette absence de volonté du Gouvernement dans la lutte contre le blanchiment de capitaux constitue notre second motif de rejet de ce texte, qui se révèle être purement et simplement un texte d'affichage.

Le Gouvernement veut essayer de démontrer aux Français qu'il entend lutter contre le terrorisme, et il utilise à outrance l'effet d'annonce. Il est même prêt à aller très loin pour cela, et c'est sans doute ce qui explique l'amalgame effectué à plusieurs reprises dans ce texte entre terrorisme et immigration.

Le Gouvernement pratique également depuis bientôt quatre ans l'amalgame entre les différentes mesures sécuritaires. Toutes les lois précédentes modifiant le code pénal et le code de procédure pénale ont ceci en commun : elles présentent toutes un catalogue de dispositions sécuritaires disparates qui n'ont, par définition, pas de lien entre elles.

Nous en avons encore l'exemple avec ce texte, dans lequel ont été introduites des dispositions relatives à l'interdiction de pénétrer dans une enceinte sportive, ou encore avec l'autorisation donnée aux personnels de la police nationale de faire usage de leur arme pour immobiliser un véhicule.

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