Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 25 janvier 2011 à 14h30
Responsabilité pénale des personnes atteintes d'un trouble mental — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Madame la secrétaire d'État, votre intervention m’a quelque peu étonnée. Vous n’avez même pas abordé un sujet qui préoccupe, semble-t-il, beaucoup de sénateurs : aujourd'hui, le nombre de détenus atteints de troubles mentaux est non seulement très important, mais en augmentation ! Une telle omission est fort regrettable, notamment de la part d’une secrétaire d’État chargée de la santé !

Selon M. le rapporteur, le taux de détenus atteints de troubles graves serait de 10 %, une proportion que certains jugent sous-évaluée. Ainsi, dans une enquête réalisée en 2005, le docteur Betty Brahmy, responsable du service médico-psychologique régional de Fleury-Mérogis, avançait les chiffres de 20 % chez les hommes et de 30 % chez les femmes !

L’autre constat est que le nombre de personnes atteintes de troubles mentaux et incarcérées, jadis constant, ne cesse de croître année après année. C’est évidemment lié à l’augmentation du nombre de détenus, aux évolutions législatives intervenues depuis des années et à la politique pénale menée au cours des dix dernières années. À en croire ce qui vient d’être indiqué, celle-ci n’a eu de cesse de promouvoir l’individualisation des peines. En réalité, elle a surtout eu pour conséquence d’aggraver la situation dans les prisons.

De mon point de vue, et une large part des membres de mon groupe partage mon analyse, une telle situation est principalement liée à la mauvaise application de l’article 122-1 du code pénal, qui opère une distinction entre les personnes dont le discernement a été « aboli » – elles sont déclarées irresponsables – et celles dont le discernement a seulement été « altéré ». Nous le savons, ce phénomène s’explique plus par une volonté d’affichage politique vis-à-vis de l’opinion que par un souci de répondre à des problèmes réels.

Aujourd'hui, on constate un double mouvement. L’altération est devenue la règle, et l’abolition l’exception. De plus en plus de malades atteints de pathologies psychiatriques importantes sont renvoyés devant les tribunaux.

Comme l’ont indiqué les sénateurs qui m’ont précédée, la notion d’« altération », qui devait initialement jouer en faveur d’un allégement et d’un aménagement de la peine, donc d’une individualisation, est progressivement devenue un facteur d’aggravation ! Car, nous dit-on, que faire de l’individu si on ne le met pas en prison le plus longtemps possible ?

Nous voilà donc bien loin de l’esprit de la réforme adoptée en 1990. En théorie, il s’agissait de permettre à une personne atteinte d’un trouble passager au moment de la réalisation d’un crime ou d’un délit de disposer d’un procès, afin de lui permettre de prendre conscience de son acte, mais également de l’aider à trouver la voie de la guérison, ce qui ne saurait être le cas si elle est incarcérée pour de longues années !

Autre facteur notable d’aggravation, les évolutions législatives intervenues sur l’initiative de votre famille politique, madame la secrétaire d’État ! Elles se caractérisent par une assimilation, qui n’est pas sans risque, entre trois notions très différentes : la maladie mentale, la responsabilité pénale et la dangerosité, voire la « dangerosité présumée » !

Cet amalgame, qui joue, notamment, sur la peur de nos concitoyens permet de faire adopter des lois reposant sur l’émotion et de justifier des mesures très dangereuses pour les libertés publiques ; je pense particulièrement à la rétention de sûreté.

Dans un contexte marqué par une défiance du pouvoir politique à l’égard du pouvoir judiciaire, pouvoir judiciaire que les plus hauts responsables de l’État n’ont de cesse de taxer de laxisme, même si aujourd'hui le discours de la Chancellerie est revu pour faire mine de défendre les magistrats contre les parlementaires, et sont prêts à sanctionner et à livrer à la vindicte populaire, comment s’étonner que les magistrats et les jurés préfèrent opter pour l’altération du discernement, qui envoie en prison, et pour une aggravation de la peine que pour l’abolition du discernement ?

