Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 25 janvier 2011 à 14h30
Responsabilité pénale des personnes atteintes d'un trouble mental — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer nos collègues Jean-René Lecerf, Gilbert Barbier et Christiane Demontès, qui ont pris une initiative heureuse en déposant cette proposition de loi, poursuivant le travail de réflexion engagé avec Jean-Pierre Michel sur le problème de la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux.

C’est l’honneur du Parlement de mettre en lumière un dossier difficile, peu médiatique, qui touche quantité de familles françaises. Il est aussi symbolique de noter que les dix-huit lois dont nous avons débattu en matière pénale depuis huit ans ont sciemment jeté un voile sur cette question, à l’exception de la loi du 25 février 2008, qui ne s’est préoccupée, dans ce domaine, que de rendre plus difficile la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de troubles mentaux. Je pourrais ainsi résumer cette attitude : « Cachez en prison ces malades que nous ne voulons pas voir ! »

Le législateur de 1810 avait, à l’article 64 du code pénal, reconnu l’irresponsabilité pénale en cas d’état de démence au moment des faits. Ce système était trop manichéen et plusieurs améliorations successives ont permis de faire évoluer l’application de la sanction : avec l’introduction des circonstances atténuantes en 1824 et 1832 ; avec la jurisprudence de la Cour de cassation posant, en 1885, le principe de l’atténuation des peines en cas d’altération du discernement ; avec la circulaire Chaumié de 1905 étendant ce principe aux personnes reconnues responsables de leurs actes tout en présentant un trouble mental.

La notion de démence ne prenant pas en compte l’ensemble des troubles mentaux modifiant le comportement, le législateur, en 1992, a distingué, à l’article 122-1 du nouveau code pénal, l’irresponsabilité découlant de l’abolition du discernement en raison du trouble mental et l’atténuation de la responsabilité en raison de l’existence d’un trouble mental altérant le discernement ou entravant le contrôle des actes.

Nous savons tous que l’application de cet article 122-1, qui a maintenant vingt ans, a posé de nombreux problèmes. Tout d’abord, on relèvera que l’abolition du discernement a été rarement reconnue, pas davantage que la démence. L’analyse de la jurisprudence, confirmée par les auditions des magistrats et des avocats, permet de constater, selon l’excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Michel, que « l’altération du discernement représente souvent un facteur d’aggravation de la peine », en particulier devant les cours d’assises, en raison des inquiétudes compréhensibles du jury. Celui-ci estime le plus souvent que, si la prison ne permet pas de soigner le condamné, la protection de la société prime et justifie de l’incarcérer le plus longtemps possible. Cette confusion de la dangerosité du délinquant et de la responsabilité pénale n’est pas souhaitable ni sur la forme ni sur le fond.

Il faut avoir vécu des audiences de cour d’assises – en présence, de surcroît, des victimes ou des familles de victimes justement éplorées – pour se rendre compte que, plus l’acte commis est grave, plus la notion de personnalisation de la peine s’estompe par rapport au spectre de la récidive. Cette tendance paraît d’autant plus évidente, depuis un quart de siècle, avec le tirage au sort total des jurés sans présélection et, surtout, le développement du discours sécuritaire. Les magistrats français ne sont pas laxistes, loin s’en faut, mais ils doivent souvent freiner des jurés formés par les journaux télévisés à la répression primaire.

À ce niveau du débat et après avoir parcouru attentivement le rapport, notamment les observations incluses de Jean-Pierre Michel et du président Jean-Jacques Hyest rappelant que des personnes sont condamnées à de lourdes peines de prison « afin de protéger la société alors que leur place est en établissement psychiatrique », il est clair que, devant les cours d’assises, les réactions des jurés populaires sont pour beaucoup à l’origine de ces dérives.

Face à un tel constat, n’est-il pas déraisonnable d’avoir le projet d’introduire des jurés populaires devant les tribunaux correctionnels ? Nous aurons certainement l’occasion de reparler de cette question… L’utilisation de la justice et des problèmes de délinquance à des fins médiatiques et électorales n’est jamais opportune ! De la même façon, le rapport note très justement que l’expertise psychiatrique n’est pas obligatoire en matière délictuelle et qu’elle est le plus souvent inexistante dans les toujours plus nombreuses procédures d’urgence.

Prison et troubles mentaux relèvent de deux problématiques différentes auxquelles notre société est confrontée : il y a, d’une part, les troubles mentaux qui ont un rôle dans la commission de l’infraction et/ou dans l’appréciation de la peine et, d’autre part, la prison elle-même comme facteur de déclenchement des troubles mentaux préexistants ou nouveaux – je pense en particulier aux addictions. Malheureusement, l’incarcération est aujourd’hui davantage un moyen de mise à l’écart de la société qu’un moyen de réinsertion et de lutte contre la récidive.

La proposition de loi qui nous est soumise constitue donc un pas positif afin d’améliorer la situation en remédiant à certains errements actuels. La modification de l’article 122-1 du code pénal et la réduction d’un tiers de la peine privative de liberté encourue sont autant de signes à destination des juridictions, qui conserveront néanmoins un large pouvoir d’appréciation. Certes, on peut s’interroger sur le fait que l’altération du discernement n’est pas toujours significative d’une perte de conscience de la gravité du comportement, encore plus lorsqu’elle est la conséquence de conduites addictives. Mais, d’une manière générale, il n’est pas sain que la reconnaissance de l’altération du discernement entraîne l’augmentation de la durée d’emprisonnement.

Enfin, cette proposition de loi conforte l’obligation de soins et sanctionne son refus. Nous y sommes favorables. Ce dernier point nous entraîne vers une autre question fondamentale, au niveau tant de la réalisation des expertises judiciaires que des soins en détention ou du suivi postérieur de l’obligation de soins : la question de la présence du psychiatre. D’où notre inquiétude face à l’insuffisance du nombre de psychiatres, à la désertification de nombre de territoires à ce niveau et à la diminution des lits de psychiatrie. Oui, la France manque globalement de psychiatres et ces derniers ont tendance à se regrouper autour des centres hospitaliers universitaires et dans le sud du pays ! Or nous connaissons le travail considérable accompli par les équipes psychiatriques, en particulier dans les plus petites maisons d’arrêt : il permet de limiter le nombre de suicides et de favoriser les soins et la réinsertion. La création de dix-sept unités d’unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, ne permettra pas de faire face à la diversité des problématiques présentées par tous les détenus. Pas de psychiatres, pas d’expertises, pas de soins, tel est donc l’enjeu des prochaines années !

En conclusion, j’annonce que nous voterons unanimement cette proposition de loi, qui constitue incontestablement un progrès mais en appelle d’autres ; c’est une question tant de sécurité que d’humanité !

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