Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi vise à modifier le code pénal ainsi que le code de procédure pénale afin d’atténuer la responsabilité pénale des personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits. Ce texte résulte du travail approfondi mené par les sénateurs Jean-René Lecerf, Gilbert Barbier et Christiane Demontès dans le cadre du groupe de travail sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions, dont le rapport d’information est intitulé « Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? »
Depuis plusieurs années, notre droit pénal a considérablement évolué pour mieux prévenir la lutte contre la récidive et prévoir des obligations de soin pour les personnes présentant des troubles psychiatriques et ayant commis des crimes ou des délits. Je pense notamment au suivi socio-judiciaire prévu par la loi du 17 juin 1998, à la surveillance judiciaire instituée par loi du 12 décembre 2005 et à la surveillance de sûreté issue de la loi du 25 février 2008.
Plus globalement, le Gouvernement, en particulier le ministère de la justice, s’est fortement intéressé à la question de la délinquance et du trouble mental puisque plusieurs lois adoptées au cours de la présente législature prennent en compte ce phénomène. Je citerai, à cet égard, les deux lois les plus récentes : celle du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, que je viens de mentionner, ainsi que celle du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale. De son côté, la loi pénitentiaire n’avait pas pour objet de traiter du trouble mental en détention, mais ce texte important a toutefois permis de consacrer les droits des détenus et les devoirs de l’administration pénitentiaire.
L’article 1er de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à inscrire à l’article 122-1 du code pénal une réduction automatique de peine, à hauteur d’un tiers de la peine encourue, pour les personnes dont le discernement était altéré au moment des faits.
Ce dispositif, qui diffère de la problématique de l’irresponsabilité pénale, vise à prendre en compte la situation particulière de l’altération du discernement. Actuellement, l’équilibre du dispositif laisse à l’appréciation du juge la détermination du quantum de la peine.
La prise en compte de la situation particulière d’altération du discernement est inscrite de longue date dans notre droit. Le principe fondamental d’individualisation de la peine est essentiel afin d’adapter la peine à la situation particulière du délinquant.
Le dispositif actuel est équilibré en ce qu’il permet de différencier, par exemple, le kleptomane, qui souffre d’un trouble de la volonté et bénéficie le plus souvent d’une diminution de peine en application de l’article 122-1, alinéa 2, du code pénal, et le pyromane, qui souffre également d’un trouble de la volonté et relève donc lui aussi de cette même disposition, mais qui, compte tenu de sa dangerosité, sera en général sanctionné plus sévèrement.
Toutes les lois récemment adoptées témoignent de ce que le législateur entend faire preuve d’une plus grande sévérité à l’encontre des personnes atteintes de troubles mentaux, tout en favorisant la prise en charge médicale de ces derniers.
Cette proposition de loi, en remplaçant l’appréciation souveraine des juridictions par la réduction du tiers de la peine encourue, remet donc en cause l’équilibre de l’article 122-1 du code pénal et va à l’encontre de l’œuvre du législateur depuis l’adoption dudit code.
Elle semble également aller à l’encontre de l’appréciation du Conseil constitutionnel, qui, dans une décision du 9 août 2007 sur les peines planchers, rappelait que « le principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789, ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions ; qu’il n’implique pas davantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction ». Les Sages en concluaient que les dispositions de l’article 122-1 du code pénal, « même lorsque les faits ont été commis une nouvelle fois en état de récidive légale, […] permettent à la juridiction de prononcer, si elle l’estime nécessaire, une peine autre que l’emprisonnement ou une peine inférieure à la peine minimale ».
Par conséquent, il est tout à fait manifeste que, pour le Conseil constitutionnel, l’atténuation de la responsabilité n’a pas pour conséquence d’entraîner obligatoirement une diminution de peine, par nature contraire au principe d’individualisation de la peine. Prévoir une réduction automatique conduirait à rigidifier le dispositif, alors que de telles situations requièrent une analyse au cas par cas.
Aux termes de la présente proposition de loi, les criminels les plus dangereux, et ceux qui ont commis les faits les plus atroces, ne pourront plus être condamnés à la peine maximale encourue si l’on considère, ce qui est souvent le cas, qu’ils ne sont pas totalement indemnes d’une pathologie mentale. En effet, dès lors que la loi affirmera que l’altération du discernement a pour conséquence une diminution de peine, la question du trouble mental de l’accusé deviendra ainsi un enjeu primordial de défense.
Par exemple, dans l’affaire du meurtre du petit Valentin Cremault, tué dans le département de l’Ain au mois de juillet 2008 par Stéphane Moitoiret, une réduction de peine d’un tiers serait certainement prononcée en raison de l’altération du discernement de l’individu.
L’opinion publique acceptera donc difficilement une telle réforme.
Prenons garde aux solutions qui remettent en cause la philosophie profonde de notre droit pénal en automatisant les sanctions.
Dans son article 2, la proposition de loi envisage de modifier également le régime de la peine pour les personnes atteintes au moment des faits d’une altération du discernement. Le texte prévoit un régime plus systématique et plus strict d’obligation de soins, afin d’assurer un traitement adapté aux auteurs d’infractions souffrant de troubles mentaux. C’est pourquoi il impose au juge d’assortir systématiquement le sursis avec mise à l’épreuve d’une obligation de soins et prévoit le retrait des réductions de peine en cas de refus de soins.
