La séance est ouverte à quinze heures cinq.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point au sujet d'un vote intervenu hier soir et portant sur le projet de loi constitutionnelle.
Le compte rendu analytique de la séance d'hier, mardi 29 janvier, indique que M. Philippe Darniche et moi-même n'avons pas pris part au vote, alors que nous souhaitions très clairement voter contre.
Exclamations sur certaines travées de l'UMP- Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.
Je vous remercie de prendre acte de cette rectification.
Par ailleurs, monsieur le président, cette rectification appelle de ma part une remarque un peu plus générale sur nos conditions de délibération. En effet, ce projet de loi constitutionnelle n'est pas un texte banal : il engage notre loi fondamentale, la Constitution ; il marque la première étape du processus de ratification du traité de Lisbonne à l'issue duquel l'Union européenne pourra - ou ne pourra pas, mais ce n'est pas l'objet de mon propos - fonctionner avec des missions nouvelles ; il implique aussi des transferts de souveraineté importants, comme l'a bien noté le Conseil constitutionnel.
Dans ces conditions, je ne comprends pas que nous ayons été amenés à voter nuitamment, entre deux et trois heures du matin, alors même que la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle et, partant, le vote sur l'ensemble étaient inscrits à l'ordre du jour d'aujourd'hui, à quinze heures.
L'Assemblée nationale a résolu ce problème en permettant que l'on dissocie la discussion d'un texte du vote sur l'ensemble, de ce fait un peu plus solennel. Ainsi, dès lors qu'un texte est jugé important, son vote peut être reporté à une séance où l'on est assuré de la présence d'un maximum de parlementaires, c'est-à-dire dans la journée et à une heure qui permet à chacun de travailler dans de bonnes conditions.
Telle est la solution que je me permets de proposer.
Au moment où l'on parle de revaloriser le rôle du Parlement, il nous appartient peut-être de formuler des propositions et de nous saisir des problèmes sans attendre une révision constitutionnelle.
En tout cas, je voulais indiquer très clairement que nous souhaitions nous opposer au projet de loi constitutionnelle.
Mon cher collègue, j'ai pris bonne note de vos observations.
S'agissant de l'organisation de nos travaux d'hier, je tiens à souligner que, au début de l'après-midi, après le rejet, par scrutin public, de la recevabilité d'une motion référendaire, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ainsi que trente de ses collègues ont déposé une demande de discussion immédiate d'une proposition de loi constitutionnelle. La discussion de cette demande a été renvoyée à la fin de la séance, conformément à notre règlement.
Hier soir, à la suite d'une intervention de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, et après avoir consulté la commission et le Gouvernement, Mme Michèle André, qui présidait la séance, a tenu à mettre aux voix la décision de poursuivre ou non l'examen du projet de loi constitutionnelle au-delà de minuit. Nous avions en effet le choix d'interrompre cet examen et de passer à la demande de discussion immédiate, renvoyée en fin de séance.
Une majorité de sénateurs s'est prononcée clairement en faveur de la continuation du débat jusqu'à son terme. Mme Michèle André, après une épreuve à main levée, a même pris la précaution, pour dissiper toute incertitude, de faire voter par assis et levé.
La Haute Assemblée, qui est souveraine, s'est donc prononcée publiquement et sans ambiguïté pour la poursuite de la discussion du projet de loi constitutionnelle et, à l'issue du vote sur l'ensemble, elle a procédé à l'examen de la demande de discussion immédiate.
Concernant la délégation de vote, vous conviendrez avec moi que cette question relève des relations entre le délégant et le délégataire, et la présidence n'a pas à s'immiscer. C'est l'affaire des groupes ou de la Réunion des non-inscrits.
Quoi qu'il en soit, j'ai le plaisir de vous indiquer que votre mise au point a été enregistrée et qu'elle figurera au Journal officiel à la suite du résultat des scrutins correspondants.
Cela étant dit, mes chers collègues, lorsque des textes aussi importants sont à l'ordre du jour, il faut être présent en séance !
J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation :
- d'un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil supérieur de la mutualité ;
- d'un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine ;
- d'un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil national de la sécurité routière ;
- d'un sénateur appelé à siéger au sein de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite respectivement la commission des affaires sociales à présenter une candidature pour chacun des deux premiers organismes, la commission des affaires économiques à présenter une candidature pour le troisième et, enfin, la commission des affaires culturelles à présenter une candidature pour le dernier.
La nomination au sein de ces organismes extraparlementaires aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.
J'ai reçu du président de la Commission nationale des accidents médicaux, en application de l'article L. 1142-10 du code de la santé publique, le rapport annuel pour 2006-2007 de cette autorité.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.
J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (nos 158, 174).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui est un texte ambitieux.
La commission des lois l'a très bien compris, et je tiens à saluer son président, Jean-Jacques Hyest, pour le travail accompli, car il a parfaitement saisi l'esprit de ce texte...
... et l'a examiné avec précision, ce dont je le remercie.
Je tiens également à remercier votre rapporteur, M. Jean-René Lecerf, de la clarté et l'exhaustivité de son rapport.
Ce projet de loi permettra de mieux protéger les Français et d'aider les personnes condamnées, dans le respect de nos principes fondamentaux. Il aborde la question de la prise en charge des criminels particulièrement dangereux en fin de peine et traite également de l'irresponsabilité pénale pour trouble mental et de l'injonction de soins.
Avant de vous présenter les principales dispositions de ce texte, je tiens, d'une part, à vous en expliquer l'origine et, d'autre part, à revenir sur son champ d'application.
J'entends parfois dire que ce texte vient en réaction à des affaires particulières qui font l'actualité. À cet égard, permettez-moi deux remarques.
La lutte contre la récidive est une préoccupation constante. Depuis 1998, les gouvernements successifs, toutes tendances confondues, ont cherché à améliorer la prise en charge des délinquants dangereux. Des solutions nouvelles ont été mises en place. L'objectif est de réduire leur dangerosité et le risque d'un nouveau passage à l'acte.
Je citerai notamment le suivi socio-judiciaire et le fichier national automatisé des empreintes génétiques, instauré par Elisabeth Guigou et étendu, en 2003, par la loi pour la sécurité intérieure ; le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles, créé en 2004 ; le bracelet électronique mobile, mis en place en 2005 et généralisé depuis le 1er août 2007 ; les traitements antihormonaux, dits aussi castration chimique, autorisés depuis 2005 avec consentement ; et, enfin, l'injonction de soins, que j'ai souhaité renforcer avec la loi du 10 août 2007.
Dans le même temps, des réflexions très approfondies ont été conduites. Depuis 2005, trois rapports ont été rendus : le rapport d'une commission santé-justice présidée par un haut magistrat, Jean-François Burgelin ; le rapport parlementaire du député Jean-Paul Garraud, et le rapport, remis au nom de votre commission des lois, par Philippe Goujon et Charles Gautier.
Tous concluent à la nécessité de mettre en place un dispositif permettant de préserver la société des délinquants les plus dangereux. Ils préconisent soit des centres fermés de protection sociale, soit des unités hospitalières de long séjour spécialement aménagées. Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, la prise en charge des criminels les plus dangereux a été une préoccupation constante des gouvernements et des parlementaires. Ce n'est pas un sujet qui est apparu au cours de ces derniers mois !
Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi il faudrait s'interdire de répondre aux drames qui surviennent au quotidien.
L'action gouvernementale suppose réflexion et préparation, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire ! Après le temps de la réflexion, vient celui de l'action. Il est de notre responsabilité de corriger les insuffisances de la loi. Il est de notre responsabilité d'assurer la sécurité de tous. Il est de notre devoir d'empêcher que de nouveaux crimes soient commis.
Je vous l'ai dit, depuis plus de dix ans, les gouvernements successifs et les parlementaires ont réfléchi à la prise en charge des criminels particulièrement dangereux. Tous proposent les mêmes solutions.
Depuis dix ans, des mesures nouvelles ont été prises, mais elles ne sont pas suffisantes. Elles ne permettent pas de prendre en charge efficacement les criminels qui présentent les troubles du comportement les plus graves. Et, depuis dix ans, de nouveaux crimes atroces et barbares ont été commis.
Or on s'est aperçu que leurs auteurs avaient déjà été condamnés à de lourdes peines et qu'ils étaient identifiés comme des personnes extrêmement dangereuses. On savait qu'ils recommenceraient, car les mesures nécessaires n'avaient pas été prises.
Les Français s'en sont émus. Pourquoi les criminels qui ont encore des pulsions et qui refusent de se soigner sont-ils malgré tout remis en liberté ? Pourquoi les meurtriers aux profils extrêmement inquiétants sont-ils libérés, alors même qu'on les sait encore extrêmement dangereux ? Pourquoi attendre que ces personnes commettent de nouveaux crimes et fassent de nouvelles victimes pour agir ?
Alors, que faut-il faire, mesdames, messieurs les sénateurs ? Continuer de fermer les yeux ? Réfléchir encore pendant dix ans ? Compatir, quand d'autres jeunes enfants comme les petits Matthias ou Enis sont victimes de violences et d'actes de barbarie ? Regretter que la prison n'ait pas suffi la première fois à leur agresseur ? Se contenter de saluer le courage avec lequel des jeunes filles comme Anne-Lorraine Schmitt résistent à leur agresseur avant de trouver la mort ? §Doit-on juste regretter ces événements et ne rien faire, sous prétexte qu'il ne faut pas se soumettre à l'actualité ?
Telle n'est pas ma conception de l'engagement politique. Nous n'avons pas le droit d'attendre. Le Gouvernement a fait le choix de l'action et de la responsabilité. L'actualité nous rappelle la nécessité d'agir pour ne plus subir. Tel est l'objet de ce texte. C'est aussi le sens de votre engagement, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que législateurs, au nom du peuple français.
Avant de vous présenter le projet de loi proprement dit, je voudrais également revenir sur son champ d'application.
Le texte initial ne concernait que les criminels condamnés pour des meurtres, viols ou actes de torture sur des mineurs âgés de quinze ans. La rétention de sûreté vise à remédier à une particulière dangerosité et à prévenir un risque extrêmement élevé de récidive. Ce n'est pas une peine ; c'est une mesure de sûreté.
Les réflexions ultérieures et les travaux des députés ont montré que la dangerosité n'était pas uniquement liée à l'âge et à la vulnérabilité de la victime. Les députés ont donc souhaité que toutes les victimes mineures soient concernées, qu'elles soient âgées de plus ou de moins de quinze ans. Je comprends cette position, et le Gouvernement s'y est rallié. Tuer un enfant de treize ans ou une jeune fille de seize ans démontre une dangerosité semblable. La distinction n'était pas opportune. C'est pour cette raison que les crimes les plus graves commis sur tout mineur ont été retenus.
Les députés ont également voulu que la loi concerne les crimes commis sur une personne majeure avec certaines circonstances aggravantes.
En effet, comment pourrait-on nier la dangerosité du criminel pervers qui torture les victimes ou qui les viole ? Il fallait en tenir compte dans la loi. Votre commission a approuvé cette nouvelle orientation, et je m'en réjouis.
Sur proposition du Gouvernement, le dispositif transitoire a été étendu aux condamnés qui sont actuellement incarcérés pour avoir commis une pluralité de crimes. Il vise les tueurs et violeurs en série.
Il s'agit d'un dispositif transitoire. Après l'entrée en vigueur de la loi, il faudra que la cour d'assises prévoie l'éventualité d'une rétention de sûreté en fin de peine. C'est le principe même du texte.
Mais, d'ici là, nous devons agir. Comment prendre efficacement en charge les détenus particulièrement dangereux qui vont être libérés dans les jours, les semaines, les mois et les années à venir ? Faut-il attendre quinze ans pour que cette loi soit applicable ? Ce ne serait pas responsable. Il n'est de l'intérêt de personne que des criminels reconnus particulièrement dangereux soient libérés pour commettre de nouveaux crimes.
Commettre plusieurs crimes est le signe évident d'une extrême dangerosité. Je pense, par exemple, à Francis Heaulme ou à Pierre Bodein. Avant de commettre les faits qui leur ont valu une condamnation à perpétuité, ils avaient tous deux été condamnés pour plusieurs viols ou meurtres. On aurait pu réagir avant. On ne peut pas laisser libérer des criminels comme ceux-là après l'entrée en vigueur de la loi.
On sait très bien qu'un bracelet électronique ou qu'une injonction de soins ne seront pas suffisants pour empêcher un nouveau passage à l'acte. La cour d'assises ne pouvait prévoir la possibilité d'une rétention de sûreté au moment de leur condamnation, mais cela ne retire rien à leur dangerosité effective.
Le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères ne s'applique pas ici : la rétention est une mesure de sûreté ; ce n'est pas une peine. Elle est prononcée par des juges, mais elle ne repose pas sur la culpabilité de la personne. Elle ne sanctionne pas une faute ; elle vise à prévenir la récidive. Elle repose sur la dangerosité de certaines personnes condamnées pour des faits graves. C'est une mesure préventive qui répond aux exigences constitutionnelles. Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler.
Pour un même niveau de dangerosité, il s'agit de faire en sorte que deux criminels soient traités de façon identique. La date de leur condamnation ne justifie pas de différence de traitement. S'ils réunissent les conditions, ils doivent tous deux pouvoir être placés en rétention de sûreté.
Il fallait donc, et c'est ce qu'a fait l'Assemblée nationale, modifier le projet de loi initial. Monsieur le rapporteur, je connais votre position sur ce point. Nous n'avons pas la même lecture du texte, mais nous aurons l'occasion d'y revenir dans le cours de la discussion. Je connais votre souhait de renforcer les conditions de placement en rétention de sûreté pour les personnes déjà condamnées. Certes, des améliorations sont toujours possibles, mais, j'y insiste, le principe d'une application immédiate de la nouvelle loi doit être maintenu dans ce texte.
Le champ d'application de la loi a fortement évolué. Certains ne manquent pas de s'en étonner, accusant même le Gouvernement d'aller trop loin.
Toutefois, cette évolution était nécessaire. C'était une question de bon sens et d'efficacité des mesures prises. Cet élargissement, qui est souhaitable, va dans le sens d'une plus grande protection des Français. Il contribue également à renforcer la prise en charge des criminels particulièrement dangereux et leur offrira des solutions nouvelles pour réduire leur dangerosité.
Permettez-moi maintenant de vous présenter, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi.
Il comporte trois volets : des mesures de sûreté pour les criminels particulièrement dangereux ; de nouvelles dispositions pour le traitement judiciaire des personnes déclarées irresponsables pénalement et des mesures de nature à améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins.
Tout d'abord, sur le premier volet, les criminels particulièrement dangereux en fin de peine seront pris en charge dans un centre socio-médico-judiciaire.
Le jour de la condamnation, le condamné est averti par le président de la cour d'assises qu'il pourra être soumis à un examen de sa dangerosité et, le cas échéant, placé en rétention de sûreté en fin de peine. Un an avant la fin de sa peine, le condamné est soumis à cet examen. La commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté se prononce sur la dangerosité de la personne et la probabilité de récidive, sur l'insuffisance de toutes les autres mesures de contrôle de la personne à l'extérieur et sur la nécessité d'un placement en rétention de sûreté.
Si la commission donne une réponse positive à ces trois questions, elle demande au procureur général de saisir une commission régionale composée de magistrats de la cour d'appel. Trois mois au moins avant la date de libération, cette commission rend une décision motivée après débat contradictoire sur le placement en rétention de sûreté. Si aucune autre mesure n'est envisageable et qu'elle décide une rétention de sûreté, cette mesure est valable un an. Elle est renouvelable, mais peut aussi prendre fin à tout moment. La personne retenue ira dans un centre socio-médico-judiciaire placé sous la tutelle des ministères de la justice et de la santé. Elle bénéficiera, de façon permanente, d'une prise en charge médicale et sociale.
S'agissant des personnes atteintes de troubles extrêmement graves et profonds de la personnalité, les soins comporteront une dimension criminologique. La situation sera réexaminée chaque année. Grâce à une bonne coopération entre les services du ministère de la justice et ceux du ministère de la santé, le premier centre socio-médico-judiciaire sera ouvert à titre expérimental au sein de l'hôpital de Fresnes dès le 1er septembre 2008.
Quand la rétention prend fin, la personne peut être soumise à des obligations particulières. Elle peut être placée sous surveillance électronique mobile. Une injonction de soins peut également être ordonnée. En cas de manquement à ces obligations, facteur révélateur d'un regain de dangerosité, la personne pourra faire l'objet d'une nouvelle mesure de rétention.
Comment la loi sera-t-elle mise en oeuvre ? Trois hypothèses sont à distinguer.
Il y a d'abord les condamnés pour lesquels une rétention de sûreté a été envisagée par la cour d'assises le jour de leur condamnation. Ils pourront être placés dans le centre fermé à la fin de leur peine s'ils présentent encore une dangerosité telle que leur remise en liberté, même surveillée, n'est pas possible.
Il y a ensuite les tueurs et les violeurs en série qui sont actuellement incarcérés. Ils pourront être placés en rétention de sûreté à la fin de leur peine. Les cours d'assises n'ont pas pu prévoir pour ces condamnés la possibilité d'un examen de leur dangerosité. Mais cette dangerosité résulte des condamnations prononcées contre eux. Il faut donc prévoir un dispositif transitoire.
Les autres condamnés et ceux qui sont actuellement incarcérés pourront être placés sous surveillance judiciaire après la fin de leur peine. Ils pourront notamment se voir imposer un bracelet électronique mobile et un suivi médical. S'ils méconnaissent ces obligations, ils pourront être placés en rétention de sûreté si ces manquements traduisent un regain de dangerosité.
J'en viens maintenant au deuxième volet du projet de loi : les nouvelles dispositions relatives aux irresponsables pénaux en raison d'un trouble mental.
Pour les irresponsables pénaux, la procédure ne s'achèvera plus par la notification d'une ordonnance de non-lieu. Si le juge d'instruction conclut à une irresponsabilité pénale, la décision pourra être précédée d'un débat sur les éléments à charge et l'état mental de l'auteur au moment des faits. Une audience, en principe publique, se tiendra devant la chambre de l'instruction. Actuellement, cette procédure est prévue, mais en appel seulement. C'est notamment la procédure qui a été suivie lors de l'appel du non-lieu rendu dans l'affaire du meurtre des infirmières de Pau.
Le non-lieu, la relaxe ou l'acquittement seront remplacés par des décisions d'irresponsabilité pour cause de trouble mental. Ces décisions seront inscrites - et c'est une première - au casier judiciaire. La personne étant reconnue comme l'auteur du crime ou du délit, il est normal que la justice en conserve la trace.
L'Assemblée nationale a souhaité que les juridictions puissent décider elles-mêmes de placer en hôpital psychiatrique la personne reconnue irresponsable. C'est une simple faculté qu'elles partagent avec le préfet, qui pourra avoir déjà pris un arrêté d'hospitalisation d'office.
Les juridictions qui déclarent la personne irresponsable pourront également la soumettre à des mesures de sûreté destinées à éviter un nouveau passage à l'acte : l'interdiction de se rendre dans certains lieux, l'interdiction de détenir une arme ou encore l'interdiction de rencontrer les victimes, par exemple. Ces mesures seront applicables dès l'hospitalisation. Elles seront très utiles au moment de délivrer des permissions de sortir.
Enfin, si c'est la chambre de l'instruction qui déclare la personne irresponsable, elle renverra l'affaire devant le tribunal correctionnel à la demande des victimes pour statuer sur leurs demandes de dommages et intérêts.
Troisième volet du projet de loi : les nouvelles dispositions pour améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins.
Dans le prolongement de la loi du 10 août 2007, le détenu qui refusera des soins en détention pourra se voir retirer toutes ses remises de peine. Le refus de soins sera assimilé désormais à une mauvaise conduite.
L'échange d'informations entre le médecin intervenant en milieu carcéral et le médecin qui suivra le détenu à sa sortie de prison sera amélioré. Cela permettra d'assurer un meilleur suivi médical.
De même, les soignants devront signaler au chef d'établissement les risques pour la sécurité des personnes dont ils ont connaissance.
Il s'agit d'assurer la sécurité des personnels intervenant en milieu pénitentiaire et celle des autres détenus. Ces dispositions ne violent en rien le secret médical. Elles sont la traduction de l'obligation qui pèse déjà sur tous les professionnels. Elle évitera que leur responsabilité pénale ne soit engagée du chef de non-assistance à personne en danger.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le constatez, le Gouvernement vous soumet un texte d'envergure, équilibré et réfléchi. C'est un texte qui concilie la sécurité des Français et le respect des libertés essentielles.
Nous allons en débattre en profondeur. Je souhaite que ce débat soit constructif. Je souhaite aussi que ce débat soit à la hauteur des enjeux. Enfin, je souhaite que ce débat dépasse les simples clivages politiques.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaiterais tout d'abord replacer ce projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental dans son véritable contexte.
Selon moi, il s'insère dans la suite de la loi récente instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté et dans la préparation de la grande loi pénitentiaire qui nous a été annoncée et que nous appelons de nos voeux sur toutes les travées de cet hémicycle.
L'univers carcéral touche de trop près la condition humaine, il a fait l'objet de trop de rapports unanimement accablants - n'est-ce pas, monsieur le président Hyest ? -, pour que, nous gardant de tout manichéisme, nous ne recherchions pas le plus large consensus.
Dire cela, ce n'est ni oublier la souffrance des victimes, ni ignorer les efforts et l'évolution considérables des personnels de l'administration pénitentiaire. C'est prendre acte de l'étroite corrélation entre de meilleures chances de réinsertion, la lutte contre la récidive, les conditions de travail des personnels, les véritables aspirations des victimes et l'intérêt de la société tout entière.
J'entends encore une vice-présidente d'association, elle-même victime d'un violeur en série ayant récidivé dans les trois mois suivants sa libération, exprimer le souhait que le nouveau système mis en place bénéficie à la fois aux victimes mieux protégées et aux auteurs de crimes sexuels, en permettant de leur apporter des soins efficaces, réduisant ainsi la récidive au taux le plus faible possible.
Je me souviens de son amertume et de sa colère en constatant que la seule activité de son agresseur pendant ses années de détention avait consisté, selon son expression, « à faire de la fonte », c'est-à-dire, pour ceux qui ne sont pas familiers de la réalité carcérale, à tuer le temps par la pratique de la musculation.