De la même manière, la rétention de sûreté, qui n’est rien d’autre que la possibilité d’enfermer à vie et sans jugement des personnes déjà condamnées, aura immanquablement pour effet de replonger dans le milieu carcéral d’anciens détenus condamnés par le passé, y compris en raison de l’application contestée de l’article 122-1 du code pénal.

Enfin, comment ne pas souligner que la procédure de comparution immédiate joue en la défaveur des personnes souffrant de troubles mentaux ? Sa rapidité, le peu de temps laissé aux avocats de la défense pour constituer leurs dossiers et établir un véritable dialogue avec leur client, la nature de la procédure qui n’est pas propice à l’expression des souffrances psychiques ainsi que le caractère non suspensif des demandes d’expertises psychologiques, tout conduit à faire entrer au fur et à mesure l’ensemble de ces pathologies dans les prisons de notre pays. Même s’il est vrai que dans l’immense majorité des cas les peines prononcées en comparution immédiate sont de courte durée, il n’en demeure pas moins que des personnes dont l’état psychique aurait nécessité une prise en charge médicale sans délai, laquelle aurait peut-être permis une réinsertion rapide, se retrouvent en milieu carcéral.

Enfin, comment ne pas souligner que la situation carcérale actuelle est elle-même un élément pathogène ? La surpopulation carcérale accroit le nombre des personnes qui, peu à peu, se mettent à présenter des troubles mentaux, ce qui augmente les difficultés des personnels et des détenus. C’est un problème sur lequel nous devons nous interroger même si le débat est difficile, comme nous avons pu le constater lors de l’examen de la loi pénitentiaire.

La proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui a le mérite de poser le problème de l’application de l’article 122-1 du code pénal et de prendre en compte l’atténuation du discernement.

Toutefois, l’article 2 de ce texte renvoie à l’application de dispositifs de droit commun et s’inscrit dans une démarche d’enfermement carcéral puisque, en l’état actuel, les dispositifs de soins psychiatriques sont insuffisants ou inadéquats pendant et après l’incarcération. Cette proposition de loi n’est donc pas de nature à corriger le manque de cohérence de la politique pénale, carcérale et psychiatrique actuelle.

Le discours que vous venez de prononcer, madame la secrétaire d'État, souligne l’incohérence et les contradictions de votre politique. Il est proposé de renvoyer en prison des personnes dont l’altération de responsabilité a été reconnue pour non-observation d’injonctions sociales ou médicales, tout particulièrement médicales avec l’obligation de soin, alors qu’il leur est difficile, leur jugement étant altéré, de bien comprendre, d’une part, le sens de la peine, ce qui renvoie à l’atténuation au lieu de l’abolition, et, d’autre part, la nécessité de se soigner. L’efficacité des soins est donc douteuse. Nous sommes en plein dans la contraction.

J’ai déposé un amendement qui ne sera pas examiné aujourd'hui, car il a été déclaré irrecevable par la commission des finances. Cet amendement visait à substituer aux peines de prison infligées en cas de non-respect de l’obligation de soin un accueil au sein d’établissement adapté à la pathologie. On peut objecter à cet amendement que ces établissements n’existent pas et qu’il faut les créer. Néanmoins, je viens d’apprendre que la commission des finances a approuvé sur la proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir un amendement, je le dis d’autant plus volontiers que je n’en suis pas signataire, aux termes duquel « toute personne, dont l’état le requiert et qui le demande, a un droit universel d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. Chaque département français est pourvu d’unités de soins palliatifs en proportion du nombre de ses habitants. » En quoi mon amendement serait-il irrecevable si celui de M. Maurey est retenu ? Je demande donc que mon amendement soit examiné par notre assemblée !

En tout état de cause, cette proposition de loi constitue au moins une réponse pour celles et ceux qui, atteints de troubles mentaux temporaires au moment de la commission des faits, subissent une incarcération en lieu et place d’un suivi médico-social qui serait plus pertinent. J’ai beaucoup réfléchi. La logique voudrait que je m’abstienne de voter ce texte, mais il présente le mérite de poser le problème et de reconnaître que l’on ne peut continuer à envoyer des personnes malades en prison pour des périodes indéfinies. Je voterai donc cette proposition de loi.

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