Une telle préoccupation retient toute l’attention du Gouvernement, car il est bien évident que la persistance des troubles et l’absence de prise en charge médicale adaptée constituent autant de risques de récidive. Elles sont aussi un frein à la réinsertion.
Mais il faut veiller à définir des solutions réellement efficaces et proportionnées et, à cet égard, le caractère systématique du dispositif paraît inadapté.
Certes, la commission des lois, consciente de la nécessité pour le juge d’adapter le régime de la peine et de prendre en compte l’infinie variété des situations individuelles, a souhaité qu’une telle mesure soit tempérée. Mais, dans certains cas, l’obligation de soins ne sera d’aucune utilité.
C’est pourquoi la commission des lois prévoit l’avis préalable d’un médecin, qui permettra éventuellement au juge de ne pas assortir le sursis avec mise à l’épreuve d’une obligation de soins lorsque cette dernière s’avère inutile.
Cependant, même ainsi amendée, cette disposition pose d’autres difficultés juridiques et pratiques.
Tout d’abord, la proposition de loi ne prend pas en compte les évolutions législatives essentielles de ces dernières années, comme le régime de suivi socio-judiciaire avec injonction de soins ou la rétention de sûreté.
Par ailleurs, le texte proposé inclut également dans le dispositif l’injonction thérapeutique, qui concerne des situations très particulières, telles que l’usage de stupéfiants ou la consommation habituelle et excessive d’alcool. Il conviendrait donc a minima de limiter la portée de la disposition en ne se référant qu’à l’obligation de soins.
Vous proposez que le juge de l’application des peines puisse revenir sur les réductions de peine prévues lorsque la personne détenue refuse les soins. À première vue, cette solution paraît efficace pour s’assurer d’un traitement réel des condamnés.
Toutefois, on ne peut pas mettre sur un même plan le traitement, dans le cadre de la peine, du trouble mental directement lié à l’origine de l’incarcération et le traitement en détention des troubles mentaux des délinquants ; imaginons par exemple le cas d’un kleptomane qui serait incarcéré pour viol.
Il est exact que certaines pathologies, parce qu’elles ont entraîné des faits graves, doivent être traitées dans le cadre de la peine. Ainsi, les juridictions peuvent assortir le suivi socio-judiciaire d’une injonction de soins.
Il faut cependant préciser plusieurs éléments.
D’abord, l’injonction de soins ne peut être prononcée que s’il est établi par une expertise médicale que la personne poursuivie est susceptible de faire l’objet d’un traitement.
Ensuite, cette injonction n’est pas applicable en tant que telle en détention, car il serait inefficace et contraire à la déontologie médicale d’imposer, sous peine de sanctions, des soins à une personne déjà privée de liberté.
Enfin, l’individu ne fait l’objet que d’incitations à suivre ces soins dans des établissements adaptés, son refus étant considéré comme le signe qu’il ne manifeste pas des efforts sérieux de réadaptation sociale ouvrant droit aux réductions de peine supplémentaires.
Le mécanisme proposé est donc plus sévère que celui résultant du suivi socio-judiciaire avec injonction de soins, alors même que cette peine est prévue pour les infractions les plus graves.
Tout autre est la question du traitement en détention des troubles mentaux des personnes incarcérées. Celles-ci ont droit à des soins dans tous les types d’établissement et ne peuvent pas être contraintes, en dehors de l’hypothèse d’une décision d’hospitalisation d’office prise en cours d’exécution de la peine, à suivre ces soins, sous peine de sanctions.
Les dispositions relatives aux sorties de détention qui figurent dans l’article 3 de la proposition de loi nous paraissent également conduire à une confusion entre irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental et atténuation de responsabilité pour cause de trouble mental.
En effet, il est proposé de régler la question de la sortie de détention des délinquants au discernement altéré dans la partie relative aux mesures de sûreté pouvant être ordonnées en cas de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Ces propositions opèrent une judiciarisation des soins des troubles mentaux. Le juge de l’application des peines, hors le cadre d’une peine ou d’une mesure de sûreté prononcée par une juridiction de jugement, pourra imposer des soins et diverses obligations, sous la contrainte.
Cela va à l’encontre, d’une part, des dispositions de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation et, d’autre part, des exigences constitutionnelles en la matière, telles qu’elles ont été rappelées dans une décision du 26 novembre 2010 par le Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité.
En outre, la seule possibilité de recours contre pareille décision relève du juge des libertés et de la détention, qui est compétent pour statuer sur les demandes de mainlevée des hospitalisations d’office à la demande d’un tiers ou sur celles qui sont ordonnées par le préfet.
Dans le cadre de cette peine, des interdictions similaires à celles qui figurent à l’article 706-136 du code de procédure pénale peuvent donc être prononcées – elles peuvent également l’être dans le cadre des aménagements de peine ou d’une libération conditionnelle – sans qu’il soit aucunement nécessaire d’étendre les dispositions de cet article aux personnes dont le discernement est altéré.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement est donc défavorable à l’ensemble des dispositions de cette proposition de loi, que je ne peux que vous inviter à rejeter en l’état, mesdames, messieurs les sénateurs. En outre, les amendements déposés sur ce texte ne me paraissent pas de nature à modifier la position que je viens de vous exposer.