En multipliant les visites dans les établissements pénitentiaires, en comparant notre système à celui d'autres pays - notamment les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Belgique et le Canada -, en auditionnant, avec de très nombreux collègues de la commission des lois, une quarantaine d'éminentes personnalités du monde de la justice, de la psychiatrie, de l'université, du secteur associatif, je me suis forgé une triple conviction sur les carences, les insuffisances dont nous souffrons et auxquelles il convient de porter remède au plus vite.
Tout d'abord, nos prisons sont tragiquement affectées par la proportion considérable de détenus qui souffrent de troubles mentaux, de maladies mentales, et qui, selon les estimations les plus fiables, représenteraient environ 20 % de la population carcérale. Certes, ils ont été considérés comme responsables, mais le choix des cours d'assises ne peut qu'être largement hypothéqué par la faiblesse des réponses offertes par une psychiatrie de plus en plus ambulatoire et dont le nombre de lits disponibles en milieu protégé s'est dramatiquement restreint.
La prison devient alors trop souvent le seul moyen de protéger la société, au risque de faire de l'ensemble de nos établissements pénitentiaires le plus grand asile psychiatrique de France. Comment ne pas observer que les déclarations d'irresponsabilité pénale, en application du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal relatif à l'abolition du discernement, ont diminué de moitié entre 1987 et 2003, tandis que l'altération du discernement, qui aurait dû constituer une circonstance atténuante en vertu de l'alinéa 2 du même article, se transformait dans les faits en circonstance aggravante ?
Je ne fais qu'exprimer des évidences en rappelant que la prison n'est pas le lieu idéal pour soigner les malades mentaux, d'autant moins que, si des progrès remarquables ont été accomplis en ce qui concerne les soins somatiques, il est loin d'en être de même pour les soins psychiatriques.
Dans ces conditions, il est bien difficile ou bien naïf d'espérer une amélioration de la situation de ce type de détenu et une évolution favorable de son éventuelle dangerosité à la fin de sa peine. Et pourtant, ce ne sont pas ces malades mentaux qui sont essentiellement visés par la rétention de sûreté. Ce sont bien plus les personnes les plus dangereuses atteintes de troubles du comportement et qu'une majorité de psychiatres et de criminologues tendent à ranger parmi les psychopathes. Encore conviendrait-il de pouvoir orienter les personnes souffrant de troubles psychiatriques sérieux et durables vers une structure spécialisée, de type unité hospitalière spécialement aménagée, UHSA, le temps nécessaire à leur traitement, ce que nous vous proposerons par amendement.
Mais, à court terme, ce sont bien les dispositions de l'article 122-1 du code pénal et la distinction entre abolition et altération du discernement qui posent problème et sur lesquelles il conviendrait sans doute de revenir.
Ensuite, qu'il s'agisse de faire face à une maladie ou d'aider au contrôle des pulsions, soins et traitements doivent être dispensés dès le début de l'incarcération et non quelques mois avant la date prévue pour la libération.
Il en va de même de l'accompagnement nécessaire pour aborder une formation ou exercer une activité, ce qui faciliterait largement la réinsertion.
C'est ici qu'une véritable évaluation prend tout son sens. Réalisée par une équipe pluridisciplinaire à la suite d'une observation de longue durée, elle permettrait d'élaborer un parcours d'exécution de la peine qui devrait correspondre à une véritable stratégie individualisée de lutte contre la récidive. Lors de mon récent déplacement au Québec, mes interlocuteurs ont tout particulièrement insisté sur les effets positifs de cette évaluation et la part prépondérante qu'elle joue dans les résultats enviables du Canada.
Par différents amendements, nous tenterons de contribuer à des évolutions qualitatives dans ces domaines, évolutions qui concernent aujourd'hui les personnes qui pourraient être soumises à la rétention de sûreté, mais que nous pourrions généraliser demain lors de l'examen du projet de loi pénitentiaire.
Venons en maintenant à la rétention de sûreté proprement dite, afin de lever quelques ambiguïtés sur la position de la commission des lois.
Nous considérons que cette initiative était nécessaire et qu'elle met fin à un vide juridique dont les conséquences pouvaient se révéler tragiques pour nos concitoyens.
À chacune de mes visites de prison, je demande aux personnels de direction et de surveillance comme aux personnels médicaux s'ils comptent dans leur établissement des cas dont la libération en fin de peine leur paraîtrait exposer la société à un risque majeur. La réponse est toujours positive, même si elle ne concerne qu'un nombre très faible d'individus.
J'ai même pu constater que certains d'entre eux, loin d'éprouver le moindre remord ou la moindre compassion à l'égard de leurs victimes, se plaisaient à raconter encore et encore le plaisir qu'ils avaient pris à leur crime et faisaient part de leur intention de récidiver dès qu'ils en auraient l'opportunité.
C'est d'abord pour ceux-là que la rétention de sûreté est nécessaire, et l'on peut espérer qu'elle les convaincra également de se soigner puisqu'ils ne pourront plus escompter retrouver une totale liberté à la fin de leur peine s'ils refusent tout aménagement et tout soin.
Bien évidemment, cette rétention de sûreté doit rester l'ultime solution lorsque toutes les autres sont insuffisantes et ne doit surtout pas nous amener à oublier les défaillances de notre système et donc la part de responsabilité que nous devons assumer dans les tragédies que nous avons déplorées.
Qu'il me soit permis de rappeler que, dans la désastreuse affaire Evrard, nous sommes aussi confrontés à une carence de la psychiatrie en milieu carcéral. Quand j'ai visité le centre pénitentiaire de Caen, le docteur Christian Kottler, responsable du SMPR, le service médicopsychologique régional, me confiait qu'en raison du manque de médecins psychiatres les délais pour les demandes d'entretien individuel pouvaient attendre plus de douze mois.
Nous sommes également confrontés à une carence dans l'exécution des lois puisque le placement sous surveillance électronique mobile, ou PSEM, n'était pas possible, faute de texte d'application de la loi de décembre 2005, au moment de la libération. Ce n'est que le 3 août 2007 qu'un décret d'application rendra possible la mise en place du bracelet électronique mobile dans le cadre du suivi socio-judiciaire et de la surveillance judiciaire.
Enfin, nous sommes confrontés à une carence dans le fonctionnement du service public, puisqu'une adresse laissée par une personne dont nul n'ignorait la dangerosité aurait mérité d'être contrôlée.
La commission des lois s'est également longuement interrogée sur la conformité tant à la Constitution qu'à la Convention européenne des droits de l'homme de la rétention de sûreté. Sur l'application immédiate de cette réforme aux faits et aux condamnations antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi, les avis ont été largement partagés.
La distinction entre mesure de sûreté et peine, ou plus précisément la distinction entre mesure de sûreté et mesure prise en considération de la personne et présentant le caractère d'une sanction ne va pas de soi, et bien imprudent serait celui qui s'aventurerait à prévoir l'éventuelle décision du Conseil constitutionnel.
De même, l'application de la rétention de sûreté aux criminels les plus dangereux, sans que la juridiction de jugement ait pu prévoir expressément dans sa décision le réexamen de la situation de la personne, pourrait poser problème à la Cour de Strasbourg.
Je sais bien que la Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne, dans une décision du 5 février 2004, a validé la détention-sûreté, dont le régime ressemble largement à la rétention de sûreté que nous voulons mettre en place, mais ce n'est pas manquer de respect à la cour de Karlsruhe que de rappeler que sa jurisprudence n'a pas davantage de portée dans notre pays que celle du Conseil constitutionnel en Allemagne.
Sur la seconde préoccupation majeure de ce projet de loi, qui est également relatif à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, les opinions exprimées lors des auditions se sont révélées beaucoup plus consensuelles. À l'opposé des craintes exprimées naguère par ceux qui imaginaient que l'on puisse s'aventurer à juger les fous, force est de constater que les nouvelles procédures améliorent le système actuel en permettant à la juridiction qui constate l'irresponsabilité pénale de se prononcer aussi sur la réalité des charges à l'encontre du mis en cause, ainsi que sur les mesures de sûreté indispensables.
Les victimes y trouvent plusieurs motifs de satisfaction : l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental est préférable aux formules génériques souvent mal comprises de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement ; la comparution du mis en examen, si son état le permet, est plus aisée ; les victimes ont la possibilité d'entendre des témoins et d'être confrontées à une véritable audience publique ; enfin, l'action en responsabilité civile est facilitée.
On ne peut également que se féliciter de la possibilité pour la chambre de l'instruction de la juridiction de jugement de prononcer, à la suite de la reconnaissance de l'irresponsabilité pénale, une hospitalisation d'office, comme l'a prévu un amendement adopté par l'Assemblée nationale. En cas d'urgence, il peut en effet être prudent d'avoir prévu un tel dispositif, qui constitue peut-être une première approche d'une certaine judiciarisation de l'hospitalisation d'office que réclament un certain nombre de nos collègues, notamment M. Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, au-delà des problèmes qu'il règle, la commission des lois attend de ce projet de loi qu'il définisse les orientations d'une ambitieuse réforme de notre système pénitentiaire.
Je ne sais si la rétention de sûreté constitue, comme nous l'a confié un éminent universitaire, une révolution juridique. Quoi qu'il en soit, je renouvelle le souhait que la prochaine loi pénitentiaire soit la révolution à laquelle nous aspirons.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.
Et sans doute, ce jour-là, la rétention de sûreté perdra-t-elle beaucoup de son utilité, parce que les problèmes auront été traités bien en amont.
Dans cette attente, la commission des lois vous demande, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi, amélioré par les nombreux amendements qu'elle vous proposera.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté aujourd'hui, s'il ressortit bien évidemment à la compétence de la commission des lois parce qu'il traite du droit pénal, comporte, chacun l'a perçu, une dimension sanitaire et sociale qui me conduit à intervenir aujourd'hui en tant que président de la commission des affaires sociales.
Notre collègue Jean-René Lecerf, rapporteur au fond, nous a livré une présentation brillante et exhaustive des enjeux et des dispositions du projet de loi. Je limiterai donc mon propos aux interrogations que suscitent, à mon sens, la mise en oeuvre du nouveau dispositif de rétention de sûreté et l'application des injonctions de soins.
J'aborderai tout d'abord la rétention de sûreté, dont la création, si elle est justifiée pour un nombre limité de cas pathologiques, constitue, s'il en était besoin, le constat d'échec de la prise en charge psychiatrique en milieu carcéral.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat approuve.
En effet, avec le développement des soins ambulatoires, au détriment, trop souvent, des hospitalisations de longue durée, la psychiatrie a, en France comme dans la plupart des pays occidentaux, contribué à accroître considérablement la population des malades mentaux et des psychopathes dans les prisons. Or les moyens n'ont pas été mis en oeuvre pour traiter ces personnes et favoriser, lorsque cela était possible, leur réinsertion dans la société. C'est d'ailleurs ce qui nous conduit aujourd'hui à examiner ce texte.
La rétention de sûreté concernera donc chaque année, nous dites-vous, madame le garde des sceaux, une dizaine d'individus. Je me soucie de la sélection de ces personnes qui n'auront pas été jugées capables de vivre en société, y compris avec les dispositifs de surveillance et de soins existants. Je souhaite en effet m'assurer que toutes les garanties seront prises pour ne pas appliquer cette mesure à des personnes qui relèveraient en réalité, compte tenu de leur état psychiatrique, de l'hospitalisation.
Vous n'êtes pas sans savoir que la dangerosité criminologique ne doit pas être confondue avec la dangerosité psychiatrique, ni les malades mentaux avec les criminels. Il apparaît au contraire que la corrélation entre l'existence de troubles mentaux et le passage à l'acte criminel est très faible, de l'ordre de 5 % pour les homicides. Cela ne signifie pas, bien sûr, que je tiens ces situations pour négligeables. Il s'agit juste de donner un ordre de grandeur.
Cette distinction nous amène au problème de l'expertise qui présidera à la décision d'appliquer la rétention de sûreté. Outre la difficulté inhérente à l'évaluation de la dangerosité, on sait que le nombre d'experts psychiatres est insuffisant. Ainsi, 800 experts sont inscrits près des cours d'appel et de la Cour de cassation, et on constate d'importantes disparités géographiques sur le territoire national. Cette pénurie conduit à ce que ces experts, très sollicités pour les meilleurs d'entre eux, ne consacrent plus qu'une infime partie de leur temps aux consultations cliniques, devenant en quelque sorte des « experts professionnels », ce qui ne me semble pas souhaitable.
Pour éviter cet écueil, est-il prévu de rendre l'activité d'expertise financièrement plus attractive, notamment pour les psychiatres libéraux, et, surtout, professionnellement mieux reconnue ?
Se pose également la question des droits qui seront accordés aux personnes en rétention de sûreté. Sur ce point, madame le garde des sceaux, j'avoue ne pas avoir bien compris vos intentions. Je vais donc vous faire part de mon sentiment personnel.
Les personnes qui seront concernées par ce dispositif, dont l'état de dangerosité criminologique aura été reconnu, doivent effectivement être empêchées de nuire ; je ne le conteste pas.
Pour autant, ayant purgé leur peine, les personnes qui seront placées en rétention de sûreté ne doivent plus être considérées comme des détenus.
À cet égard, j'ai trouvé singulier que l'exposé des motifs de votre projet de loi affirme que « pendant cette rétention, la personne bénéficiera de droits similaires à ceux des détenus ». Ne serait-il pas au contraire légitime qu'ils disposent de droits plus étendus que ceux qui sont accordés en milieu carcéral, notamment en matière de visites et d'activités ?
Pour cette même raison, je pense que les centres socio-médico-judiciaires doivent être créés hors des prisons, sans constituer pour autant un service particulier des hôpitaux psychiatriques. Il s'agit, à mon sens, d'inventer un troisième type de lieu et de prise en charge, spécifique à ces personnes elles-mêmes spécifiques, lequel aurait pour triple objectif de protéger la société d'un risque élevé de passage à l'acte criminel, de soigner, mais aussi de permettre, autant que possible, la réinsertion. Je ne suis pas angélique, mais j'ai sans doute gardé quelques réflexes du médecin que je fus.
Sur ce dernier point, madame le garde des sceaux, pouvez-vous nous présenter les moyens qui seront mis en oeuvre, dans le cadre de la rétention de sûreté, pour favoriser une réinsertion sociale ?
La seconde partie de mon intervention porte sur les dispositions relatives à l'injonction de soins.
Ce dispositif, dont le suivi est bien souvent essentiel à une réinsertion sociale réussie, a été encouragé par la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, qui en a étendu l'application à d'autres mesures que le seul suivi socio-judiciaire.
Pourtant, sa mise en oeuvre comme son contrôle demeurent problématiques en raison du nombre insuffisant de médecins coordonnateurs rapporté au nombre croissant de personnes concernées. De fait, le recrutement de ces professionnels se heurte, ici encore, au caractère peu attractif de la rémunération et à une évolution de la démographie médicale défavorable aux psychiatres.
Pour remédier à ces difficultés et assurer la mise en oeuvre des injonctions de soins prononcées, il était prévu, dans le cadre de la loi du 10 août 2007, que l'effectif des médecins coordonnateurs soit multiplié par trois d'ici au 1er mars 2008, date de la pleine application des nouvelles dispositions relatives à l'injonction de soins, pour atteindre le nombre de 450 médecins.
Pouvez-vous nous indiquer, madame le garde des sceaux, quel est l'effectif actuel des médecins coordonnateurs ? Leur rémunération a-t-elle été revalorisée, comme l'annonçait la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins du ministère de la santé ?
Je l'ai dit, le recrutement de médecins coordonnateurs, et, plus largement, de psychiatres, pour intervenir auprès des détenus qui en ont besoin et, bientôt, des personnes en rétention de sûreté, souffre de l'évolution démographique inquiétante de cette profession.
Il manque aujourd'hui 830 psychiatres dans le secteur public hospitalier, auquel revient, aux termes de la loi du 18 janvier 1994, la prise en charge psychiatrique des détenus.
Or, selon le rapport d'information de notre collègue Jean-Marc Juilhard, la situation va empirer ces prochaines années. De fait, on devrait compter près de 2 000 postes de psychiatres hospitaliers vacants à l'horizon 2020. À ce constat numérique s'ajoute le fait que ces professionnels sont mal répartis sur le territoire national et que les écarts se creusent, avec l'apparition de véritables « déserts psychiatriques », notamment en milieu rural, dans les départements situés au nord de la Loire, dans les banlieues sensibles et outre-mer.
Certes, le relèvement progressif du numerus clausus permettra, à terme, de rétablir cette situation, mais le temps nécessaire à la formation d'un psychiatre est tel que des mesures correctrices s'imposent dès maintenant. Je pense notamment qu'il faut ouvrir la prise en charge de ces personnes aux psychiatres libéraux - pour lesquels la pénurie est moins sensible, car leur rémunération est supérieure -, mais aussi penser aux équipes pluridisciplinaires.
Par exemple, des psychologues agréés devraient être encouragés à intervenir au sein des établissements pénitentiaires, des nouveaux centres de rétention socio-médico-judiciaire et au titre du suivi des injonctions de soins. Cette dernière possibilité a été ouverte par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, mais le décret d'application définissant les conditions de diplômes des psychologues autorisés dans ce cadre n'a toujours pas été pris à ce jour.
Vous comprendrez donc que je sois très favorable à la proposition de la commission des lois tendant à conserver la possibilité, pour un psychologue, de mettre en oeuvre une injonction de soins. Il reste toutefois au ministère de la santé à prendre enfin les mesures réglementaires nécessaires à la définition des formations de psychologues autorisées pour la prise en charge des délinquants sexuels.
De la même manière, je soutiens résolument la proposition de maintenir le droit, pour des médecins ayant reçu une formation adaptée, d'être recrutés comme médecins coordonnateurs des injonctions de soins, afin de pallier la pénurie de psychiatres.
Telles sont, mes chers collègues, les principales observations et interrogations que je souhaitais, en tant que président de la commission des affaires sociales, formuler sur ce projet de loi. Sans doute les précisions que vous m'apporterez, madame le garde des sceaux, lèveront-elles les quelques réticences que j'ai pu laisser transparaître ici ou là. Sur le fond, je vous soutiendrai.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Supprimez votre dernière phrase, monsieur le président de la commission des affaires sociales ! Tout le reste est excellent !
Monsieur le président, après avoir recueilli l'avis de mes collègues de la commission des lois ce matin, je souhaiterais, pour la clarté de nos débats, que nous puissions disjoindre l'examen des amendements n° 52 et 64 visant à supprimer l'article 1er de celui des autres amendements portant sur cet article.
Il n'y a pas d'opposition sur cette demande formulée par la commission ?...
Il en est ainsi décidé.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Hugues Portelli.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui traite d'un sujet douloureux sur lequel le pays attend des réponses claires, mais aussi responsables.
Si les délinquants très dangereux dont nous devons protéger la société sont des personnes qui ont droit à la garantie de leurs libertés fondamentales, ils ne doivent pas pour autant utiliser leurs droits pour les retourner contre la société, notamment contre les êtres les plus fragiles.
Le projet de loi que vous présentez, madame le garde des sceaux, est courageux ; il est le fruit d'un vrai travail d'écoute et il fait justice decertaines critiques injurieuses qui sont indignes de l'enceinte du Parlement. Sachez que vous avez tout le soutien du groupe UMP du Sénat.
Je tiens aussi à féliciter notre rapporteur, M. Lecerf, pour son travail de grande qualité, pour l'intérêt des auditions auxquelles il a procédé, pour sa rigueur et son honnêteté intellectuelles, bien connues.
Admettre qu'une personne est « inamendable » est une idée choquante dans une société démocratique et humaniste : pourtant, elle correspond à une réalité pour une infime minorité, car il arrive que certains ne soient pas « réinsérables » dans notre société, même après avoir purgé une longue peine. Si ce constat doit être fait, il faut demeurer très prudent et respectueux des droits humains quant à la réponse à apporter.
Je suis persuadé que ne rien faire et nier cette réalité serait contraire à tout humanisme véritable.
Le projet de loi que nous examinons comprend deux volets principaux.
Le premier, relatif à la procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, avait été décrié avant même que son contenu soit finalisé. Je constate que le texte élaboré par le Gouvernement fait l'objet d'un large consensus...
... et je m'en réjouis !
Le second volet, consacré à la rétention de sûreté, vise les personnes condamnées à de lourdes peines, le plus souvent pour infractions sexuelles, et susceptibles de récidiver. C'est sur ce volet que le débat s'est déplacé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.
Or ces délinquants très dangereux nécessitent un traitement particulier, protecteur de la société et de ses éléments les plus fragiles. Le projet de loi apporte une réponse à ce problème en proposant de créer, sur le modèle du droit allemand, des centres de rétention et d'instituer une nouvelle mesure de sûreté, la rétention de sûreté.
S'agissant du centre de rétention, nous avons proposé un amendement visant à mieux définir ses missions et de bien distinguer la mesure de sûreté, dont il s'agit ici, de la peine.
Je ne comprends pas, et je ne suis pas le seul à cet égard, que l'on puisse assimiler le traitement médical ou psychologique à une peine.
D'ailleurs, dans une décision du 5 février 2004 relative à la mesure de détention-sûreté, la Cour constitutionnelle allemande a rappelé que la peine de prison et la détention à titre de mesure de sûreté visent pour l'essentiel des objectifs différents.
Selon le juge suprême allemand, ...
... « la sanction consiste dans le fait de punir en réaction à un comportement coupable et sert à réparer la faute pénale ». En revanche, les mesures de détention sûreté « servent surtout et notamment à la prévention dans le cas spécifique, c'est-à-dire à empêcher des délits ou crimes dans l'avenir en exerçant une influence sur l'auteur ». Enfin, « la détention à titre de mesure de sûreté n'a pas pour but, contrairement à la peine, de faire expier une faute commise, mais de protéger l'ordre public contre l'auteur. C'est non pas la faute pénale, mais la dangerosité dont l'auteur a fait preuve qui détermine le prononcé, l'organisation et la durée de la mesure ».
