Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi fait suite au rapport « Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? », établi par le groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des affaires sociales. Je tiens d’ailleurs à remercier aujourd’hui notre collègue Nicolas About – dont je salue la remplaçante –, alors président de la commission des affaires sociales, et notre collègue Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils avaient en effet souhaité tous les deux qu’un groupe de travail soit constitué, forts du constat que se trouvent aujourd’hui en prison des personnes à qui l’incarcération ne sert à rien, car elles ont besoin de soins, ce que la prison ne permet pas, ou très rarement.
À l’issue de ses travaux ce groupe de travail avait formulé un certain nombre de propositions d’ordre législatif. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en reprend certaines.
Si, dans son article 64, le code pénal de 1810 posait le principe d’irresponsabilité pénale du « dément », le nouveau code pénal de 1993 a instauré un distinguo entre abolition et altération du discernement en raison d’un trouble mental. Ainsi, selon l’article 122-1 du nouveau code pénal, dans le premier cas, la personne n’est pas considérée comme « pénalement responsable », alors que, dans le second, elle « demeure punissable ». Il est clair que, dans l’esprit du législateur, l’altération du discernement en raison d’un trouble mental a été pensée comme une cause d’atténuation de la responsabilité. La rédaction de l’article 122-1 du code pénal dispose que, dans ce cas, lorsque la juridiction fixe la durée et les modalités de la peine, la personne punissable bénéficie d’un régime spécifique. Une réduction de peine devrait donc en découler. Or force est de constater, notamment à la lecture des auditions du groupe de travail, que tel n’a pas été le cas.
En effet, nous pouvons observer que, pour les jurys d’assises en particulier, la maladie mentale est bien souvent perçue et gérée comme un facteur de dangerosité supplémentaire qui nécessiterait une détention prolongée. De fait, l’altération du discernement est devenue un facteur d’aggravation de la peine, allongeant la durée d’emprisonnement des personnes atteintes de troubles mentaux.
Contrairement aux idées reçues et bien que les statistiques soient fragmentaires, si le nombre de non-lieux a baissé en valeur absolue, la part de ceux motivés par l’article 122-1 est restée stable, elle représente environ 5 % du total. Il n’est donc pas démontré que l’évolution du cadre juridique ait provoqué une diminution du nombre de reconnaissances d’irresponsabilité pénale. En revanche, de l’avis concordant de magistrats et d’experts, l’altération du discernement, conçue par le législateur comme une cause d’atténuation de la responsabilité, a constitué en pratique, et paradoxalement, un facteur d’aggravation de la peine allongeant la durée d’emprisonnement.
Par ailleurs, selon une enquête épidémiologique menée entre 2003 et 2004, la proportion de personnes atteintes de troubles mentaux les plus graves, pour lesquelles la peine n’a guère de sens, représenterait 10 % de la population pénale – les précédents orateurs l’ont déjà dit. Aujourd’hui, les établissements pénitentiaires connaissent de grandes difficultés pour gérer des situations qui cristallisent les contradictions entre une logique de soins et une logique répressive.
Cette situation ne peut que heurter nos principes humanistes. Elle contrevient à l’éthique médicale car les prisons ne sont pas des lieux de soins. Elle contrevient aux exigences de sécurité et, comme nous l’avons vu précédemment, à l’esprit de la loi et à nos valeurs démocratiques.
Il nous est donc apparu indispensable de rompre avec cette logique pour procéder à la réécriture de l’article L 122-1 du code pénal afin, dans une rédaction plus explicite, de mieux concilier réponse pénale et prise en charge sanitaire.
Ainsi l’article 1er de notre proposition de loi prévoit-il que, dans le cas d’une peine privative de liberté prononcée à l’encontre d’une personne atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement, la peine encourue est réduite du tiers.
La juridiction devra donc, dans cette limite, fixer la durée de la peine, étant entendu que la personne est souffrante et que, plus cet état est important, plus la prise en charge médicale s’avère préférable à une incarcération.
