Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 25 janvier 2011 à 14h30
Responsabilité pénale des personnes atteintes d'un trouble mental — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec plaisir que j’interviens aujourd’hui devant vous, au sujet de cette proposition de loi consistant à atténuer la responsabilité pénale des personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits qui leur sont reprochés.

En effet, vous n’êtes pas sans savoir à quel point les questions pénitentiaires sont au centre de mes préoccupations.

Je me permets de rappeler brièvement que, lors du débat sur la loi pénitentiaire, adoptée le 24 novembre 2009, je n’avais eu de cesse de dénoncer les atteintes graves faites aux droits des personnes détenues, voire, dans certains cas, la négation totale de leurs libertés fondamentales.

Les sénateurs Verts n’avaient d’ailleurs pas voté cette loi, qui semblait assez insatisfaisante, en dépit de tous les amendements adoptés dans ce cadre. Ceux-ci visaient, pour l’essentiel, à renforcer les droits des détenus, à rendre les dispositions du droit français conformes aux exigences communautaires et à reconnaître la dignité de la personne détenue.

J’ai par ailleurs rappelé, à l’occasion du débat sur l’édiction des mesures réglementaires d’application des lois qui s’est tenu voilà deux semaines, que le Gouvernement n’avait encore pris pratiquement aucune des mesures réglementaires prévues par la loi pénitentiaire, ce qui privait finalement cette loi de toute efficacité.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui s’inscrit dans la ligne directrice de la vision progressiste du droit pénitentiaire partagée par les sénateurs d’Europe Écologie.

Il est en effet nécessaire de débattre de la question des détenus atteints de troubles mentaux et de l’atténuation souhaitable de la responsabilité pénale de ceux dont le discernement a pu être altéré, au moment des faits, par ces troubles.

Ce texte a pour point de départ ce constat inquiétant : près de 10 % des détenus souffrent de troubles psychiatriques très graves ! Dès lors la peine privative de liberté, telle qu’elle a été définie dans le cadre de la loi pénitentiaire précitée, ne signifie rien pour ces personnes.

En effet, selon cette loi du 24 novembre 2009, « le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions ».

Je reviendrai, ici, sur les trois points qui, dans les cas des personnes atteintes de troubles mentaux, ne semblent pas atteindre les objectifs légaux actuels : la sanction du condamné, l’insertion et la réinsertion de la personne détenue, la prévention de la récidive.

S’agissant de la sanction du condamné, nous pouvons légitimement douter qu’une personne atteinte d’une pathologie psychiatrique lourde ayant altéré son discernement au moment des faits puisse trouver en une peine d’enfermement dans un établissement pénitentiaire traditionnel une sanction adaptée à sa situation.

Ce point est d’ailleurs rappelé dans le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, qui prévoit que les personnes dont le discernement était aboli au moment des faits sont irresponsables pénalement.

S’agissant de l’insertion et de la réinsertion de la personne détenue, cet objectif, inhérent à l’exécution de la peine, nécessite que l’auteur des faits ait pris conscience des motifs justifiant sa condamnation, ce qui est impossible dans le cas des personnes atteintes de troubles mentaux lourds.

S’agissant, enfin, de la prévention de nouvelles infractions et de la lutte contre la récidive, le but semble plus difficile à atteindre quand la personne est malade et que ses pathologies risquent d’empirer en prison, le milieu carcéral n’étant pas un lieu de soins. Si l’on ne peut que saluer les progrès de la prise en charge médicale en prison, des études ont néanmoins montré que la détention carcérale pouvait aggraver les pathologies, voire en susciter.

Au-delà de ces trois raisons, liées à un régime d’exécution de la peine inadapté aux personnes souffrant de troubles psychiatriques, il est important de souligner la situation choquante créée par la mauvaise application du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal.

Cet alinéa traite du cas des personnes dont le discernement n’était qu’altéré lors de la commission de l’infraction. Pour mémoire, le premier alinéa, que j’ai déjà cité, était relatif à l’abolition du discernement au moment des faits, entraînant l’irresponsabilité pénale.