On peut effectivement rétorquer, comme vous le faites, mes chers collègues, que l'autorité de la chose jugée des décisions de la Cour constitutionnelle allemande ne franchit pas les frontières, §mais il me paraît utile de connaître l'interprétation du juge constitutionnel compétent à propos d'une loi dont le législateur français s'est largement inspiré. Nous ne pouvons ignorer par ailleurs les liens qui existent entre les cours constitutionnelles d'Europe et le développement d'une base jurisprudentielle commune, notamment en matière de droits fondamentaux.
J'en viens, précisément, à la jurisprudence du Conseil constitutionnel français et à la décision rendue par ce dernier le 8 décembre 2005 sur la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, décision qui rejoint l'appréciation portée par le juge constitutionnel allemand.
En effet, le Conseil constitutionnel français, après avoir relevé que la surveillance judiciaire est ordonnée par une juridiction, qu'elle repose non sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité et qu'elle a pour seul but de prévenir la récidive, en conclut qu'elle ne constitue ni une peine ni une sanction et qu'elle n'est donc pas contraire à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le Conseil constitutionnel remarque, par ailleurs, que cette disposition n'est ni arbitraire ni disproportionnée, parce qu'elle est conforme au principe constitutionnel de protection des personnes et, plus particulièrement, des mineurs et, ensuite, parce que la mesure ne s'applique qu'aux contextes les plus graves. Il ajoute qu'elle peut prévenir des évolutions futures dangereuses.
En outre, la rétention est en rapport avec le but visé, puisqu'elle est fondée sur l'appréciation de la dangerosité de l'intéressé après expertise médicale. Enfin, les garanties procédurales sont sérieuses - caractère juridictionnel de la décision, débat contradictoire, assistance obligatoire de l'avocat, avis de la commission pluridisciplinaire.
En conclusion, dans le cas présent, comme dans l'affaire précédemment examinée par le Conseil constitutionnel, il y a conformité à la Constitution de la rétroactivité de ces mesures.
M. Michel Dreyfus-Schmidt proteste.
Nous voulons en France un autre institut Pinel, ce centre canadien qui accomplit un travail de grande qualité, humain, avec des personnes présentant une dangerosité importante. Des groupes de parole sont constitués autour de psychothérapeutes qui utilisent des thérapies comportementales et cognitives. Ils apprennent aussi à leurs patients à accepter cet accompagnement.
Il faudra, un jour, se poser la question de la formation de nos thérapeutes, pour que ces centres puissent fonctionner avec le personnel le plus sensibilisé à ces questions.
Mme Nicole Borvo s'exclame.
De même, comme le rapporteur et les travaux de la commission des lois l'ont souligné, il faut instaurer une réelle évaluation des troubles mentaux, et ce le plus tôt possible, afin d'aboutir à un meilleur traitement en prison.
C'est pourquoi la commission a déposé un amendement tendant à prévoir une évaluation de la personne au Centre national d'observation de la maison d'arrêt de Fresnes dans l'année qui suit sa condamnation.
Le bilan de cette évaluation est ensuite soumis au juge de l'application des peines, qui peut individualiser la peine à exécuter ou, en cas de troubles psychiatriques graves, transférer la personne dans une unité hospitalière spécialement aménagée.
Madame le garde des sceaux, si cette disposition est bonne, il faudra un jour, peut-être à l'occasion du projet de loi pénitentiaire, s'attacher aux pathologies rencontrées dans les prisons, voire à celles qui sont créées par les conditions d'incarcération.
Le centre de rétention doit être la solution ultime pour tenter de garder sous suivi ces personnes, non seulement afin de leur permettre d'exprimer leur souffrance, mais aussi - et c'est la philosophie de ce texte - pour prévenir la commission de probables infractions particulièrement graves, dirigées contre les personnes.
En effet, mes chers collègues, si ce projet de loi ne concerne que quelques cas, derrière chacun d'eux, il y a une victime, une famille meurtrie, qui ont aussi droit à la considération de notre République.
Le second axe de ce projet de loi concerne une nouvelle procédure liée à l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Aujourd'hui, l'article 122-1, alinéa 1, du code pénal dispose que « n'est pas responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».
Le projet de loi permet de reconnaître une personne irresponsable auteur des faits. Nous approuvons cette disposition qui présente deux avantages : tout d'abord, elle permet aux victimes de voir la justice reconnaître leur état de victime ; ensuite, elle aide la personne irresponsable, lorsque son trouble mental n'est pas trop prononcé, à admettre les faits pour pouvoir entrer dans une démarche thérapeutique.
En conclusion, madame le garde des sceaux, le groupe UMP votera sans réserve un texte qu'il estime équilibré, respectueux du droit et utile pour le justiciable.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. -Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Protestations sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.
Mes chers collègues, j'en appelle à votre sagesse pour conserver à ce débat la sérénité qui convient.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de formuler - un peu tard, je le reconnais - une petite remarque de forme au sujet de l'intervention de M. le président Nicolas About. Je m'étonne, en effet, que la commission des affaires sociales ne se soit pas saisie pour avis de ce texte et, surtout, que M. Nicolas About se soit exprimé en tant que président de la commission des affaires sociales et non pas en son nom personnel. Non que son propos ait manqué d'intérêt, d'ailleurs, mais je trouve cette façon de procéder curieuse. Peut-être, après tout, ne suis-je pas bien au fait des us et coutumes de notre assemblée ?
Au demeurant, cet étonnement n'est rien, comparé à la consternation qui m'a saisie - et je ne suis pas la seule à avoir eu ce sentiment - lors du dépôt du projet de loi.
Comment admettre, en effet, que, avant la présentation d'une loi pénitentiaire, tant attendue et pourtant annoncée, et alors que les lois votées récemment et destinées à lutter contre la récidive ne sont pas ou peu appliquées - du fait tout à la fois de leur caractère récent, du retard dans les décrets d'application et, surtout, de l'absence cruelle et permanente des moyens correspondants -, nous soyons sommés de voter un texte déclaré d'urgence concernant une loi radicale, d'affichage politique certes, mais dont le contenu pose d'énormes problèmes ?
Notre rapporteur nous dit qu'il existe au moins un consensus entre nous sur le fait que les prisons comptent quelques personnes très dangereuses, dont la sortie est « programmée » à une certaine date.
À l'évidence, nous pouvons tous faire ce constat. La preuve en est l'horrible crime qui a été commis par une telle personne peu de temps après sa sortie de prison.
Donc oui, monsieur le rapporteur, nous faisons le même constat. Mais il devrait aussi y avoir consensus sur la nécessité de prendre à « bras-le-corps » - puisque vous avez utilisé cette expression, madame le garde des sceaux- le problème de la détention, l'état calamiteux de l'offre psychiatrique en prison, mais aussi de l'offre générale de soins de la psychiatrie publique, ainsi que la lancinante question des moyens de l'application des lois que les parlementaires votent.
Or le consensus n'existe pas sur cette question.
Ce n'est donc pas pour débattre d'une grande loi pénitentiaire que nous nous retrouvons aujourd'hui. Pourtant, une telle loi nous était présentée comme essentielle, fondamentale, ne serait-ce que pour permettre à la France de ne plus être montrée du doigt quant à l'état de ses prisons !
Un comité d'orientation restreint de la loi pénitentiaire, constitué en juillet 2007, a été chargé de réfléchir à l'élaboration de ce texte. Son rapport, qui vous a été remis le 20 novembre 2007, madame le garde des sceaux, présente cent vingt préconisations à cet effet.
Parmi ces propositions, il s'agit, entre autres, de faire de la privation de liberté une sanction de dernier recours par le développement des aménagements de peines, ou encore de donner un sens à la privation de liberté et de constituer, par exemple, au sein de chaque établissement, une équipe pluridisciplinaire chargée du suivi du parcours de chaque détenu.
La loi pénitentiaire devrait être examinée par le Parlement à l'automne prochain.
Débattre du présent projet de loi avant même d'examiner une réforme pénitentiaire, et sans tirer les conséquences de la législation en vigueur en matière de prévention de la récidive, est une aberration. D'autant plus que n'entendons plus parler aujourd'hui de cet ambitieux projet !
Les prisons sont pourtant plus surpeuplées que jamais - le record est atteint, avec 63 000 détenus ! - et les détenus souffrant de troubles mentaux, psychiatriques, de troubles de la personnalité - considérations complexes pour le législateur, mais qui recouvrent des problèmes très concrets - y sont plus nombreux que jamais !
Déjà, en 2000, dans son rapport intitulé Prisons : une humiliation pour la République, la commission d'enquête sénatoriale, dont étaient membres certains d'entre nous ici présents, mettait l'accent sur le nombre élevé de détenus souffrant de troubles mentaux ou de la personnalité et rapportait le chiffre de 30 % de détenus souffrant soit de troubles psychiques à leur entrée en détention, soit de troubles s'étant révélés au cours de leur détention.
Les auteurs du rapport n'hésitaient pas à employer les termes de « retour à la prison de l'Ancien Régime », considérant que « la solution du moindre mal, celle de l'incarcération des psychotiques, est ainsi retenue, pour le plus grand malheur de l'administration pénitentiaire ».
La commission concluait ainsi : « Paradoxe terrible, la réforme du code pénal et la nouvelle pratique des psychiatres ont abouti à un résultat inattendu : de plus en plus de malades mentaux sont aujourd'hui incarcérés. La boucle est bouclée : la prison, aujourd'hui en France, est en train de retrouver son visage antérieur au code pénal napoléonien. »
Comme bien des préconisations de ce rapport d'enquête parlementaire, celle qui concernait les détenus malades, dans tous les sens du terme, n'a pas été suivie d'effet. Tous les rapports, du rapport Burgelin à celui de nos collègues Philippe Goujon et Charles Gautier de juin 2006 relatifs aux délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques, jusqu'à celui du député Jean-Paul Garraud relatif à la dangerosité et à la prise en charge des individus dangereux, n'ont pu que constater l'augmentation du nombre de ces détenus.
Mais ce constat ne pèse pas bien lourd face à l'instrumentalisation non seulement des faits divers mais aussi de l'émotion qu'ils suscitent. Qui, d'ailleurs, n'éprouverait pas d'émotion lorsque de tels faits se produisent ?
Nous ne nous étonnons même plus que les deux volets de ce projet de loi tirent leur source de deux faits divers, comme ce fut le cas pour les précédents textes, à savoir la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales et la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, cette dernière contenant le dispositif relatif aux « peines plancher ».
Je crains que, à l'avenir, chaque nouveau fait divers ne nous conduise à légiférer !
C'est donc tout naturellement que le Gouvernement en arrive aujourd'hui à utiliser une notion floue, la dangerosité criminologique et psychiatrique, qui nous ramène carrément à l'Ancien Régime, pour créer, disons-le, une peine après la peine. Jusqu'alors, on parlait de personnes peu dangereuses, assez dangereuses, très dangereuses, ou exceptionnellement dangereuses. Maintenant, il est question de personnes « inamendables ». Mais jusqu'où allez-vous déplacer le curseur ? Où est la vérité dans cette nouvelle notion, madame le garde des sceaux ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin approuve.
Le projet de loi crée des centres socio-médico-judiciaires de sûreté. Le texte initial prévoyait que seules les personnes condamnées à une peine supérieure ou égale à quinze ans de prison pour crime, torture ou actes de barbarie et viol commis sur des mineurs de quinze ans pouvaient y être placées. Des députés, toujours prompts à la démesure, ne se sont pas privés d'étendre cette liste, à laquelle ils ont ajouté l'enlèvement et la séquestration, et le tout en visant aussi les victimes majeures.
On peut débattre de cette question, mais ce qui est grave et inquiétant, c'est le flou des notions utilisées et la propension à étendre le champ d'application des dispositifs.
Ainsi, les personnes condamnées dans ces conditions et qui présentent un trouble grave de la personnalité, une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau l'une de ces infractions, pourront, à l'issue de leur peine, être placées dans un centre de rétention de sûreté pour un an, mesure renouvelable indéfiniment pour la même durée.
Pour la première fois depuis 1789, le lien de causalité entre une infraction et la privation de liberté est rompu. La personne ainsi « condamnée » à la rétention aura déjà purgé sa peine. Or le seul fait qu'elle puisse éventuellement commettre une nouvelle infraction conduirait, si ce projet était adopté, à la maintenir à l'écart de la société pour une durée dont elle n'aura pas connaissance.
Une peine de prison a une durée définie. Au mieux, elle est diminuée en fonction des réductions de peine accordées. Tel ne sera pas le cas pour la rétention de sûreté, qui, bien pis, pourra voir sa durée rallongée année après année. C'est une véritable relégation à perpétuité qui est prévue ici.
Soyons clairs : il s'agit d'une condamnation à perpétuité conditionnée à une évaluation !
J'ai la désagréable sensation que nous atteignons ici la limite qu'un État de droit ne peut théoriquement pas franchir. Je comprends d'autant moins cet extrémisme que, faut-il le répéter, le code de procédure pénale n'est pas exempt de mesures censées lutter contre la récidive. Tout est déjà prévu : le suivi socio-judiciaire depuis dix ans, le bracelet électronique, la surveillance judiciaire ou encore l'inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles, le FIJAIS, ces trois derniers moyens ayant été présentés jusqu'à présent par vos prédécesseurs comme la panacée en matière de prévention de la récidive. Malheureusement, on ne peut pas en faire l'évaluation.
Même les peines plancher ne semblent pas vous convaincre de leur efficacité, puisque vous présentez un nouveau texte six mois après leur création. Les condamnés pour des crimes sexuels bénéficieraient-ils de tous ces dispositifs ? Non. Ceux qui ont malheureusement récidivé, qui ont défrayé la chronique des faits divers, en ont-ils bénéficié ? Pas plus. Pourquoi ? Par manque de moyens, de personnels et de volonté politique.
Avez-vous dressé un bilan de l'application de la loi du 12 décembre 2005 avant de vous lancer dans ce dangereux projet ? Non, puisqu'il est difficile d'y procéder aujourd'hui.
De même, la question des causes de la délinquance n'est jamais traitée, pas plus dans ce texte que dans les trois précédents.
Exclure d'office toute cause sociale à des troubles de la personnalité traduit la volonté de fermer les yeux sur la violence qui s'exerce dans notre société et que certains individus ne peuvent gérer.
On ne peut occulter l'environnement d'une personne dont on veut comprendre le comportement.
Vous avez enfin trouvé la solution à un problème qui vous taraude depuis 2002 : comment faire croire à un risque zéro de récidive ? En enfermant à vie les personnes qui potentiellement pourraient à nouveau commettre un crime ! L'étape suivante sera-t-elle d'enfermer à vie les personnes qui pourraient potentiellement commettre un crime ?
Si l'on se fie à la volonté de certains, tels que le député Jacques-Alain Bénisti ou encore l'ancien ministre de l'intérieur, aujourd'hui Président de la République, il serait possible de prédire, à partir de comportements considérés comme anormaux ou à partir de ses antécédents génétiques, qu'un enfant va devenir un délinquant, un pédophile ou une personne suicidaire.
Un tel projet de loi ouvre une brèche sans précédent vers l'enfermement de précaution.
Madame le garde des sceaux, vous dites vous inspirer des exemples étrangers. Certes, le Canada, les Pays-Bas ou encore l'Allemagne ont mis en place des mesures de rétention de sûreté. Mais vous oubliez l'essentiel : dans ces pays, l'évaluation et la prise en charge des détenus considérés comme dangereux ont lieu dès le début de la détention. Ils constituent une modalité d'exécution de la peine et concernent des irresponsables ou des responsables pénaux. C'est une philosophie totalement différente.
Comment peut-on en même temps ne rien faire pendant quinze ou vingt ans et s'engager à prendre en charge médicalement des personnes considérées comme dangereuses, prise en charge dont on nous disait qu'elle est très difficile à mettre en oeuvre à l'heure actuelle ? Qui croire et comment s'y retrouver ?
C'est oublier, une fois de plus, que la détention accroît bien souvent des troubles psychiques, qu'il s'agisse de troubles du comportement, de la personnalité ou d'autres maladies mentales.
Enfin, c'est admettre que ces longues années de détention n'ont servi à rien, puisque la personne est toujours considérée comme dangereuse, comme elle l'était au début.
Pourquoi, par conséquent, ne pas évaluer son comportement dès le début de l'incarcération, non pour dresser un constat, mais pour tirer un certain nombre de conséquences sur la durée de celle-ci ?
Par ailleurs, les pays étrangers ont fait le choix, malgré son coût particulièrement élevé, d'organiser une prise en charge structurée et interdisciplinaire des détenus considérés comme dangereux. Tel n'est pas votre choix, madame le garde des sceaux, puisque ce projet de loi n'est assorti d'aucune mesure budgétaire. Pourtant, cet enfermement nouveau coûtera cher !
S'agissant maintenant du volet relatif aux irresponsables pénaux, ce texte ne peut pas plus emporter notre adhésion. Après le drame de Pau, il était question de juger les irresponsables pénaux. Sans aller jusque-là, ce projet de loi crée néanmoins une procédure juridictionnelle hybride, qui n'est pas un jugement et qui ne permet même pas une amélioration de la prise en charge psychiatrique de ces malades.
L'audience devant la chambre de l'instruction s'apparente effectivement à une audience juridictionnelle de droit commun, mais le problème est qu'elle va aboutir à un préjugement qui va déterminer si les faits sont imputables à la personne considérée comme irresponsable et si celle-ci est effectivement irresponsable.
Si la chambre de l'instruction estime que l'article 122-1 du code pénal n'est pas applicable, elle devra renvoyer la personne devant la juridiction de jugement compétente. Il sera alors difficile à cette dernière de se prononcer de façon impartiale, puisque les faits auront déjà été imputés à l'accusé.
Autant le terme de non-lieu, si l'on s'en tient aux questions de vocabulaire, peut être problématique, autant rien ne justifiait cette procédure quelque peu bizarre.
Enfin, le projet de loi prévoit l'inscription au casier judiciaire de la déclaration d'irresponsabilité pénale, alors même qu'il ne s'agit pas d'une condamnation, ainsi que l'application de mesures de sûreté à l'égard d'une personne dont le discernement a été aboli, laquelle, de surcroît, si elle ne les respectait pas, pourrait se voir appliquer une peine de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende ! Que va-t-on faire ? Va-t-on déclarer une nouvelle fois qu'elle est irresponsable pénalement ?
Décidément, ce projet de loi ne peut emporter notre adhésion, tant sur la forme, l'urgence ayant été déclarée, que sur le fond.
Ce texte, qui bafoue un nombre important de principes fondamentaux et constitutionnels, représente un véritable danger pour notre État de droit. Le simple fait de rendre rétroactives les dispositions sur le placement en rétention de sûreté en est une illustration.
M. le rapporteur, qui a pris le temps d'auditionner beaucoup de monde, ce dont nous le félicitons, a fait de gros efforts pour rendre ce texte acceptable du point de vue du droit et a tenté de le rendre conforme au principe de non-rétroactivité. Hélas ! ce matin, la majorité a elle aussi fait de gros efforts pour battre M. le rapporteur !
Je ne peux croire que notre pays s'engage dans une voie aussi obscure que celle qui est proposée par le Gouvernement, qui fait de la relégation sociale un mode de gestion des personnes. Nous vous proposerons une rédaction très différente pour l'article 1er. Malheureusement, je sais que cela n'intéresse pas du tout la commission des lois. C'est pourquoi mon groupe et moi-même voterons résolument contre ce texte.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Et au nom de la démocratie, mes chers collègues !
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, notre monde compte indéniablement des individus profondément pervers, qui n'ont aucune empathie pour leurs victimes, n'attribuent aucune sensation, aucun sentiment à celles et à ceux qu'ils violent et tuent, notamment les enfants, les adolescents et les personnes âgées.
Ils sont en France quelques dizaines de grands prédateurs de ce type, qui, au mépris des lois et des êtres humains, ne pensent qu'à satisfaire leurs pulsions.
Je voudrais féliciter M. le rapporteur, notre éminent collègue Jean-René Lecerf, pour son excellent travail. Il a su, par les amendements qu'il a proposés à la commission, rendre ce texte plus humain. Il est exact qu'il n'avait pas la tâche facile !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.
Ce n'est pas parce que ces individus auront passé quinze ou vingt ans en prison qu'ils ne commettront pas à nouveau les mêmes faits gravissimes. Bien au contraire !
Ces personnes sont difficilement réinsérables. Elles représentent un danger immense pour nos enfants et pour la société tout entière. Les dispositifs existants ne permettent pas de protéger suffisamment ces derniers et, au terme de leur peine, ces dangereux criminels ne peuvent donc pas vivre librement sans représenter un réel danger pour le corps social tout entier.
Le constat est simple : les obligations auxquelles peuvent être soumises les personnes libérées et restant dans le cadre d'un placement sous surveillance judiciaire ou de suivi socio-judiciaire ne suffisent pas à prévenir la récidive et à préserver l'intégrité du corps social.
D'une part, certaines mesures, comme le placement sous surveillance électronique mobile, initié par notre ancien collègue Guy-Pierre Cabanel, présentent encore un caractère expérimental, malgré le renforcement progressif de leur régime.
D'autre part, concernant l'injonction de soins, et même si son cadre juridique a été renforcé, la prise en charge psychiatrique et l'offre de soins, en détention ou postérieurement, restent malheureusement très insuffisantes. De plus, rien n'oblige un condamné à se soigner.
Alors, aujourd'hui, après de très nombreux drames, il nous appartient de corriger enfin cette faiblesse de notre droit.
Il est de notre devoir d'intervenir dans le cadre et dans le respect de nos principes démocratiques et de ceux qui sont posés par la Convention européenne des droits de l'homme. Et les droits de l'homme, ce sont aussi et surtout les droits des victimes !
Les faits démontrent que, après leur détention, certains criminels demeurent très dangereux et aptes au mal. Grâce aux nouvelles dispositions prévues par le texte que nous nous apprêtons à voter, ils resteront sous contrôle de la justice tant qu'ils représenteront un danger pour la société.
La mesure principale introduite par le projet de loi consiste dans le placement de la personne, à la fin de sa peine et si un risque très élevé de récidive est constaté, dans un « centre médico-judiciaire » où lui sera proposée de façon permanente une prise en charge médicale et sociale destinée à mettre fin de façon adaptée et progressive à sa rétention. Cette rétention de sûreté n'est pas une peine ; c'est une mesure de sûreté destinée à assurer la protection des citoyens.
