Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 30 janvier 2008 à 15h00
Rétention de sûreté — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Le projet de loi crée des centres socio-médico-judiciaires de sûreté. Le texte initial prévoyait que seules les personnes condamnées à une peine supérieure ou égale à quinze ans de prison pour crime, torture ou actes de barbarie et viol commis sur des mineurs de quinze ans pouvaient y être placées. Des députés, toujours prompts à la démesure, ne se sont pas privés d'étendre cette liste, à laquelle ils ont ajouté l'enlèvement et la séquestration, et le tout en visant aussi les victimes majeures.

On peut débattre de cette question, mais ce qui est grave et inquiétant, c'est le flou des notions utilisées et la propension à étendre le champ d'application des dispositifs.

Ainsi, les personnes condamnées dans ces conditions et qui présentent un trouble grave de la personnalité, une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau l'une de ces infractions, pourront, à l'issue de leur peine, être placées dans un centre de rétention de sûreté pour un an, mesure renouvelable indéfiniment pour la même durée.

Pour la première fois depuis 1789, le lien de causalité entre une infraction et la privation de liberté est rompu. La personne ainsi « condamnée » à la rétention aura déjà purgé sa peine. Or le seul fait qu'elle puisse éventuellement commettre une nouvelle infraction conduirait, si ce projet était adopté, à la maintenir à l'écart de la société pour une durée dont elle n'aura pas connaissance.

Une peine de prison a une durée définie. Au mieux, elle est diminuée en fonction des réductions de peine accordées. Tel ne sera pas le cas pour la rétention de sûreté, qui, bien pis, pourra voir sa durée rallongée année après année. C'est une véritable relégation à perpétuité qui est prévue ici.

Soyons clairs : il s'agit d'une condamnation à perpétuité conditionnée à une évaluation !

J'ai la désagréable sensation que nous atteignons ici la limite qu'un État de droit ne peut théoriquement pas franchir. Je comprends d'autant moins cet extrémisme que, faut-il le répéter, le code de procédure pénale n'est pas exempt de mesures censées lutter contre la récidive. Tout est déjà prévu : le suivi socio-judiciaire depuis dix ans, le bracelet électronique, la surveillance judiciaire ou encore l'inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles, le FIJAIS, ces trois derniers moyens ayant été présentés jusqu'à présent par vos prédécesseurs comme la panacée en matière de prévention de la récidive. Malheureusement, on ne peut pas en faire l'évaluation.

Même les peines plancher ne semblent pas vous convaincre de leur efficacité, puisque vous présentez un nouveau texte six mois après leur création. Les condamnés pour des crimes sexuels bénéficieraient-ils de tous ces dispositifs ? Non. Ceux qui ont malheureusement récidivé, qui ont défrayé la chronique des faits divers, en ont-ils bénéficié ? Pas plus. Pourquoi ? Par manque de moyens, de personnels et de volonté politique.

Avez-vous dressé un bilan de l'application de la loi du 12 décembre 2005 avant de vous lancer dans ce dangereux projet ? Non, puisqu'il est difficile d'y procéder aujourd'hui.

De même, la question des causes de la délinquance n'est jamais traitée, pas plus dans ce texte que dans les trois précédents.

Exclure d'office toute cause sociale à des troubles de la personnalité traduit la volonté de fermer les yeux sur la violence qui s'exerce dans notre société et que certains individus ne peuvent gérer.

On ne peut occulter l'environnement d'une personne dont on veut comprendre le comportement.

Vous avez enfin trouvé la solution à un problème qui vous taraude depuis 2002 : comment faire croire à un risque zéro de récidive ? En enfermant à vie les personnes qui potentiellement pourraient à nouveau commettre un crime ! L'étape suivante sera-t-elle d'enfermer à vie les personnes qui pourraient potentiellement commettre un crime ?

Si l'on se fie à la volonté de certains, tels que le député Jacques-Alain Bénisti ou encore l'ancien ministre de l'intérieur, aujourd'hui Président de la République, il serait possible de prédire, à partir de comportements considérés comme anormaux ou à partir de ses antécédents génétiques, qu'un enfant va devenir un délinquant, un pédophile ou une personne suicidaire.

Un tel projet de loi ouvre une brèche sans précédent vers l'enfermement de précaution.