Selon les dispositions de ce deuxième alinéa, les intéressés restent punissables, mais bénéficient d’un régime particulier quant à la fixation par la juridiction de la durée et des modalités de la peine.

Comme M. Jean-Pierre Michel le souligne à juste titre, dans son dernier rapport, cette disposition devrait conduire à une réduction de peine. Or – c’est regrettable – il en va différemment en pratique, la maladie mentale étant, dans la plupart des cas, un facteur aggravant, un « indice de dangerosité supplémentaire » justifiant « une détention prolongée », et ce plus particulièrement pour les jurys d’assises.

Ainsi on s’éloigne de l’esprit du législateur et, dans le même temps, on accroît la présence de personnes atteintes de troubles psychiques et psychiatriques en prison.

À cette occasion d’ailleurs, permettez-moi de m’élever contre votre position, madame la secrétaire d’État, car vous exprimez une nouvelle défiance envers le juge et son pouvoir d’appréciation, et remettez en cause le principe d’individualisation.

Quant à moi, je suis favorable au fait de réduire du tiers la peine privative de liberté encourue et d’encourager les peines alternatives à l’enfermement, notamment le sursis à exécution avec mise à l’épreuve de tout ou partie de la peine assortie de soins, après avis médical.

Dans un seul souci de lutte contre les récidives, il est également souhaitable que le juge de l’application des peines, à la libération d’une personne condamnée dans les circonstances mentionnées dans ce second alinéa de l’article 122-1 du code pénal, puisse ordonner une obligation de soins.

Je souhaite toutefois apporter une réserve quant aux mesures de sûreté applicables après la libération, telles qu’elles sont prévues à l’article 3 de cette proposition de loi.

Les modifications apportées par cet article entraînent de fait l’application de l’article 706-139 du code de procédure pénal, qui dispose que « la méconnaissance par la personne qui en a fait l’objet des interdictions prévues [par l’article 706-136] est punie, sous réserve des dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende ».

Cela signifie que les personnes concernées par le deuxième alinéa de l’article 122-1 du code pénal, à savoir celles dont le discernement a été altéré par des troubles mentaux au moment des faits, risquent de retourner en prison après leur libération si elles ne respectent pas les mesures de sûreté imposées par le juge... C’est un cercle sans fin !

J’ai pris bonne note de l’obligation de soins accompagnant ces mesures, mais je me questionne sur le caractère opportun de cette possibilité d’une nouvelle incarcération, qui ne me semble pas être de nature à œuvrer en faveur de la guérison des personnes atteintes de troubles mentaux et de pathologies psychiatriques.

Enfin, je tiens à rappeler le Gouvernement à ses responsabilités et à attirer son attention sur l’effectivité de l’application de ces mesures. Il ne s’agit pas de légiférer à chaque fait divers ! Il est indispensable que tous les moyens soient donnés à la justice pour une efficacité de ces dispositions.

Vous n’êtes pas sans savoir, madame la secrétaire d’État, quelles sont les conditions difficiles dans lesquelles travaillent le personnel pénitentiaire et le personnel soignant. Il est temps que ces services disposent enfin des moyens humains et financiers nécessaires à la réalisation de la lourde tâche qui leur est confiée.

À ce sujet, j’espère que le programme de construction des Unités hospitalières spécialement aménagées sera à la hauteur de ces ambitions et n’aura pas à souffrir d’un retard dans sa mise en place.

L’objectif à venir doit donc être triple : proposer des mesures plus adaptées aux auteurs d’infractions souffrant de troubles psychologiques ; prévenir l’aggravation des troubles mentaux en prison ; améliorer les conditions de travail du personnel pénitentiaire et soignant intervenant en milieu carcéral.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs Verts sont favorables à cette proposition de loi, à laquelle ils apportent tout leur soutien !

Je voterai donc ce texte.

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