Par ailleurs, je me réjouis vivement que ce dispositif ait été étendu par l'Assemblée nationale aux victimes âgées de plus de quinze ans, qu'elles soient mineures ou majeures. Le viol est un crime particulièrement odieux et je ne vois guère en quoi la différence d'âge de la victime justifierait un traitement différent quant aux risques de récidive.
De même, il ne me semble pas que la date de la réalisation des faits criminels puisse empêcher la mise en application du nouveau dispositif.
Le risque élevé de récidive de la personne condamnée doit entraîner, de la même façon que pour les criminels à venir, une rétention de sûreté. Cette rétention doit s'appliquer aux criminels actuellement en détention qui achèveront dans un futur plus ou moins proche leur peine et qui répondent aux critères posés par la loi pour sa mise en oeuvre.
Puisqu'il ne s'agit pas d'une nouvelle peine, la rétention de sûreté ne s'oppose pas au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus dure.
C'est pourquoi j'ai choisi de cosigner avec notre collègue Hugues Portelli, à l'article 12, le sous-amendement n°78 rectifié ter.
À ceux qui continuent de contester les mesures de sûreté créées par ce projet de loi, je tiens à rappeler que, depuis quatre-vingts ans, ce dispositif est en vigueur aux Pays-Bas et qu'il s'applique aussi dans de nombreux pays comme l'Allemagne, la Belgique ou le Canada.
A-t-on encore besoin de preuves de son utilité et de son efficacité ? Ou bien va-t-on persister, en dépit du bon sens, à remettre en liberté non surveillée, ou mal surveillée, des individus au potentiel criminel avéré ?
Il était essentiel aussi de revenir au principe selon lequel la victime doit être placée au centre de notre appareil judiciaire, naturellement dans le respect des droits de la défense.
C'est le second objectif important de votre projet de loi, madame le garde des sceaux : améliorer le traitement judiciaire de l'irresponsabilité pénale pour cause de troubles mentaux par les juridictions répressives, afin de mieux répondre aux attentes des victimes. Il s'agit de les reconnaître et de permettre aux familles de faire leur travail de deuil en paix, le viol et le crime ayant été reconnus comme ayant eu lieu aux yeux du droit et de la nation.
Actuellement, lorsque l'auteur d'une infraction est déclaré pénalement irresponsable, le juge d'instruction rend une ordonnance de non-lieu. Ce terme de « non-lieu » est offensant pour les victimes. Les familles demandent simplement que la justice établisse par qui et comment a été commis le crime ; elles veulent être informées des mesures prises à l'égard de l'auteur de l'acte.
Pour la personne agressée et pour ses proches, être victime d'un responsable ou d'un irresponsable pénal correspond au même traumatisme, aux mêmes dégâts physiques et psychiques.
Rendre justice aux victimes est la première forme et la première exigence de la justice. Aux termes de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la sûreté est un droit imprescriptible.
Le présent texte, mes chers collègues, me semble présenter toutes les garanties nécessaires au respect du droit des personnes.
C'est pour cette raison que la majorité des membres du groupe du RDSE souhaite l'adopter.
M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, aborder le problème de la rétention visée par ce projet de loi, c'est bien évidemment prendre le risque de pénétrer dans un monde inconnu, un monde nouveau que la science médicale elle-même n'a pas bien éclairé mais qui s'impose à nous par la cruauté de ses manifestations.
Je veux parler de cette maladie du comportement que nous dénommons « dangerosité criminologique » et qui se caractérise pour l'essentiel par une différenciation fondamentale entre les actes délibérés qui engagent la responsabilité de leurs auteurs et ceux qui le sont moins ou ne le sont aucunement, à l'égard desquels il est question non plus de responsabilité mais de déterminisme ou de fatalité, et qui sortent dès lors du champ pénal stricto sensu, mais à l'égard desquels le système pénal, et plus spécialement la juridiction pénale, doit assumer une responsabilité particulière, puisqu'elle est la plus qualifiée pour établir le partage entre les exigences respectives de la sécurité et du respect des droits de l'homme.
À leur intersection se situe le concept nouveau de rétention, privation de liberté qui, je le répète, est non pas une peine, on ne le dira jamais assez, mais une protection non seulement à l'égard des autres mais aussi, ce que les commentateurs ont le tort d'oublier, à l'égard de soi-même.
Comme toute notion nouvelle, la rétention n'échappe pas au risque d'être perçue comme un « avatar » - certains comprendront cette expression indienne - de notions déjà familières, en l'espèce de la peine de détention, alors qu'il faudrait plutôt la rapprocher de la détention préventive et, plus encore, de l'hospitalisation d'office. Cette assimilation à la peine procède non seulement de la facilité, mais aussi - et je le regrette, chers amis socialistes -, dans un domaine qui s'y prête bien mal, des exigences de la polémique.
Des voix, dont certaines particulièrement autorisées, se sont élevées pour dénoncer dans la rétention une variante de la peine, « une peine après la peine », ce qui est à mon sens une assimilation abusive, voire une caricature au regard d'une réalité que nul ne conteste : il existe des individus qui ne peuvent pas s'empêcher de commettre certains crimes et qui trouvent dans cet acte même le plus naturel et le plus légitime des accomplissements. C'est ainsi !
Voilà plus d'un demi-siècle, le romancier anglais Evelyn Waugh évoquait très précisément ce type de situation dans sa nouvelle intitulée La petite sortie de M. Loveday. Il y raconte l'histoire de cet étrangleur de femme, qui, après avoir vécu d'une manière exemplaire dans un asile pendant des dizaines d'années, bénéficie enfin d'une permission de sortie dont il revient après deux heures se déclarant « satisfait d'en avoir bien profité ». On découvre peu après qu'il a en effet répété sur la première femme rencontrée le crime pour lequel il avait été condamné trente-cinq ans plus tôt. Je vous recommande la lecture de cette nouvelle, mes chers collègues.
Nul ne peut nier de telles éventualités, que l'actualité nous remet trop souvent en mémoire, et nul ne devrait nier l'obligation qui nous incombe de mettre de telles personnes hors d'état de nuire, tout simplement. Dès lors, il nous faut accepter de passer du concept faute/punition, auquel nous sommes habitués, au concept dangerosité/prévention et admettre que, si l'exécution de la peine purge en quelque sorte les conséquences de la faute, parce qu'elle acquitte le prix de celle-ci - j'emprunte cette formule à l'un de nos collègues, qui se reconnaîtra -, il en va tout autrement de la dangerosité, qu'il ne s'agit pas de corriger mais dont il convient de prévenir les conséquences dans une démarche de nature sanitaire - M. About le rappelait tout à l'heure - et non morale ou moralisatrice, démarche tendant à soigner pour empêcher et non à punir.
Il est du devoir de la société de refuser la loi de la fatalité et de faire tout ce qui peut être fait pour l'empêcher. C'est ce qui justifie l'instauration de la rétention, au principe de laquelle nous souscrivons pleinement non seulement dans l'intérêt des victimes potentielles, mais dans l'intérêt même des individus concernés - j'y reviens-, puisqu'elle leur évite le risque d'une récidive dont nous admettons qu'elle est pratiquement inévitable et qui les ramènerait, cette fois pour une durée indéterminée beaucoup plus longue, dans la situation de détention infiniment plus éprouvante moralement et pratiquement que celle de la rétention.
C'est dans ce sens, et dans ce sens seulement, qu'il faut évoquer la perspective de ce qui serait une « peine après la peine », cher ami Robert Badinter, parce que, entre-temps, il y aurait eu une récidive que nous voulons précisément éviter.
Nous souscrivons donc aux intentions des auteurs de ce projet de loi et, pour l'essentiel, aux dispositions qu'ils proposent.
Encore faut-il, et c'est une condition essentielle, que le régime de la rétention ne puisse apparaître, mis à part la nécessaire privation de liberté, que l'on ne peut éviter, comme une détention qui ne voudrait pas dire son nom. Je me permets de demander, à cet égard, que des précisions soient apportées sur l'idée que le Gouvernement se fait de ce régime. Je rejoins ici les préoccupations exprimées tout à l'heure par M. About. Dans quelles conditions seront logés les individus concernés ? Je suppose qu'il s'agira de chambres convenables et non de cellules telles que nous les connaissons. L'hygiène sera-t-elle satisfaisante ? Quelles seront au quotidien les conditions de vie, sachant que la liberté doit y être aussi large que possible ? Des activités et des loisirs seront-ils prévus ?
J'ai la conviction que quelques précisions concrètes seraient de nature à apaiser les inquiétudes que peuvent éprouver ceux-là même qui ne nourrissent pas de prévention à l'égard d'un projet dont ils admettent la nécessité.
Une autre question appelle des précisions qui sont tout à fait nécessaires, me semble-t-il, pour clarifier les problèmes et répondre en particulier - M. Dreyfus-Schmidt devrait être satisfait - à l'objection d'effet rétroactif que certains soulèveront contre ce texte.
Il s'agit de la référence, comme condition préalable essentielle, à une condamnation originelle qui serait d'une particulière gravité. Je n'ai aucun mal à comprendre que l'expertise de dangerosité prévue par le projet de loi et susceptible de provoquer la décision de rétention soit limitée aux individus ayant fait l'objet de telles condamnations, ayant purgé leur peine et dont la prochaine mise en liberté, même surveillée, oblige à poser la question de la « dangerosité ». Mais il s'agit là d'une condition préalable et non de la cause, du fondement de la mise en rétention.
Il s'ensuit que cette cause résidant dans l'état mental de la personne concernée, tel qu'il est au moment de l'expertise médicale prescrite - c'est-à-dire hic et nunc - et renouvelée à tout le moins d'année en année, se situe nécessairement à une date postérieure à la loi. Dès lors, il n'est pas question de rétroactivité, car c'est l'expertise qui est le fondement de la décision, et elle est forcément postérieure à la loi.
Encore faut-il ne pas donner à penser que ce constat d'une situation actuelle ne ferait que révéler une situation d'origine qui, en quelque sorte, se serait tout simplement poursuivie pendant la période de détention. C'est l'interprétation que pourrait accréditer, avouons-le, une rédaction qui exigerait non seulement la condamnation originelle, mais en outre le constat, dès l'origine, de l'état de dangerosité et la prévision, voire la prescription de l'expertise à la fin de la peine.
Un tel dispositif me paraît tout à la fois dangereux au regard de l'application de la rétroactivité et non justifié dans la mesure où ce qui détermine la rétention, c'est l'état de santé en fin de peine et non la prévision qui a pu en être faite - excusez du peu ! - quinze ans plus tôt.
Il faut donc, et il suffit, de définir la condamnation initiale comme une condition et non comme une cause ou une partie de la cause de la rétention.
On peut dès lors s'interroger sur l'opportunité d'ajouter cette exigence de précision et, a fortiori, de prescription initiale, comme le fait le texte dans son dernier état.
On a expliqué cette singularité - madame le garde des sceaux, vous y avez fait allusion tout à l'heure - par la supposée exigence d'une décision de caractère juridictionnel pour éviter la censure de la Cour européenne des droits de l'homme.
Cette crainte ne paraît pas justifiée dès lors que la rétention est non pas une peine mais une variante de l'hospitalisation d'office. Au demeurant, la Cour de Strasbourg ne s'est pas prononcée sur ce genre d'hypothèse. Ne préjugeons pas de ses décisions futures, dans un domaine nouveau aussi bien pour elle que pour nous.
Notre excellent rapporteur propose d'ailleurs que la décision de la commission régionale soit clairement de caractère juridictionnel, ce qui répond en quelque sorte par avance aux préoccupations de la Cour de Strasbourg.
Dès lors, la référence à une prévision et plus encore à une prescription originelle me paraît superflue, pour ne pas dire saugrenue. N'est-il pas curieux de dire à quelqu'un : monsieur, vous avez commis des actes graves, vous êtes condamné à quinze ans de réclusion et, dans quinze ans, on examinera votre dangerosité ? Cela relève de la bizarrerie. Je proposerai donc de supprimer purement et simplement cette référence, ce qui devrait éliminer tout souci de rétroactivité.
Enfin, ultime argument, puis-je faire observer qu'une critique éventuelle de la Cour de Strasbourg n'interviendra pas avant bien des années et qu'elle pourra toujours être prise en compte, alors, au moyen d'une modification législative ? En outre, une telle critique serait tout de même moins fâcheuse que la censure prochaine - et certaine - du Conseil Constitutionnel pour cause de rétroactivité.
Si le Sénat accepte, comme je le suggère, de réduire à l'essentiel l'article 1er qui, je m'en réjouis, réalise déjà la synthèse du texte d'origine, il s'ensuivra que l'article 12, qui vise, ô combien laborieusement ! - quelle que soit la rédaction adoptée, on peine à sa simple lecture -, à éviter, dans certains cas seulement, le problème de la rétroactivité, n'a plus de raison d'être. L'ensemble du texte serait allégé, clarifié, rendu plus lisible sans des ajouts qui, en fait, ne font que le compliquer et l'obscurcir.
Tel est l'état d'esprit dans lequel nous abordons ce texte, assurés que nous sommes de sa nécessité, sans doute, mais soucieux d'une rédaction aussi simple, aussi claire et aussi directe que possible.
Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à exprimer à M. le rapporteur, et à tous ses collaborateurs, mes remerciements, et sans doute aussi, j'en suis persuadé, ceux de tous les membres de la commission des lois, ainsi que mes félicitations.
En d'autres temps difficiles, j'aurais demandé la publication du rapport par acclamation, en l'assortissant toutefois d'une restriction quant à sa conclusion.
Monsieur le rapporteur, vous avez, avec raison, recentré la création d'une rétention de sûreté au coeur de la crise pénitentiaire majeure que connaît notre pays. Sans doute eût-il mieux valu débattre de la loi pénitentiaire avant de s'interroger sur le cas particulier de criminels extrêmement dangereux. J'évoquerai dans un instant l'approche qui aurait, me semble-t-il, été la meilleure.
Je ne dirai rien de la déclaration d'irresponsabilité pénale, sur laquelle nous reviendrons au cours de la discussion, afin de me concentrer sur la création d'une rétention de sûreté.
Permettez-moi tout d'abord de constater, sans esprit polémique, que l'annonce de la création d'une rétention de sûreté n'a pas été accueillie avec enthousiasme par celles et ceux qui seront appelés à la mettre en oeuvre. C'est même tout le contraire ! Il est rare en effet que de telles mesures suscitent autant d'objections et de tous les côtés, qu'il s'agisse des associations de magistrats, des associations d'avocats - la Confédération nationale des avocats ou le Conseil national des barreaux - des associations de psychiatres - j'ai reçu de l'association des psychiatres hospitaliers experts judiciaires des lettres qui témoignent de leur inquiétude, souvent, de leur protestation, parfois - enfin, bien qu'il soit passé de mode de les prendre en considération, des organisations de défense des droits de l'homme, au premier rang desquelles la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Toutes ces associations et organisations ont émis les plus fermes réserves sur ce projet de loi.
Comme je l'ai indiqué dans mon introduction, il eût mieux valu commencer par le projet de loi pénitentiaire, que nous attendons avec impatience. Si nous étions dans une démocratie tranquille - la nôtre est souvent agitée -, nous n'aurions pas procédé comme nous l'avons fait, après l'affaire Evrard.
Le crime odieux de Francis Evrard a mobilisé, à juste titre, la sensibilité de l'opinion publique. Pour autant, il s'agit d'une affaire unique.
Un criminel a été condamné pour acte grave de pédophilie à une peine de vingt-cinq ans de détention ; il en purge dix-sept. À sa sortie de prison, il récidive. Je me suis demandé combien de cas similaires on recensait depuis trente ans, et j'ai choisi cette durée à dessein. J'ai interrogé, entre autres, les chroniqueurs spécialistes de ces faits divers terribles. Selon les informations que j'ai obtenues, mais je ne demande qu'à avoir la preuve du contraire, l'affaire est unique.
Or, quand se produit une affaire de cette nature, encore une fois une affaire unique, le devoir du Parlement est de s'en saisir. Mais il ne s'agit pas de statuer sur les faits nouveaux qui sont soumis à la justice et qui, en l'occurrence, j'en suis persuadé, aboutiront à un très long éloignement de la société, sans doute à une condamnation à perpétuité. Non, nous n'avons pas le droit d'empiéter sur le terrain judiciaire, et tel n'est d'ailleurs pas l'objet de mon propos.
Il s'agit bien plutôt pour moi de m'intéresser à ce qui s'est passé jusqu'au moment où Evrard commet son dernier crime. Une commission d'enquête parlementaire, comme dans l'affaire Outreau, aurait dû s'interroger et surtout interroger tous ceux qui ont eu la responsabilité de s'occuper d'Evrard depuis ses premiers crimes : pourquoi n'a-t-il pas été pris en charge eu égard à ce que l'on appelle son « état dangereux » ? Pourquoi, alors qu'il était incarcéré dans la prison de Caen, a-t-il dû attendre treize ou quinze mois avant de pouvoir consulter un psychiatre qui lui prescrive un traitement ? Si ce que vous avez indiqué tout à l'heure est exact, monsieur le rapporteur, et je n'ai pas de raison de ne pas vous croire, c'est en effet le délai constaté à Caen pour obtenir un entretien individuel avec un médecin.
En d'autres termes, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, de ce cas unique il convenait de tirer les enseignements, et de le faire publiquement. Les commissions parlementaires dont les débats et les auditions sont télévisés sont d'une incontestable pédagogie démocratique, car elles permettent au public de savoir et au législateur de prévoir. C'est en ce sens que je parlais à l'instant d'une démocratie tranquille, apaisée.
Ce texte, qui porte l'empreinte de la grande habileté de la direction des services judiciaires et de la direction des affaires criminelles et des grâces, que je connais bien, a suscité des réserves à de nombreux égards.
Dans la version qui a été soumise au Conseil d'État, il méconnaissait la Convention européenne des droits de l'homme, dans son article 5, et le principe de non-rétroactivité.
La démarche, inspirée de la pratique allemande, qui consiste à prononcer une condamnation assortie du principe d'une expertise ultérieure pouvant entraîner la mise en oeuvre de la mesure de rétention de sûreté, répond aux exigences de la Convention européenne.
En revanche, sur la question, ici majeure, de la rétroactivité, ou plutôt de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, sans analyser dans le détail une jurisprudence sur laquelle reviendra M. Yung en présentant la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, les choses sont pour moi d'une extrême clarté.
En effet, un détenu qui aujourd'hui exécute sa peine a été condamné à une époque où la rétention de sûreté n'existait pas, par une cour qui ne pouvait pas la prononcer. C'est au cours de sa détention qu'on lui annonce qu'à l'issue de sa peine, en vertu d'une disposition qui, je le répète, n'existait pas au moment de sa condamnation, il pourra être placé pour une durée peut-être perpétuelle dans un établissement fermé, gardé par des personnels pénitentiaires et dont il ne peut sortir que sous escorte. Ce condamné connaîtra alors, croyez-moi, une aggravation considérable de sa situation pénale.
Je considère qu'appliquer cette disposition à un condamné qui exécute une peine prononcée avant la création de la rétention de sûreté constitue une atteinte au principe fondamental de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.
Les amateurs d'histoire savent que Mirabeau, lors de la discussion de la Grande Déclaration, témoignant une fois encore de sa sublime éloquence, s'exclama : « Là où la loi pénale est rétroactive, la liberté ne peut être : son ombre même ne subsiste pas. »
C'est ainsi ! Mais, au-delà des efforts de qualification, il reviendra en définitive au Conseil constitutionnel de se prononcer.
Je tiens en cet instant à souligner que la rétention de sûreté altère les principes fondamentaux sur lesquels repose notre justice.
En effet, mes chers collègues, depuis la Révolution, dans notre société, seule la justice a le pouvoir d'emprisonner un homme à raison d'une infraction commise ou, à titre exceptionnel, à raison d'une infraction dont il est fortement soupçonné d'être l'auteur.
Même la relégation de jadis, instituée en 1885, et qui a été supprimée en 1970, était une peine complémentaire prononcée par une cour d'assises.
Pas de prison, pas de détention, sans infraction : ce principe est le fondement de notre justice criminelle depuis deux siècles.
Pourquoi est-il essentiel ? Il ne suffit pas de rappeler les principes en disant qu'il en est ainsi. Il faut voir ce qu'ils recèlent, pour nous, de fondamental. Ce principe est essentiel parce que, depuis les Lumières, depuis la Révolution, nous considérons - et c'est le fondement de la démocratie - que l'être humain est doué de raison. S'il viole la loi, expression de la volonté générale, c'est bien parce qu'il est doué de raison qu'il doit répondre de son acte devant ses juges.
La justice, dans une démocratie, repose ainsi sur une certaine idée, propre à la démocratie, de la liberté humaine et de son corollaire, la responsabilité de celui qui viole la loi.
Or, avec la rétention de sûreté, au-delà de toutes les précautions de procédure et de tous les efforts de terminologie, nous franchissons la ligne qui sépare cette justice de liberté fondée sur la responsabilité de l'auteur de l'infraction, d'une autre justice fondée sur la dangerosité appréciée par des experts - le plus souvent des psychiatres - d'un auteur virtuel d'infractions éventuelles.
C'est bien là, en effet, un changement profond de notre justice : vous me permettrez de douter qu'il s'agisse d'un progrès.
Que nous propose-t-on sous l'étiquette de « rétention de sûreté », sous l'étiquette de « placement dans un centre socio-médico-judiciaire fermé » ? On nous propose le placement, pour une durée d'un an reconductible de façon indéfinie, d'êtres humains, de femmes et d'hommes, non pour ce qu'ils auront fait mais pour ce qu'ils sont présumés être : des individus dangereux. Nous quittons le domaine assuré des faits et des règles de preuve pour nous aventurer dans une autre direction. D'autres sociétés l'ont suivie, et nous savons quelles elles sont ; ce n'est pas le cas aujourd'hui, mais il n'est pas indifférent de le rappeler.