De plus, dans le cas où un sursis avec mise à l’épreuve a été prononcé pour tout ou partie de la peine, sauf avis médical contraire ou décision contraire de la juridiction, cette peine doit être accompagnée d’une obligation de soins telle que prévue par l’alinéa 3 de l’article 132-45 du code pénal.
Quant à l’article 2 de la proposition de loi, il tend à compléter le troisième alinéa de l’article 721 du code de procédure pénale, relatif aux réductions de peines, en donnant à la juridiction la liberté de retirer une partie des réductions de peines lorsque la personne refuse les soins qui lui sont proposés.
Cette logique est aussi reprise dans les modifications apportées à l’article 721-1 du code de procédure pénale, relatif aux réductions de peines en cas d’effort sérieux de réadaptation sociale.
La rédaction de l’article 3 de la proposition de loi s’inscrit dans cette même exigence de soins. Ainsi, un nouvel article, relatif aux mesures de sûreté, est introduit dans le code de procédure pénale, laissant la possibilité à la juridiction de prononcer une obligation de soins durant la période comprise entre la date de la libération et le terme de la peine encourue.
Avec ce texte, la loi est désormais précisée. Néanmoins, au-delà, se pose la question des moyens dont se dote notre société pour faire face à ces défis.
À ce titre, notre collègue Jean-Pierre Michel, tout comme d’ailleurs Jean-René Lecerf et l’ensemble du groupe de travail, insiste sur divers points dans son rapport.
Je pense notamment à la prise en charge médicale que nécessitent ces personnes. Elle ne peut se faire que dans le cadre d’un renforcement de l’organisation de la psychiatrie, laquelle doit permettre de garantir le lien entre obtention de réductions de peines et suivi sanitaire via un placement systématique dans des établissements pénitentiaires disposant d’un service médico-psychologique régional. Or ces services doivent être notoirement renforcés en personnels et plus équitablement répartis sur le territoire.
De même, comment ignorer que la justice éprouve les plus grandes difficultés à trouver des experts psychiatres qui apprécient l’abolition ou l’altération du discernement de la personne mise en examen au moment des faits commis et éclairent les juges ?
Demain, mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, restera-t-il suffisamment de praticiens pour s’occuper, soit en milieu carcéral, soit en milieu hospitalier, de ceux dont la responsabilité pénale sera modulée en fonction de l’altération ou de l’abolition de leur discernement ?
Nous nous devons d’apporter des réponses. C’est dans cette logique que nous avons notamment proposé, dans notre rapport, d’envisager la construction de services médico-psychologiques régionaux supplémentaires dans les maisons centrales et de choisir les implantations des futurs établissements pénitentiaires en tenant compte de la démographie médicale, notamment en psychiatrie.
Je n’entrerai pas dans le débat que Jean-René Lecerf a introduit sur les objectifs des Unités hospitalières spécialement aménagées et que nous avons déjà eu au sein du groupe de travail – quel public, détenus ou non détenus, et quels troubles doivent-être concernés ? Même s’il est difficile de se prononcer sur ces structures, dont la première n’a été inaugurée que le 18 mai dernier à Lyon, il nous semble important d’établir des statistiques précises sur le profil des détenus accueillis afin de permettre une évaluation régulière de ces unités.
Madame la secrétaire d’État, bien que l’ayant écoutée avec beaucoup d’attention, je n’ai pas bien compris l’argumentation justifiant votre opposition à cette proposition de loi, qui, d’après ce que j’ai cru comprendre, sera votée par l’ensemble de notre assemblée.
J’espère que nous pourrons débattre de la prise en charge des personnes victimes de troubles psychiques à l’occasion de l’examen d’un prochain texte de loi sur la psychiatrie, un texte systématiquement annoncé et sans cesse reporté !
Effectivement, et j’en terminerai sur ce point, nous nous devons d’apporter des réponses médicales à ces détenus souffrant de troubles mentaux. À défaut, le sens même de la peine s’en trouverait perverti, l’objectif de réinsertion abandonné et notre système pénitentiaire mis en cause.