Madame le garde des sceaux, vous dites vous inspirer des exemples étrangers. Certes, le Canada, les Pays-Bas ou encore l'Allemagne ont mis en place des mesures de rétention de sûreté. Mais vous oubliez l'essentiel : dans ces pays, l'évaluation et la prise en charge des détenus considérés comme dangereux ont lieu dès le début de la détention. Ils constituent une modalité d'exécution de la peine et concernent des irresponsables ou des responsables pénaux. C'est une philosophie totalement différente.

Comment peut-on en même temps ne rien faire pendant quinze ou vingt ans et s'engager à prendre en charge médicalement des personnes considérées comme dangereuses, prise en charge dont on nous disait qu'elle est très difficile à mettre en oeuvre à l'heure actuelle ? Qui croire et comment s'y retrouver ?

C'est oublier, une fois de plus, que la détention accroît bien souvent des troubles psychiques, qu'il s'agisse de troubles du comportement, de la personnalité ou d'autres maladies mentales.

Enfin, c'est admettre que ces longues années de détention n'ont servi à rien, puisque la personne est toujours considérée comme dangereuse, comme elle l'était au début.

Pourquoi, par conséquent, ne pas évaluer son comportement dès le début de l'incarcération, non pour dresser un constat, mais pour tirer un certain nombre de conséquences sur la durée de celle-ci ?

Par ailleurs, les pays étrangers ont fait le choix, malgré son coût particulièrement élevé, d'organiser une prise en charge structurée et interdisciplinaire des détenus considérés comme dangereux. Tel n'est pas votre choix, madame le garde des sceaux, puisque ce projet de loi n'est assorti d'aucune mesure budgétaire. Pourtant, cet enfermement nouveau coûtera cher !

S'agissant maintenant du volet relatif aux irresponsables pénaux, ce texte ne peut pas plus emporter notre adhésion. Après le drame de Pau, il était question de juger les irresponsables pénaux. Sans aller jusque-là, ce projet de loi crée néanmoins une procédure juridictionnelle hybride, qui n'est pas un jugement et qui ne permet même pas une amélioration de la prise en charge psychiatrique de ces malades.

L'audience devant la chambre de l'instruction s'apparente effectivement à une audience juridictionnelle de droit commun, mais le problème est qu'elle va aboutir à un préjugement qui va déterminer si les faits sont imputables à la personne considérée comme irresponsable et si celle-ci est effectivement irresponsable.

Si la chambre de l'instruction estime que l'article 122-1 du code pénal n'est pas applicable, elle devra renvoyer la personne devant la juridiction de jugement compétente. Il sera alors difficile à cette dernière de se prononcer de façon impartiale, puisque les faits auront déjà été imputés à l'accusé.

Autant le terme de non-lieu, si l'on s'en tient aux questions de vocabulaire, peut être problématique, autant rien ne justifiait cette procédure quelque peu bizarre.

Enfin, le projet de loi prévoit l'inscription au casier judiciaire de la déclaration d'irresponsabilité pénale, alors même qu'il ne s'agit pas d'une condamnation, ainsi que l'application de mesures de sûreté à l'égard d'une personne dont le discernement a été aboli, laquelle, de surcroît, si elle ne les respectait pas, pourrait se voir appliquer une peine de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende ! Que va-t-on faire ? Va-t-on déclarer une nouvelle fois qu'elle est irresponsable pénalement ?

Décidément, ce projet de loi ne peut emporter notre adhésion, tant sur la forme, l'urgence ayant été déclarée, que sur le fond.

Ce texte, qui bafoue un nombre important de principes fondamentaux et constitutionnels, représente un véritable danger pour notre État de droit. Le simple fait de rendre rétroactives les dispositions sur le placement en rétention de sûreté en est une illustration.

M. le rapporteur, qui a pris le temps d'auditionner beaucoup de monde, ce dont nous le félicitons, a fait de gros efforts pour rendre ce texte acceptable du point de vue du droit et a tenté de le rendre conforme au principe de non-rétroactivité. Hélas ! ce matin, la majorité a elle aussi fait de gros efforts pour battre M. le rapporteur !

Je ne peux croire que notre pays s'engage dans une voie aussi obscure que celle qui est proposée par le Gouvernement, qui fait de la relégation sociale un mode de gestion des personnes. Nous vous proposerons une rédaction très différente pour l'article 1er. Malheureusement, je sais que cela n'intéresse pas du tout la commission des lois. C'est pourquoi mon groupe et moi-même voterons résolument contre ce texte.

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