Ces individus, ces hommes et ces femmes, ne seront plus emprisonnés comme des condamnés après un procès public. Ils seront détenus - ou retenus, mais le mot ne change rien - comme des criminels virtuels, par décision d'instances composées de magistrats qui, je l'ai rappelé, se prononceront à partir d'expertises psychiatriques ou d'examens de dangerosité criminologique, avec tous les aléas que cela comporte, et qui seront amenés à rendre uniquement un verdict de dangerosité criminologique.
Je plains les magistrats qui auront à assumer cette tâche, car ils sauront que, face au risque évoqué par les experts - je tiens tout de même à rappeler qu'en matière de viol le taux de récidive constaté est de 1 %, mais peu importe -, si par malheur une récidive survient, la responsabilité, aux yeux de l'opinion publique, pèsera entièrement sur ceux qui, en l'espèce, auront refusé la rétention.
Si, en revanche, ils prononcent la rétention, que pourront-ils invoquer ? L'expertise psychiatrique ? Si tel est le cas, je me dois de mettre en garde : quand la justice de sûreté remplace la justice de liberté, elle est vouée à devenir une justice psychiatrisée. Dès lors sera ouverte une voie dans laquelle, pour ma part, je ne pourrai m'engager.
La rétention de sûreté, parce qu'elle quitte le terrain assuré des faits pour le diagnostic aléatoire de la dangerosité criminologique, ne peut que méconnaître les principes dans lesquels s'enracine une justice de liberté.
En réalité, au nom d'un principe de précaution élargi à la justice criminelle, une décision de justice maintiendra en détention, dût-on qualifier celle-ci de « thérapeutique », des êtres humains auxquels aucune infraction n'est imputée, simplement de crainte qu'ils n'en commettent une nouvelle.
Depuis le temps de la Révolution, on enseigne dans nos universités - je l'ai enseigné moi-même à des générations d'étudiants, et j'en tire fierté - que mieux vaut un coupable en liberté qu'un innocent en prison.
Pour prévenir un crime virtuel, la nouvelle justice de sûreté va permettre la détention d'hommes et de femmes déjà jugés, déjà condamnés et dont la peine aura déjà été purgée, au seul motif de leur dangerosité présumée.
Et si, sur trente retenues, vingt-neuf devaient ne pas correspondre au diagnostic ? Pourquoi les retenir de si longues années, au nom d'une décision de justice ?
Ainsi donc, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l'homme dangereux va remplacer l'homme coupable devant notre justice. Que devient, dans ce système nouveau, le principe premier de toute justice, celui de la présomption d'innocence ?
Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est bien difficile d'intervenir après un orateur tel que M. Badinter !
Bien des choses ont été dites. Je serai donc brève et me contenterai, n'étant ni avocat ni juriste, de vous livrer quelques réflexions.
La remise en liberté, après une détention égale ou supérieure à quinze ans, de la personne ayant commis un crime sur un mineur - meurtre ou assassinat, torture ou acte de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration - appelle sans aucun doute des précautions extrêmes quant au respect et à la sécurité tant des victimes que de la société tout entière. Des drames récents ont été sans conteste l'oeuvre de récidivistes.
Le projet de loi qui nous est proposé aujourd'hui introduit dans le code de procédure pénale un chapitre III dont l'article 706-53-13 prévoit, en fin d'exécution de la peine, une rétention de sûreté pour toute personne qui présenterait des troubles graves de la personnalité, des troubles mentaux et une certaine dangerosité entraînant la probabilité d'une récidive. Cette mesure s'appliquerait également à des personnes ayant commis des actes criminels sur des majeurs.
Ne pas laisser en liberté des individus dangereux est une évidente nécessité. Toutefois, il faut s'interroger sur l'effet d'une longue incarcération - quinze ans ou plus. La prison, dans son fonctionnement, aura-t-elle offert au détenu le moyen d'une réflexion sur lui-même, des soins appropriés à son état, lorsque des troubles de la personnalité, a fortiori des troubles psychiatriques, sont avérés ? Est-elle vraiment, dans de tels cas, la solution adaptée ?
Chacun de ceux qui, parmi nous, ont approché peu ou prou les prisons a constaté les faiblesses de notre système pénitentiaire, notamment pour ce qui concerne les soins, eu égard à la surpopulation qui frappe certains de nos établissements.
La surpopulation n'est cependant pas la seule raison. Malgré les efforts fournis par les équipes d'encadrement, pourtant compétentes, le manque de moyens pour une prise en charge efficace est flagrant. Sur le plan médical - tout cela a déjà été rappelé -, le nombre de médecins est notoirement insuffisant et les délais d'attente pour les consultations psychiatriques interminables.
Se pose d'ailleurs ici la question de savoir si les conditions de travail offertes au corps médical dans un milieu aussi difficile sont suffisamment incitatives. Notre collègue M. About a évoqué le problème de la rémunération proposée à ces médecins, dont certains sont vacataires tandis que d'autres ne travaillent que dans les prisons.
Les détenus concernés ont cependant besoin de bénéficier dès le début de leur incarcération d'une évaluation ainsi que d'une prise en charge humaine, sanitaire et sociale adaptée, d'un suivi et d'un accompagnement réguliers. La mise en place de telles mesures ne peut attendre l'approche de leur libération : il faut traiter en amont et ne pas simplement se contenter de prévoir l'aval.
Pour ce qui est des soins, madame le garde des sceaux, vous avez annoncé plusieurs dispositifs à destination des détenus. J'ai noté la création de 700 places, réparties dans 17 unités hospitalières spécialement aménagées à partir de 2009; j'ai également relevé que le nombre de médecins coordinateurs chargés du suivi des personnes condamnées sera porté à 500 dès cette année. C'est un signe fort, dont la concrétisation doit survenir rapidement.
De manière plus générale, j'ajouterai qu'il me semble indispensable, dans ce débat de société essentiel, que tous les intervenants, professionnels ou bénévoles, et ces derniers sont nombreux - visiteurs de prisons, aumôniers de différents cultes, notamment -, soient entendus et deviennent de véritables parties prenantes. Car ce débat touche au respect des droits de l'homme, et nous ne pouvons prendre le risque de l'arbitraire, qui est toujours à craindre.
Le Sénat avance des propositions. Que sa sagesse soit entendue, notamment lorsqu'il demande une évaluation dans les six semaines suivant le début de l'incarcération, lorsqu'il substitue la notion de juridiction à celle de simple commission pluridisciplinaire ! À cet égard, je salue ici le travail de la commission, tout particulièrement celui de son rapporteur, notre collègue Jean-René Lecerf.
Pour terminer, je profiterai de cette tribune pour ajouter que l'accompagnement et le suivi concernent tout condamné : sortir libre mais sans avenir, sans ami, sans famille la plupart du temps, ne peut qu'être un facteur de récidive.
D'où le travail important sur l'insertion ou la réinsertion, qu'il faut également mettre en oeuvre au plus tôt, avec des moyens accrus.
J'ai noté en visitant une prison le taux d'illettrisme des personnes incarcérées, en l'occurrence des femmes : la scolarisation de certains détenus me semble donc indispensable pour leur réinsertion dans la société.
C'est évident ! Nous sommes obligés de prendre ces mesures parce que rien n'a été fait depuis quarante ans !
Donc, « principe de précaution nécessaire » - c'est indéniable ! -, « mesure de sûreté », « nouvelle peine », « privation de liberté » : il convient que le terme soit clair, et le verdict prononcé dans l'intérêt général, dans le respect des libertés essentielles et de la protection de la société.
J'ose cependant former des voeux pour que ce projet de loi ne trouve à s'appliquer que dans des cas extrêmes.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mon intervention portera uniquement sur la rétention de sûreté, à travers laquelle plusieurs questions fondamentales sont posées.
Au préalable, je souhaiterais indiquer que notre rôle de législateur me semblait devoir nous tenir à l'écart des turbulences émotives et de la « politique-spectacle ». Je pensais que la loi, dans son humble définition, avait pour vocation de répondre à des enjeux sociétaux, sans surfer sur l'émotion véhiculée par les médias. Naïvement, je me faisais la même idée de la politique, une politique qui ne soit pas le relais de coups de force médiatiques ou d'une instrumentalisation de faits divers dramatiques au service d'un affichage politicien. Mais je dois me rendre à l'évidence : ce temps est révolu !
M. Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, utilisait déjà cette méthode - comme il l'a fait durant la campagne présidentielle - pour créer des peurs afin de se présenter en seul défenseur de la sécurité.
Je suis d'ailleurs choquée, madame, choquée de vous entendre citer dans cet hémicycle, pour justifier votre projet de loi, les prénoms de victimes. Certes, je comprends parfaitement la souffrance des familles ; mais cette personnalisation n'est pas concevable quand il s'agit de légiférer dans un domaine aussi important et aussi sensible.
Oui, je suis choquée, madame le garde des sceaux, que l'on puisse, pour justifier un texte législatif, s'en référer à l'actualité la plus brûlante. Ce n'est pas ainsi, ce n'est pas dans l'émotion, la colère ou la souffrance qu'on légifère : la justice n'est pas la vengeance.
Dorénavant, à chaque fait divers son projet de loi !
Permettez-moi de vous rappeler qu'une loi est au service de l'intérêt général et non de l'intérêt individuel. Ce n'est pas ainsi, ce n'est pas dans l'urgence que l'on construit un projet de société, alors que, au contraire, la concertation et la maturité sont les clés de voûte du système judiciaire et juridique.
Ce projet de loi, l'un des plus scandaleux qui nous aient jamais été soumis, madame, est la traduction fidèle de votre urgence à légiférer. Pourquoi cette urgence, lorsque l'on sait que ce texte ne sera applicable que dans quinze ans, sauf à violer, mais c'est d'ailleurs ce que souhaite votre gouvernement, le principe de non-rétroactivité ?
Cette urgence qui anime la moindre des initiatives du Gouvernement est préjudiciable non seulement au travail législatif, mais également à la qualité de la loi. À ce rythme, nous ne serons bientôt plus un Parlement, mais un simple appareil d'enregistrement !
Aujourd'hui, toujours dans l'urgence, vous nous présentez un texte qui, au détour d'un seul article, remet en cause tous les principes fondamentaux de notre droit pénal.
Encore un texte relatif à la prévention de la récidive qui prône la répression au détriment de la prévention ! Encore une tentative déplorable de surfer sur l'émotion des Français pour installer une politique de l'enfermement ! Encore un affichage médiatico-législatif qui n'apporte aucune réponse au véritable problème !
Ce projet de loi marque à lui seul un revirement sans précédent dans notre conception du droit pénal. Il ouvre une brèche qui deviendra une plaie béante dans la politique pénale française, jusqu'à ce jour régie par les principes des Lumières.
Ce que vous nous proposez, madame, n'est ni plus ni moins qu'une mise à mort sociale des personnes dangereuses. Après le bagne, voici revenue dans notre droit une méthode d'exclusion sociale, au mépris du sens de la peine !
Vous nous proposez après la prison, la rétention. Autant dire : la peine après la peine.
Notre droit pénal est pourtant clair sur ce point : toute peine doit être nécessaire et proportionnelle au fait reproché. Elle doit normalement intervenir à l'issue d'un jugement et être fondée sur un acte contraire à la loi.
La juridiction que vous créez de toutes pièces aura la lourde tâche de priver de liberté des personnes en raison de leur état. Cette privation de liberté sera fondée non plus sur l'acte commis, mais sur la dangerosité de l'individu, notion très complexe. Mais de quelle dangerosité parlons-nous ? De la dangerosité psychiatrique ou de la dangerosité criminologique ? Il est important de ne pas les confondre !
Je ferai plusieurs commentaires d'ordre juridique sur le fondement de cette peine, car il s'agit bien d'une peine, et non d'une mesure de sûreté comme on souhaite nous le faire croire, puisqu'il y a privation de liberté.
D'abord, cette peine intervient à l'expiration de la peine du condamné. Elle n'est pas une modalité d'exécution de celle-ci puisqu'elle ne s'intègre pas dans le quantum de la peine. Ainsi, alors qu'un condamné aura payé sa dette à la société, qu'il n'aura pas commis de nouveau crime, il sera tout de même privé de sa liberté.
Cette mesure aurait pu se concevoir si elle s'était en partie substituée à la peine. C'est d'ailleurs sur ce fondement que le Conseil constitutionnel a considéré que la surveillance de sûreté était conforme à la Constitution.
Mais la rétention de sûreté que vous nous proposez dans ce texte ne se confond pas avec la peine ; elle s'y superpose. Elle est par conséquent contraire à la Constitution : elle ne se fonde ni sur un jugement initial ni sur un jugement intervenant à l'issue de la peine. L'objectif est de mettre en place un sas de sécurité entre sortie sèche et libération surveillée. En réalité, c'est un véritable couloir de la mort que vous construisez !
L'individu pourra ainsi être enfermé à vie sur le simple fondement de sa dangerosité et sur la probabilité qu'il commette un crime !
Cette « peine après la peine » est contraire aux principes les plus fondamentaux de notre droit pénal.
D'abord, cette mesure est contraire au principe du droit à la liberté et à la sûreté garanti par l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme. Selon cet article, nul ne peut être privé de liberté, sauf dans des cas énumérés. Pardonnez-moi de vous rappeler que la dangerosité n'est pas considérée dans cet article comme un motif légitime de privation de liberté. Seule une condamnation judiciaire peut entraîner une privation de liberté. Or la rétention de sûreté qui nous est ici proposée n'a rien à voir avec la condamnation initiale pour l'un des crimes énumérés, car, pour ces crimes, l'individu a déjà purgé sa peine !
La rétention de sûreté est fondée sur une appréciation de la dangerosité de l'individu et sur la probabilité - pour ne pas dire la virtualité - qu'il commette un nouveau crime. Or il n'y a pas de lien de causalité entre le crime initial et la mesure de sûreté. Cette dernière n'est pas une conséquence de la condamnation initiale.
Afin de contourner cet écueil, votre projet de loi prévoit que la mesure de sûreté est possible lorsque « la juridiction a expressément prévu dans sa décision le réexamen de la situation de la personne ». Mais vous savez bien que le réexamen de la situation de la personne conduit normalement à des aménagements de peine ou à une libération conditionnelle. Cet examen est toujours profitable au condamné et n'a jamais pour effet d'aggraver la peine ni d'en augmenter le quantum ou la durée.
Le Conseil constitutionnel nous rappelle qu'une mesure de sûreté est, dans tous les cas, prononcée pendant une durée qui ne peut excéder celle correspondant au crédit de réduction de peine ou aux réductions de peines supplémentaires dont le détenu a bénéficié et qui n'ont pas fait l'objet d'une décision de retrait.
S'agissant en l'occurrence d'une personne condamnée à quinze ans de prison minimum, le réexamen a justement pour objectif soit la libération conditionnelle, soit l'aménagement de la peine, mais il ne peut jamais en prolonger les effets au-delà de la peine prononcée. Or ce projet de loi permet un réexamen dans le seul but de prolonger la peine après la prison, en tentant vainement de rattacher la décision à la peine initiale. Mais dans ce cas, la rétention de sûreté n'est pas une conséquence de la condamnation initiale. Elle en est un prolongement arbitraire, indigne et contraire au droit à la liberté et à la sûreté.
Dans un arrêt de 2002, la Cour européenne des droits de l'homme dit clairement qu'une mesure de privation de liberté fondée sur la dangerosité d'un individu ayant déjà purgé sa peine de prison est contraire à l'article 5 de la Convention. Ainsi, elle fixe l'état du droit positif dans ce domaine.
Ce dispositif est également contraire au principe de la présomption d'innocence, comme l'a indiqué M. Badinter. Dans la mesure où le condamné qui a déjà purgé sa peine a par la force des choses fait amende honorable et a acquitté sa dette à l'égard de la société, le placement en rétention de sûreté est une atteinte flagrante au principe de la présomption d'innocence puisque la décision de rétention se fonde sur une dangerosité virtuelle et non sur un acte matériel.
On ne punit pas un futur délinquant. Il n'y a pas dans ce domaine de plasticité établie d'un point de vue scientifique. Celui qui a purgé sa peine de prison est un homme libre. L'enfermer, sans avoir établi qu'il a commis un crime ou en tentant de rattacher sa privation de liberté à un crime commis quinze ans plus tôt, est absurde et contraire à l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en vertu duquel tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable.
Enfin, cette mesure est également contraire au principe, en vertu duquel une personne ne peut être punie deux fois pour les mêmes faits, sauf dans des cas très précis, comme la réouverture d'un procès pénal. Cette règle répond à une double exigence d'équité et de sécurité juridique. Ainsi, la Convention européenne des droits de l'homme n'autorise pas la réouverture d'un procès, sauf en cas de survenance de faits nouveaux ou de découverte d'un vice fondamental de la procédure précédente. Hormis ce cas, un jugement ayant autorité de la chose jugée ne peut être complété par une mesure complémentaire ou un nouveau jugement. Le réexamen de la situation d'une personne condamnée n'a rien à voir avec la réouverture de son procès et ne doit jamais emporter violation du principe de la chose jugée, notamment en ce qui concerne le quantum de la peine prononcée.
Si, comme cela est prévu dans le texte, la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté statue sur une mesure de sûreté à l'expiration de la peine, elle agira au-delà du jugement initial. Elle jugera donc une seconde fois.
Madame le garde des sceaux, la juridiction hybride que vous souhaitez mettre en place est une aberration juridique. Elle n'est ni une juridiction de jugement ni une autorité administrative. De manière détournée, vous instaurez dans notre droit une justice d'exception, une justice contraire à tous les principes de notre droit pénal, une justice qui se prononce non plus sur les faits, mais sur des hypothèses et des virtualités, une justice indigne de notre République.
Encore une fois, la seule réponse que vous proposez face à la récidive est l'enfermement. Et vous faites d'une pierre deux coups : vous psychiatrisez la criminalité tout en criminalisant la psychiatrie.
Madame le garde des sceaux, pourquoi ne pas avoir songé, avant de nous soumettre ce texte, aux raisons pour lesquelles le personnel psychiatrique refuse d'exercer en milieu pénitentiaire ? Pourquoi ne pas avoir réfléchi aux conditions déplorables de détention, au problème de la surpopulation carcérale comme au manque de moyens de l'administration pénitentiaire ? La loi pénitentiaire n'était-elle pas une priorité ? Votre seule préoccupation est l'enfermement, qui est devenu le de votre politique pénale.
Pour conclure, nous regrettons que ce projet de loi mette en place une relégation, une mort sociale, lente et assurée des individus les plus dangereux. Voilà pourquoi nous voterons contre ce texte, même si nous soutenons l'effort de M. le rapporteur pour tenter de le rendre acceptable moralement et juridiquement au regard de la Constitution.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il est des jours où l'on ressent le besoin irrépressible de s'exprimer parce que l'on a le sentiment que les règles très importantes qui fondent notre droit depuis 1789 sont remises en cause.
C'est un principe essentiel de notre droit - cela a été dit, et brillamment - que, lorsqu'un être humain a purgé sa peine, il a purgé sa peine.
Vous nous proposez aujourd'hui, madame le garde des sceaux, de condamner des êtres humains à une rétention de sûreté sur le simple fondement d'une éventualité, d'une possibilité, d'une virtualité, de l'hypothèse d'un crime toujours imaginable ! C'est contraire au droit, et, comme tout le monde ici, vous le savez bien !
La rétention de sûreté que vous proposez est grave et dangereuse. On en vient à se demander si Michel Foucault n'a pas écrit des centaines de pages sur la prison en vain, inutilement !
Dix jours après avoir promulgué une loi sur la prévention de la récidive, le Président de la République a annoncé sur le perron de l'Élysée qu'une nouvelle loi était nécessaire derechef, alors même que la première n'avait pas été mise en oeuvre, qu'aucun décret n'était paru. Est-ce là une bonne façon de légiférer ? Tout le monde sait bien que non.
Permettez-moi de vous lire ce que Mme Elisabeth Guigou a écrit à propos de l'affaire Evrard : les « lois ont prévu le suivi psychiatrique des condamnés à une longue peine dès le début de leur incarcération. Francis Evrard a-t-il été soigné en prison alors qu'il y a passé trente-deux ans ? Non ! Le service médico-psychologique régional du centre de détention de Caen où il a été détenu a fermé en juillet 2005 ses 12 lits par manque de psychiatres ! Pourquoi Francis Evrard n'a-t-il eu un rendez-vous avec le juge d'application des peines (JAP) que sept semaines après sa libération en juillet 2007 ? Parce qu'un JAP traite 750 dossiers ! Était-il soumis à la surveillance judiciaire qui aurait dû l'obliger à se présenter régulièrement au commissariat ? Non ! Francis Evrard avait-il un bracelet électronique mobile qui aurait permis de le suivre dans ses déplacements ? Non ! Cela aurait évité que la justice perde sa trace, qu'il se déplace dans sept départements différents et qu'il récidive une nouvelle fois. Enfin, il y a l'hospitalisation d'office dans un hôpital psychiatrique ». Bien entendu, cela n'a pas été mis en oeuvre. Mme Guigou ajoute qu'elle « a demandé un bilan avant tout nouveau texte. Refus ! ».
Madame le garde des sceaux, vous le savez, car tout le monde le dit, il y a beaucoup à faire pour appliquer la législation déjà existante. Il n'est donc pas nécessaire de recourir à des dispositions portant atteinte aux fondements de notre République.
Des aumôniers de prison ont écrit ceci : « Aumôniers de prison, la rencontre régulière des personnes détenues nous rend bien conscients de la gravité des problèmes que soulève le projet de loi relatif à la rétention de sûreté. Le manque d'un suivi sérieux, indispensable aux auteurs d'actes graves à l'égard d'enfants, explique sans doute, pour une grande part, que ces personnes peuvent représenter un risque réel de récidive à la fin de leur peine. C'est pourquoi nous sommes convaincus qu'il faut entourer leur remise en liberté de précautions adaptées qui limitent ce risque.
« Qu'on sanctionne encore des coupables qui ont fini de payer leur dette à la société pose problème. »
Je pourrais poursuivre et évoquer également le climat général, le rapport Ginesti, celui de l'INSERM, les déclarations très lourdes faites par M. Nicolas Sarkozy au cours d'un dialogue avec Michel Onfray : la génétique prédisposerait au crime. Lorsque l'on pense cela, on en tire naturellement un certain nombre de conséquences, comme en témoigne la philosophie qui, malheureusement, inspire ce texte.
