Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 30 janvier 2008 à 15h00
Rétention de sûreté — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de formuler - un peu tard, je le reconnais - une petite remarque de forme au sujet de l'intervention de M. le président Nicolas About. Je m'étonne, en effet, que la commission des affaires sociales ne se soit pas saisie pour avis de ce texte et, surtout, que M. Nicolas About se soit exprimé en tant que président de la commission des affaires sociales et non pas en son nom personnel. Non que son propos ait manqué d'intérêt, d'ailleurs, mais je trouve cette façon de procéder curieuse. Peut-être, après tout, ne suis-je pas bien au fait des us et coutumes de notre assemblée ?

Au demeurant, cet étonnement n'est rien, comparé à la consternation qui m'a saisie - et je ne suis pas la seule à avoir eu ce sentiment - lors du dépôt du projet de loi.

Comment admettre, en effet, que, avant la présentation d'une loi pénitentiaire, tant attendue et pourtant annoncée, et alors que les lois votées récemment et destinées à lutter contre la récidive ne sont pas ou peu appliquées - du fait tout à la fois de leur caractère récent, du retard dans les décrets d'application et, surtout, de l'absence cruelle et permanente des moyens correspondants -, nous soyons sommés de voter un texte déclaré d'urgence concernant une loi radicale, d'affichage politique certes, mais dont le contenu pose d'énormes problèmes ?

Notre rapporteur nous dit qu'il existe au moins un consensus entre nous sur le fait que les prisons comptent quelques personnes très dangereuses, dont la sortie est « programmée » à une certaine date.

À l'évidence, nous pouvons tous faire ce constat. La preuve en est l'horrible crime qui a été commis par une telle personne peu de temps après sa sortie de prison.

Donc oui, monsieur le rapporteur, nous faisons le même constat. Mais il devrait aussi y avoir consensus sur la nécessité de prendre à « bras-le-corps » - puisque vous avez utilisé cette expression, madame le garde des sceaux- le problème de la détention, l'état calamiteux de l'offre psychiatrique en prison, mais aussi de l'offre générale de soins de la psychiatrie publique, ainsi que la lancinante question des moyens de l'application des lois que les parlementaires votent.

Or le consensus n'existe pas sur cette question.

Ce n'est donc pas pour débattre d'une grande loi pénitentiaire que nous nous retrouvons aujourd'hui. Pourtant, une telle loi nous était présentée comme essentielle, fondamentale, ne serait-ce que pour permettre à la France de ne plus être montrée du doigt quant à l'état de ses prisons !

Un comité d'orientation restreint de la loi pénitentiaire, constitué en juillet 2007, a été chargé de réfléchir à l'élaboration de ce texte. Son rapport, qui vous a été remis le 20 novembre 2007, madame le garde des sceaux, présente cent vingt préconisations à cet effet.

Parmi ces propositions, il s'agit, entre autres, de faire de la privation de liberté une sanction de dernier recours par le développement des aménagements de peines, ou encore de donner un sens à la privation de liberté et de constituer, par exemple, au sein de chaque établissement, une équipe pluridisciplinaire chargée du suivi du parcours de chaque détenu.

La loi pénitentiaire devrait être examinée par le Parlement à l'automne prochain.

Débattre du présent projet de loi avant même d'examiner une réforme pénitentiaire, et sans tirer les conséquences de la législation en vigueur en matière de prévention de la récidive, est une aberration. D'autant plus que n'entendons plus parler aujourd'hui de cet ambitieux projet !

Les prisons sont pourtant plus surpeuplées que jamais - le record est atteint, avec 63 000 détenus ! - et les détenus souffrant de troubles mentaux, psychiatriques, de troubles de la personnalité - considérations complexes pour le législateur, mais qui recouvrent des problèmes très concrets - y sont plus nombreux que jamais !

Déjà, en 2000, dans son rapport intitulé Prisons : une humiliation pour la République, la commission d'enquête sénatoriale, dont étaient membres certains d'entre nous ici présents, mettait l'accent sur le nombre élevé de détenus souffrant de troubles mentaux ou de la personnalité et rapportait le chiffre de 30 % de détenus souffrant soit de troubles psychiques à leur entrée en détention, soit de troubles s'étant révélés au cours de leur détention.

Les auteurs du rapport n'hésitaient pas à employer les termes de « retour à la prison de l'Ancien Régime », considérant que « la solution du moindre mal, celle de l'incarcération des psychotiques, est ainsi retenue, pour le plus grand malheur de l'administration pénitentiaire ».

La commission concluait ainsi : « Paradoxe terrible, la réforme du code pénal et la nouvelle pratique des psychiatres ont abouti à un résultat inattendu : de plus en plus de malades mentaux sont aujourd'hui incarcérés. La boucle est bouclée : la prison, aujourd'hui en France, est en train de retrouver son visage antérieur au code pénal napoléonien. »

Comme bien des préconisations de ce rapport d'enquête parlementaire, celle qui concernait les détenus malades, dans tous les sens du terme, n'a pas été suivie d'effet. Tous les rapports, du rapport Burgelin à celui de nos collègues Philippe Goujon et Charles Gautier de juin 2006 relatifs aux délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques, jusqu'à celui du député Jean-Paul Garraud relatif à la dangerosité et à la prise en charge des individus dangereux, n'ont pu que constater l'augmentation du nombre de ces détenus.

Mais ce constat ne pèse pas bien lourd face à l'instrumentalisation non seulement des faits divers mais aussi de l'émotion qu'ils suscitent. Qui, d'ailleurs, n'éprouverait pas d'émotion lorsque de tels faits se produisent ?

Nous ne nous étonnons même plus que les deux volets de ce projet de loi tirent leur source de deux faits divers, comme ce fut le cas pour les précédents textes, à savoir la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales et la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, cette dernière contenant le dispositif relatif aux « peines plancher ».

Je crains que, à l'avenir, chaque nouveau fait divers ne nous conduise à légiférer !

C'est donc tout naturellement que le Gouvernement en arrive aujourd'hui à utiliser une notion floue, la dangerosité criminologique et psychiatrique, qui nous ramène carrément à l'Ancien Régime, pour créer, disons-le, une peine après la peine. Jusqu'alors, on parlait de personnes peu dangereuses, assez dangereuses, très dangereuses, ou exceptionnellement dangereuses. Maintenant, il est question de personnes « inamendables ». Mais jusqu'où allez-vous déplacer le curseur ? Où est la vérité dans cette nouvelle notion, madame le garde des sceaux ?

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