Avant de conclure, madame le garde des sceaux, je vous poserai une question. Si une personne récidive après avoir purgé sa peine et qu'elle n'a pas « bénéficié » du dispositif inscrit dans ce texte, ne dira-t-on pas alors que la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté a failli, qu'elle est coupable ? Que dira l'opinion si, après avoir subi la rétention de sûreté, une personne ayant retrouvé la liberté récidive ? Que dira alors le Président de la République sur le perron de l'Élysée ? Ira-t-on jusqu'à remettre en place des solutions extrêmes contre lesquelles notre civilisation s'est élevée, aidée en cela par le talent de Robert Badinter ?
M. About nous a déclaré que les personnes placées en rétention ne seraient pas des détenus. Mais que seront-elles alors ?
Mon dernier mot sera pour les victimes - oui, mes chers collègues, nous pensons d'abord à elles -, car elles méritent mieux. Elles méritent que, du premier au dernier jour de la détention, tout soit fait non seulement, certes, pour surveiller et pour punir, mais également pour amender, guérir, préparer l'avenir et prévenir la récidive. Elles méritent ensuite que tout soit fait avec le soin nécessaire pour accompagner la personne qui recouvre la liberté. Voilà ce que les victimes attendent et méritent. C'est cela que notre société doit exiger pleinement.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Monsieur le rapporteur, je tiens vous remercier d'avoir rappelé les enjeux du présent projet de loi et d'avoir évoqué la nécessité de prendre en charge les délinquants les plus dangereux.
Comme vous l'avez souligné à juste titre, de tels enjeux sont extrêmement complexes.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, je souhaite vous rassurer.
Tout d'abord, je vous rejoins sur la nécessité de s'entourer de toutes les garanties qui s'imposent avant de placer des individus en rétention de sûreté. Le texte que nous présentons aujourd'hui répond à cette exigence.
Je vous rejoins également sur la nécessité d'assurer une prise en charge psychiatrique adaptée en prison. Nous travaillons donc avec Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, en vue d'améliorer cette prise en charge. Aujourd'hui, nous avons 971 personnels de santé, dont 288 psychiatres, qui travaillent dans de telles unités spécialisées.
Afin d'améliorer encore cette prise en charge, nous souhaitons instituer des groupes de parole dans les prisons. Comme vous le savez, des unités hospitalières spécialement aménagées seront instituées d'ici à 2011, afin de disposer à terme de 700 places.
En outre, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a également décidé de mettre en place une équipe mobile dans chaque service médico-psychologique régional, ou SMPR, afin d'assurer une prise en charge dans tous les établissements.
Sept centres de ressources sur la prise en charge des auteurs de violences sexuelles ont été mis en place depuis la fin de l'année 2007 pour diffuser des conseils aux professionnels de la psychiatrie. Leur nombre sera porté à vingt-six dès cette année.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, vous-même et Mme Bernadette Dupont avez également évoqué la nécessité de renforcer les personnels qui assurent le suivi de l'injonction de soins, en application de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. Au demeurant, nous avons différé l'entrée en vigueur de certaines dispositions, afin d'avoir les personnels nécessaires. Un plan spécifique de formation est prévu au bénéfice de tous ces professionnels.
Par ailleurs, l'arrêté portant l'indemnisation des médecins coordinateurs de 470 euros à 700 euros a été publié le 24 janvier dernier. Actuellement, nous avons 203 médecins coordinateurs, contre seulement 150 au mois d'août, lors de l'entrée en vigueur du texte que je viens d'évoquer. Mme Roselyne Bachelot-Narquin et moi-même souhaitons - c'est un engagement du Gouvernement - que ce nombre atteigne 500 d'ici à la fin de l'année.
Mais vous savez que l'on ne peut pas forcer une personne à se soigner. C'est précisément à cette faille que la rétention de sûreté vise à répondre. Je vous le rappelle, d'un point de vue juridique, si une personne n'est pas condamnée à une obligation de soins, elle ne peut pas être contrainte à en suivre.
Certains ont mentionné le cas de Francis Evrard. En l'occurrence, il s'agit d'un individu qui avait commencé à suivre des soins, puis qui a catégoriquement refusé de continuer.
Actuellement, il n'existe aucun moyen de contraindre une personne placée en détention à se soigner. C'est la raison pour laquelle le présent projet de loi est précisément destiné à inciter beaucoup plus fermement des individus dangereux à suivre une thérapie.
Monsieur Portelli, je vous remercie d'avoir clarifié les termes du débat juridique. La rétention de sûreté est non pas une peine, mais une mesure de sûreté destinée à assurer la sécurité des citoyens face à des délinquants dangereux qui présentent encore une grande dangerosité à la fin de leur peine.
J'entends ici ou là nombre de commentaires définitifs sur l'inconstitutionnalité d'une telle mesure. Pourtant, le Conseil constitutionnel est seul compétent pour en juger. À mon sens - je partage votre point de vue, monsieur le sénateur -, la position adoptée par la Cour constitutionnelle allemande sur la question ne peut pas être écartée au seul motif que les décisions allemandes ne s'appliquent pas en France.
Mesdames Borvo Cohen-Seat et Boumediene-Thiery, le projet de loi ne vise pas seulement à répondre à des faits d'une extrême gravité qui suscitent - sur ce point, vous avez raison - une vive émotion.
Que faites-vous des travaux de la commission présidée par Jean-François Burgelin, qui est un haut magistrat ? Que faites-vous du rapport de M. Garraud ? Que faites-vous des travaux de MM. Philippe Goujon et Charles Gautier ?
D'ailleurs, s'agissant de la nécessaire prise en charge des délinquants dangereux, il était même envisagé de créer des centres de protection et de prise en charge.
Je ne peux donc pas vous laisser affirmer que nous instituons une peine à perpétuité. La rétention de sûreté fera l'objet d'une évaluation chaque année. De fait, elle sera ainsi d'emblée limitée à un an. Ses conditions de renouvellement seront extrêmement strictes - cela figure dans le projet de loi -, tout comme d'ailleurs les conditions de placement initial en rétention de sûreté.
Je peux également vous rassurer sur la loi pénitentiaire, attendue depuis l'époque où Mme Élisabeth Guigou ou Mme Marylise Lebranchu était garde des sceaux : elle sera soumise au Parlement avant la fin du premier semestre de l'année 2008.
Mesdames Borvo Cohen-Seat et Boumediene-Thiery, selon vous, la justice devrait rester à l'écart des faits divers.
Mais si la justice ne tenait pas compte de l'actualité et des drames qui surviennent, ce ne serait plus la justice !
À cet égard, permettez-moi d'évoquer un événement qui a marqué le monde entier, à savoir les attentats du 11 septembre.
Sans ces attentats, sans une telle tragédie, le mandat d'arrêt européen, qui est pourtant un outil extrêmement efficace au sein de l'espace judiciaire européen, n'aurait jamais vu le jour.
Monsieur Othily, vous avez raison, la rétention de sûreté est une mesure de sûreté. Je vous remercie de l'avoir précisé avec une telle clarté, et du soutien que vous m'apportez.
Monsieur Fauchon, je vous remercie d'avoir insisté sur le fait que le régime de sûreté ne peut être assimilé à un régime de détention.
Je voudrais vous rassurer, ainsi que Mme Boumediene-Thiery, sur la nécessaire prise en charge des personnes considérées comme dangereuses au sein des centres médico-socio-judiciaires de sûreté à l'issue de leur peine.
Les personnes retenues bénéficieront d'un suivi individualisé médico-social pour leur permettre de se réinsérer dans la société. Ce parcours personnalisé sera organisé autour d'activités quotidiennes, de groupes de parole, mais également de thérapies, y compris jusqu'à la prise médicamenteuse. Le centre médico-socio-judiciaire ne sera pas un lieu de relégation. Ce ne sera pas non plus un placement entre quatre murs. Telle n'est pas notre philosophie. Nous souhaitons nous appuyer sur ce que nous avons vu à l'étranger, et notamment au centre Pieter Baan, que nous avons visité aux Pays-Bas.
Monsieur Badinter, je sais que vous êtes très attaché à la condition pénitentiaire. Je le suis également, et nous en avons discuté à de nombreuses reprises.
Vous considérez que le dispositif est conforme à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Vous considérez également qu'il n'y a pas de prison sans infraction.
Mais les centres médico-socio-judiciaires ne sont pas des prisons.
Ce sont des centres qui doivent permettre à des individus dangereux atteints de troubles graves de comportement de recevoir des soins pour pouvoir réintégrer la société.
Vous affirmez qu'il ne peut pas y avoir de privation de liberté sans infraction. Or, je vous le rappelle, dans notre droit, certaines mesures de privation de liberté ne sont pas nécessairement liées à des infractions.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Ainsi, des individus sont placés en hôpitaux psychiatriques, parfois même à vie, alors qu'ils n'ont pas commis d'infraction. Simplement, ils sont considérés comme dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui.
Mais ce sont des personnes qui ne sont pas responsables de leurs actes !
En outre, des personnes sont placées en détention provisoire dans le cadre d'enquête sur des crimes.
Pourtant, ces individus sont présumés innocents. Vous évoquiez tout à l'heure la présomption d'innocence. En l'occurrence, il s'agit de personnes dont il n'est pas prouvé qu'elles ont commis une infraction, mais dont le placement en détention provisoire se justifie, pour des motifs d'ordre public notamment.
La rétention de sûreté repose sur la même logique. C'est une mesure destinée à assurer la sécurité de la société et des victimes.
Pour ma part, j'affirme que cela change tout pour les victimes qui seront ainsi épargnées.
Tout à l'heure, vous avez indiqué qu'il n'y avait pas eu tant de faits divers dramatiques que cela depuis une trentaine d'années. Vous en avez conclu que l'on pouvait s'interroger sur l'utilité réelle du projet de loi. (M. Robert Badinter s'exclame.) À mon sens, si nous pouvons sauver la vie d'un seul mineur, d'une seule jeune femme, si nous pouvons épargner la victime d'un crime barbare ou d'un viol ou si nous pouvons empêcher un pédophile de récidiver, ce texte sera non seulement utile, mais nécessaire.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Madame Bernadette Dupont, vous avez appelé de vos voeux l'adoption d'une loi pénitentiaire. Vous le savez, je vous rejoins.
La justice doit être ferme. Elle doit aussi être humaine. Comme vous, je souhaite que la loi reconnaisse le travail de tous les acteurs qui interviennent dans les prisons. Je pense notamment aux associations ou aux aumôniers, dont le rôle est essentiel en la matière.
Madame Boumediene-Thiery, sans les faits divers auxquels j'ai fait référence, il n'y aurait pas non plus eu tant de travaux ou de débats sur les criminels dangereux.
Pour notre part, nous souhaitons prendre nos responsabilités.
Nous ne voulons plus déplorer à chaque fois des actes aussi atroces que des viols d'enfants, de jeunes femmes, comme nous en avons trop souvent connu, y compris récemment.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur Sueur, j'ai simplement expliqué que la rétention de sûreté n'était en rien une « peine après la peine ».
Marques d'ironiesur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Notre dispositif est une mesure de sûreté destinée aux personnes qui ont terminé leur peine, mais dont on a constaté la dangerosité. Nous débattrons de ces questions en examinant les différents amendements qui ont été déposés.
Mais je vous demande de ne pas travestir ce texte. Je ne crois pas que le crime ait une origine génétique. D'ailleurs, personne n'a jamais prétendu cela.
En revanche, je considère qu'un criminel ayant démontré sa dangerosité pour des crimes odieux ne doit pas être remis en liberté sans que tout soit fait pour tenter de la réduire.
Certains se sont interrogés sur un éventuel problème de responsabilité de la commission ayant établi la dangerosité.
Je vous rappelle simplement que la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté constate d'ores et déjà la dangerosité de certains criminels ou de certains délinquants, au regard de la criminologie, et non pas de la psychiatrie.
C'est la raison pour laquelle le présent projet de loi est, me semble-t-il, absolument nécessaire, et ce non seulement pour protéger nos concitoyens, mais également pour permettre à des délinquants dangereux de se soigner pour mieux se réinsérer.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Je suis saisi, par MM. Yung, Collombat, Badinter, Frimat, C. Gautier, Mermaz, Peyronnet et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°51, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, adopté par l'Assemblée Nationale après déclaration d'urgence (n° 158, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Richard Yung, auteur de la motion.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, à nos yeux, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui apporte une bien mauvaise réponse à un problème grave qui émeut souvent l'opinion publique, même s'il ne concerne que quelques dizaines de cas.
Personne ne peut rester indifférent à de telles situations. Personne n'a le monopole de l'affliction auprès des victimes.
Mais, pour nous, la bonne législation pénale, la bonne justice pénale doivent se construire dans le temps et dans la réflexion, et non pas dans l'émotion et au coup par coup. Tel est le sens de notre approche.
La mauvaise réponse, c'est celle que vous apportez, c'est-à-dire l'évaluation a minima, l'enfermement sec et le manque de soins en prison pendant la peine.
Il y a une autre politique à mener, et plusieurs de mes collègues la développeront. Elle doit être construite en se fondant d'abord sur le bilan de l'ensemble des mesures considérables mises en place depuis une dizaine d'années, tant d'ailleurs par la gauche que par la droite. Il s'agit du suivi socio-judiciaire, du fichier électronique, de la surveillance judiciaire, de l'injonction de soins, du traitement de la récidive ou du bracelet électronique. Toutes ces mesures vont dans le même sens. Selon nous, avant d'élaborer une nouvelle législation, il faudrait d'abord se pencher sur la mise en place et sur les résultats de toutes ces dispositions.
C'est par là qu'il fallait commencer, au lieu de se précipiter à inventer de nouvelles mesures sans avoir les moyens de les mettre en oeuvre. D'ailleurs, vous n'êtes déjà pas en capacité de faire fonctionner convenablement les dispositifs existants. Je n'aurais pas la cruauté de souligner que M. le président de la commission des affaires sociales a bien présenté cet aspect du problème.
Mais il y a plus grave. Aussi, je voudrais à présent soulever un certain nombre de motifs d'irrecevabilité du projet de loi.
Madame le garde des sceaux, votre texte méconnaît manifestement plusieurs principes contenus dans le bloc de constitutionnalité et dans les conventions internationales auxquelles la France est partie. Pour nous, chacun de ces motifs est suffisant pour aboutir à la censure du projet de loi par le Conseil constitutionnel.
Tout d'abord, j'évoquerai le premier chapitre du texte, qui concerne la rétention de sûreté.
Les dispositions de l'article 1er instaurant une rétention de sûreté sont contraires au principe de légalité des délits et des peines, tel qu'il découle de l'article 34 de la Constitution. En effet, celui-ci dispose : « La loi fixe les règles concernant [...] la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». C'est clair !
Contrairement à vos affirmations, madame le garde des sceaux - on comprend d'ailleurs que vous argumentiez dans ce sens pour défendre la constitutionnalité de votre texte -, la rétention de sûreté constitue bel et bien une peine, et ce pour plusieurs raisons que je vais développer.
Premier argument : il s'agit non pas d'une simple restriction mais bien d'une privation totale de liberté, ce qui qualifie différemment l'affaire et la réintègre dans le champ de l'article 34.
La rétention de sûreté n'entre pas dans le champ des mesures de sûreté qui ont été citées, qui comprend par exemple la suspension du permis de conduire, l'interdiction d'approcher la victime, l'injonction médicale, etc. Ces dernières mesures sont annexes à la peine principale, elles aident à sa mise en oeuvre, et c'est pourquoi elles ne sont pas des peines. La rétention de sûreté n'est pas de même nature : elle constitue une peine en elle-même par sa gravité, sa puissance, sa force.
Deuxième argument : en application du nouvel article 706-53-13 du code de procédure pénale, c'est une juridiction de jugement qui devra expressément prévoir, dans sa décision, le réexamen de la situation de la personne à la fin de sa peine ; mais cette décision sera prise quinze ou vingt ans en amont.
Dans la pratique, ce sont la commission pluridisciplinaire puis la commission régionale, qui ne sont pas des juridictions de jugement, qui apprécieront, sur des critères que nous ne connaissons pas - nous en avons parlé -, la dangerosité ou le risque de récidive de la personne, ces deux notions faisant d'ailleurs l'objet d'une certaine confusion dans votre projet de loi. Il s'agit d'une sorte de justice déléguée, qui oeuvrera essentiellement sur les recommandations des experts psychiatriques. Il y a donc un tour de passe-passe qui laisse rêveur et qui viole certainement l'esprit du code de procédure pénale.
Troisième argument : la rétention de sûreté revêt aussi le caractère d'une peine dans la mesure où, dans l'exposé des motifs de votre projet de loi, vous indiquez que, pendant la rétention, les personnes concernées bénéficieront d'un régime similaire à celui des détenus « en matière notamment de visites, de correspondances, d'exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. »
Si un élément caractérise l'assimilation à la peine, c'est bien celui-là ! Il est tout de même assez choquant de considérer, comme le président Nicolas About l'a souligné, que des personnes qui n'ont commis aucune infraction seront soumises au même régime de détention que celles qui purgent une peine.
Quatrième et dernier argument : la rétention de sûreté pourra-t-elle faire l'objet d'une grâce ou d'une amnistie ? Si la réponse est négative, comment justifier que la peine qui aura conduit à cette rétention puisse, elle, faire l'objet d'une telle mesure ?
Ainsi caractérisée, la rétention de sûreté, telle qu'elle apparaît dans votre texte, viole allégrement, à notre avis, au moins à quatre reprises, le principe de légalité énoncé par notre Constitution : c'est donc elle-même une dangereuse récidiviste !
J'en viens à un autre point concernant la légalité de la peine : dans le système qui est proposé, la privation de liberté résulte non pas de la commission d'une infraction criminelle mais d'une « particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau » une infraction. On voit bien que vous avez buté sur la difficulté majeure de définir les critères qui s'appliqueraient à cette rétention de sûreté et que vous avez en quelque sorte contourné l'obstacle en disant que la dangerosité se mesure par le risque très élevé de récidive - « très élevé », on ne sait pas ce que c'est, mais c'est le risque de récidive qui est la base.
Dans ce cas, l'enfermement découle non plus d'un lien de causalité entre un fait matériel et un préjudice, mais d'un simple pronostic reposant sur la présomption de dangerosité criminologique. Ce concept n'étant défini nulle part - je viens de le dire -, son application sera forcément arbitraire et portera gravement atteinte à la présomption d'innocence, qui est pourtant l'un des principes fondamentaux de la procédure pénale.
C'est en quelque sorte la restauration - mais dans un autre esprit - de la lettre de cachet, symbole honni de l'arbitraire de l'Ancien Régime. Or, dans sa décision du 20 janvier 1981, le Conseil constitutionnel affirme que le législateur doit « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire ». Nous constatons donc deux éléments de violation, puisque l'infraction n'est pas définie en termes clairs et précis et qu'elle donne dans l'arbitraire. C'est un argument de plus pour dénoncer la violation du principe de légalité des peines.
Les dispositions instaurant une rétention de sûreté ne répondent pas non plus au principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Ce point a déjà été abordé à plusieurs reprises, mais je voudrais tout de même en dire quelques mots.
Comme le professeur Gilles Lebreton l'a souligné au cours de son audition devant la commission, la Convention européenne des droits de l'homme établit que le maintien en détention doit reposer sur un motif de même nature que la condamnation initiale. Il est clair que ce ne sera pas le cas puisque la condamnation initiale découle des faits alors que la mise en rétention de sûreté dépendra de l'évaluation de la dangerosité et du risque de récidive. De plus, si la rétention de sûreté est demandée au cas de manquement aux obligations de surveillance judiciaire, on peut craindre qu'il ne s'agisse d'une manière de contourner le principe de non-rétroactivité.
Le Conseil constitutionnel a admis que certaines mesures pouvaient produire des effets rétroactifs. Ainsi, dans sa décision des 19 et 20 janvier 1981, il a autorisé le législateur à prévoir l'entrée en vigueur rétroactive de sanctions pénales plus douces. En outre, dans sa décision du 8 décembre 2005, le Conseil constitutionnel admet l'application immédiate d'une loi nouvelle instituant des mesures de sûreté : mais il s'agit de mesures de sûreté n'ayant pas la nature d'une peine.
Or, comme je me suis efforcé de le démontrer précédemment, la rétention de sûreté est une peine. Par conséquent, l'article 12 du projet de loi, modifié par l'amendement gouvernemental, viole ce principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Il viole un principe fondamental issu de la Révolution de 1789 et qui est énoncé à l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Nous avons une argumentation extrêmement claire en la matière.
Je voudrais maintenant évoquer la déclaration d'irresponsabilité pour cause de trouble mental.
Les dispositions relatives à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental méconnaissent aussi certains principes constitutionnels. Ainsi, les articles 3 et 4 méconnaissent le principe de séparation des fonctions d'instruction et de jugement. Je rappelle que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 novembre 1978, a interdit que les fonctions d'instruction et de jugement soient exercées pour la même affaire et par les mêmes organes.
Or, dans la nouvelle procédure, les déclarations d'irresponsabilité pourraient être rendues non seulement par une juridiction de jugement - le tribunal correctionnel ou la cour d'assises - mais aussi par une juridiction d'instruction - le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction. Les déclarations d'irresponsabilité pourraient être ainsi rendues directement par un juge d'instruction et, le cas échéant, par cette chambre de l'instruction, sans faire l'objet d'un renvoi devant une juridiction de jugement. En l'absence d'un tel renvoi, ces décisions auraient pour effet de permettre à la juridiction d'instruction de se prononcer sur la qualification matérielle des faits commis. Il y a donc violation de ce principe de séparation.
J'avancerai un autre argument : les dispositions relatives à la déclaration d'irresponsabilité ne répondent pas non plus aux exigences constitutionnelles garantissant le droit à un procès équitable.
En effet, la procédure décrite à l'article 3 s'apparente à un procès public. Dans la mesure où c'est une juridiction d'instruction et non une juridiction de jugement qui se prononcerait à la fois sur l'irresponsabilité pénale et l'imputabilité des faits, la présomption d'innocence du malade mental ne serait pas garantie. Par conséquent, ces dispositions méconnaissent l'article 66 de la Constitution, ainsi qu'un certain nombre d'articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
L'article 3 du présent texte est également contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui dispose que « tout accusé a droit [...] à se défendre lui-même ».
La nouvelle procédure prévoit que la comparution de l'accusé est autorisée à la discrétion du président de la chambre de l'instruction, en quelque sorte, qui peut l'ordonner d'office ou à la demande du ministère public ou de la partie civile, mais qui peut aussi ne pas l'autoriser.
Je comprends parfaitement que, dans certains cas, la personne concernée ne puisse pas comparaître dans une procédure publique parce qu'elle n'est pas en état de comprendre ou de participer à la confrontation. Mais il peut également se trouver des cas de personnes qui voudraient se présenter, se défendre - après tout, on sait que les choses évoluent - et qui, pour des raisons diverses, ne seraient pas convoquées. Le caractère contradictoire de la procédure n'est donc pas assuré dans une telle situation.
Le texte proposé à l'article 3 méconnaît aussi le principe de la nécessité des peines posé à l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il y a en effet une grande incohérence à rendre la personne qui a été déclarée irresponsable pénalement punissable de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende en cas de non-respect d'une mesure de sûreté : si elle est irresponsable, on ne peut lui imputer ce non-respect. Nous sommes donc confrontés à une violation de principe.
D'autres arguments pourraient être présentés, en particulier quant à l'inscription au casier judiciaire, mais je ne les développerai pas. Nous avons relevé plus d'une dizaine de causes d'inconstitutionnalité, même après les corrections demandées par le Conseil d'État. Les amendements et sous-amendements déposés sont la preuve des difficultés que vous rencontrez.
Il m'apparaît que votre texte fait eau de toutes parts. Je ne dirai pas que c'est un naufrage du droit pénal français sur les récifs de la Constitution, mais nous n'en sommes pas loin !
Je crains que vous ne connaissiez, au fond, toutes ces raisons d'inconstitutionnalité et qu'il vous importe surtout de faire des effets devant l'opinion publique ; ce sera au Conseil constitutionnel de prendre ses responsabilités en renvoyant votre mauvaise copie !
Pour tous ces motifs, mes chers collègues, il vous est donc proposé d'adopter la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
La commission est tout à fait défavorable à cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Au cours de ses travaux et dans son rapport, la commission s'est longuement interrogée sur la constitutionnalité du texte, en particulier sur quatre points.
Sur les deux premiers, la conformité à la Constitution est claire et sans contradiction possible.
Nous nous sommes tout d'abord interrogés sur la nature de l'autorité appelée à prononcer la mesure. À cet égard, la commission des lois proposera de transformer la commission régionale et la commission nationale de la rétention de sûreté en juridictions. Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, nous prenons toutes les précautions nécessaires en vue de respecter l'article 66 de la Constitution, qui dispose que l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle.
Nous nous sommes ensuite interrogés sur la proportionnalité de la mesure par rapport à l'objectif poursuivi.
Nous avons constaté que le projet de loi prenait toute une série de précautions. La rétention de sûreté n'est en effet que l'ultime recours, puisqu'elle n'est applicable que si les obligations résultant de l'inscription au FIJAIS, le fichier judiciaire national automatisé des infractions sexuelles et violentes, de l'injonction de soin, du placement sous surveillance électronique mobile apparaissent insuffisantes. En outre, il existe diverses possibilités de réexamen du maintien en rétention de sûreté : ainsi, il est prévu non seulement une procédure de révision systématique de la situation de la personne chaque année, mais également la faculté pour l'intéressé de demander tous les trois mois qu'il soit mis un terme à cette mesure.
Il me semble donc que, sur ces deux premiers points, la constitutionnalité n'est pas discutable.
Il n'en est pas de même, je le reconnais, des deux autres points, à savoir la justification de la privation de liberté, autrement dit la référence faite à une décision de Cour d'assises, et les modalités d'application de la disposition dans le temps, pour lesquels des problèmes constitutionnels se posent indiscutablement.
Pour ma part, contrairement à M. Yung ou à Mme le garde des sceaux, je ne me prononcerai pas de façon catégorique sur la nature de mesure de sûreté ou, sinon de peine du moins de mesure prise en considération de la personne et présentant le caractère d'une sanction, car j'avoue mon humble ignorance à cet égard. Le Conseil constitutionnel aura certainement à se prononcer sur ce point. Toujours est-il que cette question a été largement évoquée en commission et que l'examen des amendements nous donnera l'occasion d'en débattre à nouveau.
Je voudrais quand même émettre une hypothèse : supposons que le Conseil constitutionnel, s'il est saisi - je pense qu'il le sera -, considère qu'il s'agit d'une mesure assimilable à une peine et non à une mesure de sûreté. Est-il pour autant inutile d'en débattre dans cette enceinte ? Je ne le pense pas.
J'en veux pour preuve que la commission des lois propose une série d'alternatives, qui n'ont pas encore été supprimées par le sous-amendement n° 78 rectifié ter de M. Portelli prévoyant que, en cas de manquement aux obligations de la surveillance judiciaire, outre la possibilité qui existe déjà dans le projet de loi, la personne est susceptible d'être placée en rétention de sûreté.
La commission propose également d'adapter ce dispositif aux personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité. Cette mesure n'est pas symbolique, puisqu'elle concerne actuellement 500 à 600 personnes dans les prisons françaises. Pour ceux qui ne sont condamnés, si je puis m'exprimer ainsi, qu'à quinze ans ou à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans, la commission propose un renforcement des conditions de la surveillance judiciaire, notamment par l'assignation à résidence, disposition qui n'a pas été supprimée par les amendements votés ce matin en commission.
Comme vous pouvez le voir, les problèmes d'inconstitutionnalité ont été évoqués, étudiés, examinés. Nous savons que certaines difficultés ont été levées et que d'autres demeurent, mais tout l'intérêt du débat sera de continuer à approfondir cette question. C'est pourquoi cela vaut largement la peine de poursuivre notre discussion.
Je demande naturellement au Sénat de rejeter cette motion.
J'ai eu l'occasion de le rappeler, la rétention de sûreté n'est pas une peine. Comme son nom l'indique, c'est une mesure de sûreté.
Vous nous dites, monsieur Yung, que, dès lors qu'il y a privation de liberté, il y a peine. La peine ou la sanction consiste dans le fait de punir en réponse à un comportement coupable. La mesure de sûreté a pour vocation de prévenir la récidive.
La Cour constitutionnelle allemande l'a très clairement dit à propos de la détention-sûreté dans sa décision du 5 février 2004. La détention à titre de mesure de sûreté n'a pas pour but, contrairement à la peine, de réprimer une faute commise, mais de protéger l'ordre public contre l'auteur. Ce n'est pas la faute pénale, mais la dangerosité dont l'auteur a fait preuve qui détermine le prononcé de la détention-sûreté.
Je l'ai indiqué tout à l'heure, il existe des cas de privation de liberté qui ne sont pas des peines : il en est ainsi de l'hospitalisation d'office, qui dure tant que la dangerosité est avérée ; la détention provisoire n'est pas non plus une peine, car la présomption d'innocence s'applique jusqu'à la condamnation définitive.
La rétention de sûreté est une mesure nécessaire, proportionnée et strictement encadrée comme les modalités qui sont décrites et disposées dans le texte. Elle intervient à l'issue d'une procédure en plusieurs étapes qui garantit parfaitement les droits des personnes concernées. Elle procède à la conciliation entre, d'une part, la liberté individuelle et, d'autre part, le droit de tous nos concitoyens d'être protégés par l'État.
Le Conseil constitutionnel le rappelle dans chacune de ses décisions sur ces questions : il appartient précisément au législateur d'assurer cette conciliation.
Nous parlons de criminels condamnés lourdement pour des actes d'une extrême gravité en lien avec un trouble aigu de la personnalité, de criminels qui n'ont pas encore surmonté ce trouble et dont le potentiel d'un passage à l'acte criminel est par conséquent très élevé. Ces criminels recommenceront s'ils sont remis en liberté avant que la cause de leur dangerosité ait été traitée.
Il s'agit donc d'user à leur égard d'une rigueur strictement nécessaire afin de leur éviter une nouvelle condamnation encore plus lourde et d'exposer de nouvelles victimes à un très probable passage à l'acte.
La déclaration d'irresponsabilité respecte le procès équitable. La chambre de l'instruction statuera non pas sur la responsabilité, mais sur l'existence de charges suffisantes. C'est radicalement différent.
Le texte prévoit clairement les droits de la défense de la personne qui comparaît. À chaque fois qu'une personne sera en état de se défendre et qu'elle demandera à venir, sa présence sera obligatoire. Si elle n'est pas en état de se défendre, elle sera représentée par un avocat.
Nous voterons la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité défendue par nos collègues du groupe socialiste. Mais je voudrais expliquer pourquoi, même si ce fait n'est pas très surprenant.
Bien sûr, nous sommes dans l'urgence. Bien sûr, vous voulez absolument obtenir votre loi, madame le garde des sceaux. Tout cela, nous le savons. Mais cela ne justifie pas de jouer sur les mots et d'essayer de passer allègrement d'un concept à l'autre afin de prouver qu'on est dans son bon droit.
La rétention de sûreté constitue à n'en pas douter une peine, même si vous affirmez qu'il s'agit d'une mesure de sûreté. Mais vous pouvez toujours le dire ...
Certes, l'objectif est de prévenir la récidive, comme ce fut le cas avec le bracelet électronique, par exemple. Mais cette fois-ci, la mesure qui est proposée va beaucoup plus loin, puisqu'elle consiste en une privation totale de liberté, pour une durée qui pourrait bien être indéterminée et pour une infraction qui n'existe pas.
Ces éléments semblent permettre de caractériser la rétention de sûreté comme étant une sanction ; il est d'ailleurs prévu que les personnes retenues disposeront des mêmes droits que les détenus. Même vous, monsieur le rapporteur, qui hésitez sur les caractéristiques, vous avez affirmé hier soir sur la chaîne Public Sénat qu'enfermer, peut-être à vie, une personne constituait a priori une sanction.
Une sanction d'un acte qui pourrait être commis.
Par conséquent, cette mesure de rétention de sûreté viole le principe de légalité des délits et des peines et le principe de proportionnalité, prévus par l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Décider de l'application immédiate de la rétention de sûreté aux personnes condamnées avant l'entrée en vigueur de la loi viole manifestement le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. On peut toujours le nier, mais c'est un fait !
Quand bien même la rétention de sûreté serait une mesure de sûreté - faisons mine d'accepter ce tour de passe-passe -, il n'en demeure pas moins que le Gouvernement a sciemment interprété la décision du Conseil constitutionnel du 8 décembre 2005 dans un sens qui l'arrange. Si le Conseil a validé la rétroactivité en matière de surveillance judiciaire, ce fut pour des raisons bien précises, notamment parce que « la surveillance judiciaire est limitée à la durée des réductions de peine dont bénéficie le condamné ; qu'elle constitue ainsi une modalité d'exécution de la peine qui a été prononcée par la juridiction de jugement ». Par conséquent, vous procédez à une interprétation !
Le Gouvernement n'a retenu que le considérant suivant précisant que la surveillance judiciaire « repose non sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité », et il a oublié que la surveillance judiciaire est « une modalité d'exécution de la peine qui a été prononcée par la juridiction de jugement ». Ce n'est pas acceptable ! Le Gouvernement écarte ainsi délibérément les motivations de fond du Conseil constitutionnel.
Il y a bien sûr l'hospitalisation d'office, mais ce n'est pas une décision de justice. Globalement, c'est au législateur, représentant du peuple, de prendre ses responsabilités. C'est à lui de décider que toute personne qui présente un certain nombre de caractéristiques, psychiatriques ou autres - mais on ne sait pas trop bien lesquelles -, doit être enfermé dans un établissement x ou y par l'autorité administrative.
Enfin, la rétention de sûreté applicable à des condamnés dangereux ne correspond à aucune exception admise par l'article 5 de la Convention européenne des droits de d'homme.
Madame le garde des sceaux, vous avez cru bon de citer les attentats du 11 septembre, déclarant que, sans ces derniers, le mandat d'arrêt international n'aurait pas vu le jour. Nous avons en effet le devoir de légiférer quand il se passe des choses graves, mais comparaison n'est pas toujours raison.
Je citerai Guantanamo et les nombreux centres externalisés des Américains sur des territoires où leurs lois ne s'appliquent pas. Les attentats du 11 septembre ne justifiaient pas les traitements infligés à ceux qui sont détenus dans de tels centres. Comme vous le voyez, comparaison n'est pas toujours raison ; mais, quand on fait un parallélisme, il faut aller jusqu'au bout.
Que l'on prenne des mesures à la suite des attentats du 11 septembre et des actes de terrorisme, qui pourrait le contester ? Que l'on prenne des dispositions quand des crimes odieux sont commis et que l'on n'a pas su comment les prévenir, qui pourrait le contester ? Mais d'analogies en parallélismes en passant par les comparaisons qui n'en sont pas, on arrive à justifier l'injustifiable.
Je mets aux voix la motion n° 51, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
La motion n'est pas adoptée.
Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 83, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence (n° 158, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, auteur de la motion.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce projet de loi traite de deux situations très différentes sur le plan juridique : d'une part, des mesures envisagées pour prévenir la récidive de certains criminels condamnés pour des actes particulièrement graves, et qui ont purgé leur peine ; d'autre part, de la manière dont est constatée l'irresponsabilité pour cause de trouble mental des auteurs d'actes graves, mais qui, par hypothèse, ne pourront faire l'objet d'une condamnation pénale.
Le point commun de ces deux situations est la référence au concept de dangerosité, concept sur lequel je voudrais revenir quelques instants.
Si l'on suit à la lettre ce projet de loi, la dangerosité serait une nouvelle qualification qui s'attache aux personnes en cause, mais qui conduirait à la récidive dans le premier cas, à la rechute d'un épisode malheureux de la maladie mentale dans le second cas.
Introduire un nouveau concept au coeur de la procédure pénale est une décision grave et lourde de sens. Cela nécessite que cette notion soit rigoureusement définie et corresponde à une réalité sociale objective.
Force est de constater que le projet de loi que nous examinons aujourd'hui ne s'embarrasse pas de ces précautions. D'après la Commission nationale consultative des droits de l'homme, maintes fois citée, le concept de dangerosité qui nous est présenté n'est qu'une notion émotionnelle dénuée de fondement scientifique.
En effet, le système judiciaire français se fonde sur un fait prouvé et non sur la prédiction aléatoire d'un comportement futur. Or le texte que nous examinons fait reposer la décision du juge non plus sur le constat d'une infraction commise, mais sur un diagnostic psychiatrique de dangerosité, sur une prédisposition innée ou acquise à commettre des crimes.
Il y a derrière cela une philosophie de pacotille qui consiste à penser que les crimes sont non pas des faits sociaux, mais le fruit de différences naturelles : certains seraient prédisposés génétiquement à être pédophiles ou délinquants. Pour eux, nul besoin de justice. Il n'est besoin que de répression et de relégation au ban de la société.
Nous ne pouvons tolérer la mise en place de mesures restrictives de liberté sur une base aussi incertaine. La doctrine sous-jacente de ce projet de loi est que la peine doit non pas seulement sanctionner le crime commis, mais aussi empêcher « ceux qui pourraient être commis à l'avenir » par des individus dont on pense « qu'ils continueront de commettre des crimes abominables ».
Or, de nombreux travaux attestent du caractère extrêmement aléatoire de la prédiction du comportement futur. Que l'évaluation de la dangerosité soit réalisée par un ou deux experts n'apporte pas davantage de garantie scientifique.
D'autant que l'état de dangerosité n'est pas définitif. Beaucoup d'études démontrent que la dangerosité n'existe pas isolément d'un contexte et d'une situation. Madame le garde des sceaux, croyez-vous réellement que l'on puisse condamner sur anticipation ?
Pour rassurer le législateur, et sans doute aussi M. le rapporteur, l'exposé des motifs indique que plusieurs pays, dont les Pays-Bas, « disposent déjà de dispositifs comparables ».
Cette référence au droit comparé est hors de propos. Les systèmes européens étrangers auxquels il est fait référence fonctionnent sur des principes très différents.
Aux Pays-Bas, le placement peut intervenir lorsque la personne a été déclarée irresponsable pénalement ou partiellement irresponsable. Ce placement est dès lors mis en oeuvre en substitution à la peine. Il en est de même en Belgique, où l'internement a lieu en substitution de la peine.
Or, dans votre projet de loi, le placement intervient après que le coupable a purgé sa peine, sans précision de la durée de ce placement.
En Allemagne, il existe, certes, un système de rétention-sûreté après la peine, issu de l'époque hitlérienne.
Je souligne néanmoins que le système pénal allemand est beaucoup moins répressif que le système français au regard de la durée des peines prononcées et que la mesure de rétention ne peut être prononcée qu'en cas de multiplicité d'infractions ou d'antécédents pénaux.
En matière de comparaison internationale, l'exposé des motifs du projet de loi aurait dû faire mention du dispositif actuellement en vigueur en Russie, qui fonctionne selon une articulation comparable à celle du texte qui nous est soumis, c'est-à-dire qu'il permet de mettre à l'écart, sans peine, toute personne présentant une dangerosité sociale, notamment politique.
Le projet de loi que nous examinons n'est donc pas une harmonisation avec la législation européenne. Il s'agit d'un texte extrêmement répressif et stigmatisant. Comment, en effet, ne pas s'inquiéter du lien sous-jacent entre dangerosité et maladie mentale au coeur de ce projet de loi ?
Ce texte assimile les malades mentaux à des délinquants potentiels. Or il est important de rappeler qu'une large majorité des malades mentaux n'est pas dangereuse.
En intégrant dans le même texte mesures de sûreté pour les personnes les plus dangereuses et révision de la procédure pénale pour les irresponsables mentaux, le projet de loi n'atténue pas cette confusion.
Le risque de stigmatisation qui en résulte met à mal l'intégration dans la société de la personne atteinte de maladie mentale et est attentatoire à sa dignité.
De plus, il existe une loi de 1990 qui permet d'interner, donc de retenir administrativement, les malades mentaux, criminels ou pas, même préventivement, en dehors de toute conduite délictueuse ou criminelle, puisqu'ils sont un danger présumé pour eux-mêmes et pas seulement pour autrui.
En conséquence, à quoi bon prévoir une hybridation juridico-administrative pour une catégorie particulière, celle des condamnés à la peine de quinze ans au moins ?
Il n'est pas établi à ce jour d'équivalence certaine entre la dangerosité psychiatrique et la dangerosité criminologique.
Le projet de loi prévoit que cette dangerosité sera appréciée par la commission pluridisciplinaire. Or un médecin psychiatre n'a aucune compétence particulière pour apprécier une dangerosité criminologique ou sociale. Confier une telle mission à l'expert procède d'une dangereuse confusion entre maladie mentale et délinquance.
Les exemples étrangers néerlandais et allemands, auxquels le Gouvernement se réfère pour justifier son texte, démontrent que la question de l'évaluation de la dangerosité est pourtant déterminante.
En effet, aux Pays-Bas un centre d'évaluation est chargé de déterminer l'existence éventuelle d'un trouble mental et d'évaluer une probable dangerosité, ainsi que le risque de récidive.
Cette évaluation se déroule sur plusieurs semaines et procède d'une observation pluridisciplinaire et quotidienne de la personne, laquelle est placée dans une situation la plus proche possible de son mode de vie habituel. Cette expertise coûte 1 000 euros par jour et peut durer sept semaines.
De même, en Allemagne, à la suite de modifications ultérieures de la législation, les conditions de l'expertise ont été améliorées. Cette dernière doit être effectuée par des spécialistes soumis à une formation continue, et les experts ainsi formés utilisent des méthodes d'évaluation avec élaboration de grilles d'analyses, de manière à homogénéiser les critères d'appréciation.
L'expertise se déroule sur deux entretiens d'une durée totale de quatre à six heures et coûte 4 000 euros.
Or ici, contrairement aux pays précités, le texte ne prévoit aucune garantie sur la procédure d'évaluation de la dangerosité. Ce projet de loi contredit les professionnels de la santé mentale, sans tenir compte d'aucune de leurs objections et propositions.
Nous savons que le système pénal français manque cruellement de médecins réellement formés à l'expertise et que les médecins aujourd'hui inscrits sur les listes des cours d'appel ne font pas l'objet d'évaluation particulière quant à leurs compétences.
Pourtant, dans un rapport d'information sur les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses de 2006, Philippe Goujon et Charles Gautier préconisaient de renforcer le dispositif d'expertise français en créant des centres d'expertise pluridisciplinaire où la personne pourrait être observée pendant plusieurs jours.
Visiblement, le projet de loi ne s'embarrasse pas d'une telle garantie. Pourtant, madame le garde des sceaux, vous avez évoqué ce rapport tout à l'heure.
Par ailleurs, l'adoption du principe de dangerosité va avoir de graves conséquences sur les principes qui sont au fondement même de notre système judiciaire.
Aujourd'hui, un seuil est franchi puisque le texte abolit le principe même de la présomption d'innocence, la présomption de dangerosité suffisant à incarcérer un individu alors même qu'il n'a pas commis de crime, sinon celui pour lequel il a déjà purgé une peine.
Avec ce texte, le lien entre l'infraction commise et la sanction est tout simplement supprimé. Le fantasme remplace les faits. Cette « justice de sûreté » contredit notre justice de responsabilité, mettant à mal le principe même de la responsabilité pénale.
Le dispositif prévu procède d'une philosophie de l'enfermement manifestement contraire à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui proscrit toute forme de détention hors les cas prévus par l'article 5.
La logique d'enfermement est, en fait, très clairement revendiquée par le projet de loi puisqu'il est précisé que « pendant cette rétention, la personne bénéficiera de droits similaires à ceux des détenus, en matière notamment de visites, de correspondances ».
En réalité, ce projet de loi s'inscrit dans la culture du « risque zéro » qui, sous prétexte de lutter contre la récidive, impose depuis plusieurs années des législations de plus en plus répressives et attentatoires aux libertés publiques.
Avec une telle loi, quelle perspective auront les condamnés ? Ils ne sauront qu'à l'issue de leur peine si leur incarcération sera poursuivie, sans qu'ils ne sachent pourquoi et pour combien de temps. Dans ce cadre, comment mener une politique de réinsertion de ces personnes ?
L'état désastreux des services psychiatriques des prisons réduit le plus souvent le rôle des personnels soignants à la distribution de médicaments, en particuliers de substitution. Ils ne peuvent assurer un accompagnement des personnes malades.
Nous l'avons dit dans notre intervention générale et nous le répéterons, les prisons françaises sont un milieu pathogène. Ce texte de loi ne fera qu'amplifier ce constat dramatique.
En somme, ce projet de loi, en se fondant sur une notion totalement subjective et stigmatisante, laisse place à l'arbitraire le plus total au lieu de s'inscrire dans une perspective d'accompagnement et de thérapie. Il n'est d'aucune utilité pour des personnes peu ou prou soignées, en rupture de suivi de traitement.
Une fois de plus, le Gouvernement fait le choix du « tout répressif » et de la relégation, et ne répond pas aux drames et à la misère des prisons et des hôpitaux psychiatriques. Comme dans le cas des précédentes lois répressives, il n'est pas envisagé de porter la réflexion sur les dispositifs d'insertion et de probation.
Dès lors, plusieurs interrogations s'imposent. Pourquoi ne pas entamer un suivi médico-social effectif dès le début de l'incarcération et attendre la fin de la peine pour mettre en oeuvre un suivi consistant ? Pourquoi ne pas envisager de placer la personne condamnée dans un centre socio-médico-judiciaire dès le début de la peine ?
Tant qu'on ne s'occupera du devenir des condamnés qu'à leur sortie de prison, le temps de détention demeurera, je le crains, un temps mort !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Mme Josiane Mathon-Poinat nous propose de considérer qu'il n'y a pas lieu de délibérer. C'est donc qu'il n'y aurait pas de problème !
Or le problème - chacun le reconnaît - est évident, tout comme l'est également le vide juridique. J'ai cité tout à l'heure des directeurs de prison et les personnels de l'administration pénitentiaire, les médecins et les psychiatres. Tous reconnaissent que, dans chacun des établissements, quelques personnes poseraient des problèmes de sécurité tout à fait sensibles si elles étaient remises en liberté à l'issue de leur peine. Le problème existe donc.
J'ajoute qu'il y a bien des points sur lesquels je rejoins ma collègue, notamment en ce qui concerne l'évaluation de la dangerosité.
À cet égard, notre pays accuse un retard assez considérable par rapport à de très nombreux pays voisins. Or ce projet de loi et les amendements déposés par la commission des lois devraient justement, à mon avis, nous permettre de rattraper ce retard.
En effet, nous proposons qu'il y ait une réelle évaluation pluridisciplinaire. Cette dernière ne pourra pas être effectuée par la commission pluridisciplinaire, qui est une commission administrative. Il ne suffit pas de la baptiser « pluridisciplinaire » pour que l'évaluation soit effectivement pluridisciplinaire !
C'est la raison pour laquelle nous proposons que le Centre national d'observation - il est situé aujourd'hui à Fresnes, mais il pourra être implanté ailleurs demain - fasse réaliser une véritable étude pluridisciplinaire par des psychiatres, des médecins, des travailleurs sociaux, des sociologues, des juristes, des personnels pénitentiaires, et ce pendant une durée déterminée.
Nous avons proposé de fixer ce délai à six semaines et, à la demande de notre collègue Robert Badinter, nous avons précisé que ces six semaines étaient un minimum.
Il y aura donc un temps d'observation.
Vous nous opposez, madame la sénatrice, le coût de ces initiatives. De telles critiques ne sont pas systématiquement justifiées.
Je rappelle que le budget de la justice est celui qui a évolué le plus entre 2002 et 2007 puisqu'il a augmenté de 38 %. Il est également celui qui a progressé le plus lors de la dernière loi de finances.
En outre, des structures comme les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs ont un prix de journée tout à fait comparable à celui que vous évoquiez voilà un instant.
Nous voulons mettre en oeuvre cette évaluation parce qu'il y a un véritable besoin. Nous voulons faire en sorte que la dangerosité qui, aujourd'hui, en France, est appréhendée d'une façon que je qualifierai d'artisanale, le soit de manière plus fiable et professionnelle.
Pour cela, il faut une évaluation pluridisciplinaire, que nous mettons en place. Mais il faudra certainement que cette évaluation clinique soit couplée avec une évaluation statistique ou une évaluation aidée par des références actuarielles.
Ces deux évaluations nous permettront non pas d'atteindre la certitude, car en cette matière le risque zéro n'existe pas - sur ce point, je vous rejoins, madame Mathon-Poinat -, mais d'approcher une estimation convenable de la dangerosité.
Nombre d'aspects de ce texte rejoignent les préoccupations qui sont les vôtres, madame la sénatrice, et c'est quasiment pour vous être agréable que je me prononce contre cette motion tendant à opposer la question préalable !
Le Gouvernement partage l'avis de la commission.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 83, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
La motion n'est pas adoptée.
Je suis saisi, par MM. Collombat, Badinter, Frimat, C. Gautier, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 50 tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale le projet de loi (n° 158, 2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la motion.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, M. le rapporteur vient de nous dire qu'il convient de continuer à délibérer. Je suis tout à fait d'accord avec lui !
Je souhaite néanmoins le renvoi du texte à la commission des lois, car, à mon avis, malgré tous les efforts qui ont été faits, cinq questions essentielles ont été contournées.
Première question : faut-il continuer à légiférer « hors sol », autrement dit sans avoir les moyens d'appliquer correctement ce que l'on vote ?
La lecture tant du dernier rapport de la commission d'analyse et de suivi de la récidive que du rapport de Jean-René Lecerf est édifiante.
La commission de suivi relève que les moyens de l'application effective des précédentes lois manquent. Ainsi, l'injonction de soin stagne faute de psychiatres et de thérapeutes formés au traitement de la délinquance sexuelle.
« L'évaluation de la dangerosité est aujourd'hui très insuffisante en France », souligne M. le rapporteur. Il note également « les grandes insuffisances du système français », conclusion confirmée par le professeur Jean-Louis Senon, lors de son audition devant la commission des lois.
La commission de suivi regrette qu'aucune évaluation des mesures de sûreté mises en place depuis la loi Perben II n'ait été faite : la notion de « dangerosité avérée à la sortie de prison [...] n'est pas encore bien définie par les praticiens, qu'ils soient experts, personnels pénitentiaires ou mêmes juges d'application des peines. »
Pour M. le rapporteur, le Centre national d'observation de Fresnes, élément central du dispositif, ne dispose ni d'une méthodologie d'évaluation suffisante en matière de dangerosité ni des moyens matériels nécessaires à la mission qui lui sera assignée.
Selon Jean-Louis Senon, pas plus de trois ou quatre équipes seulement sont susceptibles, en France, de traiter les délinquants sexuels présentant des troubles de la personnalité ou du comportement. On est loin du dispositif québécois avec le centre Pinel de Montréal, les institutions carcérales disposant de moyens spécialisés, et avec le regroupement des intervenants en matière d'agression sexuelle, le RIMAS, réseau d'institutions, de psychiatres, de psychologues et de criminologues.
J'en viens à la deuxième question.
Jusqu'à présent, lutte contre la récidive, particulièrement en matière sexuelle, a surtout signifié alourdissement des peines et simplification des procédures. Depuis quelques années s'y sont ajoutées les mesures dites de sûreté que renforce considérablement le présent projet de loi. Comment ces deux approches s'articulent-elles ? On ne le sait pas.
Les législations pénales forment système et l'on ne peut se contenter d'importer des dispositifs de sûreté allemands ou canadiens en oubliant que, dans ces pays, les peines, notamment pour délits sexuels, y sont bien moins élevées qu'en France.
Ainsi, une personne coupable d'inceste sera condamnée à quatre ans de réclusion en Allemagne et à douze ans en France.
Selon Xavier Lameyre, « dès 1990, sur le vieux continent, notre pays est celui qui condamnait à la prison le plus fréquemment et le plus longuement les auteurs de viol ».
Selon les statistiques du Conseil de l'Europe, au 1er septembre 2005, la part des détenus condamnés pour une peine égale ou supérieure à dix ans, hors perpétuité, est plus élevée en France - 21, 5 % - que dans la plupart des autres pays de l'Union européenne, particulièrement ceux qui pratiquent les mesures de sûreté : 1, 6 % en Allemagne, 4, 9 % aux Pays-Bas, 7, 6 % en Angleterre et au Pays de Galles.
Peut-on sérieusement continuer à empiler les dispositifs répressifs sans se poser la question de leur efficacité et de leur articulation ? Peut-on se satisfaire de voir la France conjuguer les pénalités à durée déterminée les plus lourdes, les peines incompressibles les plus longues, la détention à perpétuité avec l'équivalent des peines à durée indéterminée des Anglo-Saxons ?
Troisième question : la « rétention de sûreté » peut-elle trouver sa place dans notre code pénal ?
En France, à ce jour, une condamnation pénale résulte obligatoirement de trois catégories d'actes : actes intentionnels ayant ou non créé un dommage ; actes non intentionnels ou omission d'obligations ayant créé un dommage, actes préparant manifestement la commission de délits, tel le cas de « l'association de malfaiteurs », par exemple.
La rétention de sûreté, vous le savez, n'entre dans aucun de ces cas : pas d'acte intentionnel ou d'omission d'obligation, pas de préparation d'actes délictueux identifiables, pas de dommages constatables ou de victime ; simplement, une probabilité de récidive, un état de la personnalité.
Qu'on les appelle « peines » ou « mesures de sûreté », les sanctions prononcées par des juridictions pénales sont des peines : peine principale, peines complémentaires, modalités d'application de la peine. Le nouveau code pénal le prévoit expressément, les jurisprudences du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l'homme, de la Cour de cassation le confirment. C'est pourquoi la « surveillance judiciaire » après la libération du condamné n'a pu être étendue, malgré le souhait du Gouvernement, au-delà de la durée des réductions de peine dont il a pu bénéficier.
Surveillance judiciaire, suivi socio-judiciaire, placement sous surveillance électronique mobile sont des modalités d'application de la peine.
Proportionnée à la gravité de l'infraction, la peine a aussi une limite, même si cette dernière peut être celle de la vie du condamné. Sa peine exécutée et les réparations accomplies, l'auteur des faits sort du champ pénal.
Avec la rétention de sûreté, tout se brouille. Étrange chimère, elle tient à la fois de la peine, de la mesure de police et du soin médical.
C'est une peine : elle est, en effet, prononcée par des magistrats et ne s'applique qu'à des personnes par ailleurs lourdement condamnées. Pour être compatible avec l'ordre juridique existant, elle doit obligatoirement être une peine.
Elle ne saurait donc être appliquée rétroactivement.
Si la rétention de sûreté prononcée dans le cadre de l'exécution d'une peine est une peine, celle qui est prononcée après son exécution n'est pas une peine.
« Dès lors qu'un condamné a effectué sa peine, il sort du champ judiciaire », nous a clairement dit le procureur général Jean-Olivier Viout.
Le placement sous surveillance électronique mobile prononcé après l'exécution de la peine ne peut pas non plus être une peine.
Alors, si ce n'est pas une peine, c'est donc une mesure de police trouvant son origine non dans une infraction, mais dans le risque indéfiniment renouvelable qu'une personnalité fait courir à la société ; ce ne peut donc être une peine.
Logique, le procureur général Viout en conclut que la décision relève de l'autorité administrative : des préfets, éventuellement sur proposition du ministère public, mais non du juge. Pour lui, permettre au juge pénal de prononcer des mesures restrictives de liberté indépendamment d'une reconnaissance de culpabilité pénale brouille les rôles puisque le juge rend des décisions de police. Il y voit une rupture avec l'état du droit en vigueur et un retour en arrière.
Ce retour en arrière est encore plus considérable qu'il ne l'imagine, puisque sont ainsi passées par profits et pertes la Déclaration des droits de l'homme et la Convention européenne des droits de l'homme.
Donner à une autorité administrative le pouvoir de priver de liberté, à vie, une personne exempte de maladie mentale et pénalement responsable, telle est la « rétro-novation » apportée par la rétention de sûreté.
Pour ajouter à la confusion, la rétention de sûreté est aussi un traitement médical, socio-médical, socio-médico-judiciaire, on ne sait pas très bien, mais c'est autre chose qu'un enfermement sanction.
Selon le texte, il s'agit de placer « la personne intéressée dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale et sociale destinée à permettre la fin de la rétention. ».
Le problème, c'est qu'il n'existe pas vraiment de traitement des troubles de la personnalité ou du comportement. Sur ce point, le consensus des experts est total.
À la différence de la maladie mentale, il n'existe pas de définition incontestable des troubles de la personnalité ou du comportement sexuellement déviant. Les traitements existants procèdent d'un empirisme total et leurs résultats sont aléatoires. C'est particulièrement vrai des personnes visées par le texte qui assument largement leurs comportements et refusent d'en changer.
Le professeur Jean-Louis Senon constate « le désarroi du monde judiciaire comme sanitaire face aux problèmes posés par les personnalités pathologiques de type psychopathique [...] qui ne trouvent pas de réponses sanitaires, pas plus que sociales, éducatives ou pénitentiaires adaptées et qui interpellent la justice par leurs récidives comme par leurs troubles graves du comportement notamment dans les institutions pénitentiaires ».
M. le rapporteur en conclut donc que « les personnes atteintes de troubles graves de la personnalité ne sont pas, en l'état actuel des connaissances, selon une majorité de psychiatres, susceptibles de soins. »
Même au Québec, qui s'est doté depuis longtemps de moyens intellectuels, en personnel et en matériels sans commune mesure avec la France, le pragmatisme, pour ne pas dire le bricolage, est de mise. Les résultats du traitement des délinquants sexuels, en général, n'y sont pas probants et, en ce qui concerne les délinquants sexuels dangereux, ils sont inexistants.
Le centre pénitentiaire de la Macaza avance un taux de réitération des délinquants sexuels traités de 8 %, pour un taux français de 13, 5 %. Toutefois, à l'Institut Pinel, nous a été communiqué un taux de 15%.
Selon le criminologue américain Hanson, rien ne prouve que les délinquants sexuels bénéficiant d'une prise en charge récidivent moins que les autres.
Au Québec, seuls deux délinquants sexuels dangereux sur trente-huit ont été remis en liberté, pour cause de vieillesse. C'est le signe que les traitements n'ont eu aucun effet sur eux !
On est loin des espoirs suscités par une imminente révolution des neurosciences.
Peine, la rétention de sûreté n'a pas grand intérêt. Mesure de police, elle n'est pas compatible avec notre ordre juridique. Mesure de soin, son efficacité reste à prouver.
Pour le moins, selon la formule de M. le rapporteur, la rétention de sûreté présente « un caractère très novateur ».
Quatrième question : que signifie mesurer la « dangerosité » ?
Toute la fiabilité du dispositif dépend de celle de l'évaluation de la dangerosité ; or cette dernière est problématique.
« Définir la dangerosité reste [...] une entreprise malaisée tant les approches de cette question sont multiples et parfois contradictoires », nous dit encore M. le rapporteur.
La définition de la dangerosité criminologique posant problème, celle de son évaluation en soulève encore plus, même là où elle est le mieux faite.
Je regrette de ne pas avoir le temps de traiter des méthodologies mises en oeuvre, car c'est dans les détails qu'est le diable.
Je me bornerai à constater que la fameuse « approche pluridisciplinaire » signifie en fait « bricolage avec les moyens du bord ». On prend tous les instruments à sa disposition sans savoir s'il y a cohérence entre eux.
« On est prudents et modestes », nous a dit le directeur du centre Pinel, on ne peut plus conscient des limites de ce que son équipe peut donner.
En effet, je veux attirer votre attention sur le fait que, la dangerosité n'étant pas une grandeur physique, son évaluation résulte d'un calcul de risque.
Cela signifie que le classement dans la catégorie « dangereux » dépend non seulement du niveau de risque accepté mais aussi de l'importance des dégâts potentiels. Il résulte d'un arbitrage entre probabilité de récidive et horreur de ses conséquences.
Ainsi, au Canada, les taux de classements varient de 1 à 5 selon les provinces, ce qui signifie que l'exceptionnel est à géométrie variable.
Cela signifie qu'il n'y a aucune certitude qu'un individu classé dangereux passera réellement à l'acte, ni que celui qui ne l'aura pas été ne récidivera pas.
Selon l'exposé des motifs du projet de loi, la rétention de sûreté ne « pourra s'appliquer que de façon exceptionnelle, dans des cas d'une particulière gravité. Elle ne devrait concerner chaque année qu'une dizaine à une vingtaine de condamnés ». Ce chiffre, ramené à la population, représente le taux québécois, soit 12, 3.
Dans le rapport de M. Jean-René Lecerf, cependant, il est question de 58 personnes condamnées, soit cinq fois plus.
En Allemagne, l'équivalent de la rétention de sûreté, qui reste limitée dans le temps, touche 350 personnes, soit un équivalent de 290 personnes pour la France.
Passer de 10 à 60 et de 60 à 300 personnes, c'est changer la nature de la mesure, c'est augmenter de façon exponentielle le risque d'ôter à tort la liberté à quelqu'un et de multiplier les « Outreau silencieux », dont nous nous préoccupions dans cette même assemblée, voilà moins d'un an.
Le directeur du centre Pinel, après nous avoir indiqué que 15 % des délinquants sexuels récidiveraient, nous a posé la vraie question : « Faut-il aussi incarcérer les 85 % qui ne récidivent pas pour faire cesser toute récidive ? »
J'en arrive à ma cinquième et dernière question : en n'acceptant plus les risques de la liberté, à laquelle nous préférons de plus en plus la sécurité, quel type de société construisons-nous ? Pas un totalitarisme au sens classique, même si celui-ci présente bien des affinités avec le désir profond de sécurité qui travaille nos sociétés : l'origine de la législation allemande nous le rappelle. Mais c'est autre chose qui est en train de se jouer.
« Aujourd'hui, disait déjà Michel Foucault, le rapport d'un État à la population se fait essentiellement sous la forme de ce qu'on pourrait appeler ? le pacte de sécurité ?. [...] L'État qui garantit la sécurité est un État obligé d'intervenir dans tous les cas où la trame de la vie quotidienne est trouée par un événement singulier, exceptionnel. Du coup, la loi n'est plus adaptée ; du coup, il faut bien ces espèces d'interventions, dont le caractère exceptionnel, extralégal, ne devra pas apparaître du tout comme signe de l'arbitraire, mais au contraire d'une sollicitude. Ce côté de sollicitude omniprésente, c'est l'aspect sous lequel l'État se présente. C'est cette modalité-là du pouvoir qui se développe [...]. »
Toute la question politique qui nous est posée porte sur le prix à payer - en termes de liberté et de démocratie, d'autonomie personnelle, de sociabilité - pour cette société de sécurité qui se construit sous nos yeux et dont vous nous avez vanté les mérites, madame le garde des sceaux. Totalitarisme mou, d'un genre tout à fait nouveau, où le peuple est à lui-même son propre tyran. Toutes ces questions en suspens valent bien un retour en commission ! Je vous remercie d'y penser.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
La pertinence et l'excellence des propos tenus par Pierre-Yves Collombat sont la meilleure preuve de l'inutilité d'un renvoi à la commission. Elles démontrent en effet amplement sa parfaite connaissance des problèmes dont nous débattons et illustrent le fait que la commission des lois, qui a participé à cette information générale, a convenablement fait son travail. Votre rapporteur a d'ailleurs été très sensible aux propos très aimables que les différents groupes ont bien voulu tenir à son égard et il tient à les en remercier.
La commission des lois ne s'est pas intéressée à ce dossier de manière superficielle. Je rappellerai que Philippe Goujon et Charles Gautier ont, voilà deux ans, rédigé un rapport tout à fait important qui a largement contribué à forger ma conviction et que je cite abondamment dans mon propre rapport. Environ quarante personnalités ont été auditionnées, tantôt par la commission, tantôt par le rapporteur. Ce dernier a d'ailleurs été extrêmement heureux que ses auditions, où il se sent parfois très seul, aient attiré jusqu'à une dizaine de ses collègues, ce qui démontrait bien leur intérêt.
J'ajouterai que nous avons organisé de nombreuses missions, en France - notamment des visites d'établissements pénitentiaires - et à l'étranger : en Belgique, Robert Badinter, Alima Boumediene-Thiery et moi-même avons pu étudier la cohérence du système belge, qui nous a impressionnés, notamment s'agissant du traitement des malades mentaux ; Pierre-Yves Collombat, Michèle André, Alima Boumediene-Thiery et moi-même nous sommes également rendus au Royaume-Uni.
Enfin, j'ai effectué avec Pierre-Yves Collombat un déplacement au Québec, dont je n'ai d'ailleurs pas retiré la même impression que lui. Je serai un peu plus indulgent à l'égard des résultats obtenus par ce pays.
Le traitement quelque peu acharné, il est vrai, des délinquants sexuels au Québec enregistre des résultats intéressants : le taux de réitération serait de 8 % contre un taux de 13, 5 % en France ; cela fait une différence !
J'ajoute que Pierre-Yves Collombat a été relativement injuste en disant que seuls deux délinquants avaient pu retrouver la liberté au Québec. En effet, ces deux personnes faisaient partie des délinquants considérés comme dangereux. Or, au Québec, cette catégorie résulte d'un classement : le délinquant dangereux est condamné à une peine indéterminée, et l'on constate très souvent que les personnes relevant de cette catégorie ne sortent pas de prison, ou n'en sortent que lorsqu'elles sont très âgées et ne présentent plus aucun caractère dangereux.
Mes chers collègues, nous avons parfois des opinions différentes sur le projet de loi qui nous est présenté, et ces divergences ne recouvrent pas systématiquement les clivages des différents groupes. Cela ne signifie pas que nous soyons mal informés ! Pierre-Yves Collombat a brillamment démontré le contraire. Le renvoi de ce projet de loi à la commission ne me paraît donc pas utile. C'est pourquoi je vous demande de voter contre cette motion.
Je partage l'avis de la commission, monsieur le président.
La motion n'est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Roland du Luart.