Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 30 janvier 2008 à 15h00
Rétention de sûreté — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Des voix, dont certaines particulièrement autorisées, se sont élevées pour dénoncer dans la rétention une variante de la peine, « une peine après la peine », ce qui est à mon sens une assimilation abusive, voire une caricature au regard d'une réalité que nul ne conteste : il existe des individus qui ne peuvent pas s'empêcher de commettre certains crimes et qui trouvent dans cet acte même le plus naturel et le plus légitime des accomplissements. C'est ainsi !

Voilà plus d'un demi-siècle, le romancier anglais Evelyn Waugh évoquait très précisément ce type de situation dans sa nouvelle intitulée La petite sortie de M. Loveday. Il y raconte l'histoire de cet étrangleur de femme, qui, après avoir vécu d'une manière exemplaire dans un asile pendant des dizaines d'années, bénéficie enfin d'une permission de sortie dont il revient après deux heures se déclarant « satisfait d'en avoir bien profité ». On découvre peu après qu'il a en effet répété sur la première femme rencontrée le crime pour lequel il avait été condamné trente-cinq ans plus tôt. Je vous recommande la lecture de cette nouvelle, mes chers collègues.

Nul ne peut nier de telles éventualités, que l'actualité nous remet trop souvent en mémoire, et nul ne devrait nier l'obligation qui nous incombe de mettre de telles personnes hors d'état de nuire, tout simplement. Dès lors, il nous faut accepter de passer du concept faute/punition, auquel nous sommes habitués, au concept dangerosité/prévention et admettre que, si l'exécution de la peine purge en quelque sorte les conséquences de la faute, parce qu'elle acquitte le prix de celle-ci - j'emprunte cette formule à l'un de nos collègues, qui se reconnaîtra -, il en va tout autrement de la dangerosité, qu'il ne s'agit pas de corriger mais dont il convient de prévenir les conséquences dans une démarche de nature sanitaire - M. About le rappelait tout à l'heure - et non morale ou moralisatrice, démarche tendant à soigner pour empêcher et non à punir.

Il est du devoir de la société de refuser la loi de la fatalité et de faire tout ce qui peut être fait pour l'empêcher. C'est ce qui justifie l'instauration de la rétention, au principe de laquelle nous souscrivons pleinement non seulement dans l'intérêt des victimes potentielles, mais dans l'intérêt même des individus concernés - j'y reviens-, puisqu'elle leur évite le risque d'une récidive dont nous admettons qu'elle est pratiquement inévitable et qui les ramènerait, cette fois pour une durée indéterminée beaucoup plus longue, dans la situation de détention infiniment plus éprouvante moralement et pratiquement que celle de la rétention.

C'est dans ce sens, et dans ce sens seulement, qu'il faut évoquer la perspective de ce qui serait une « peine après la peine », cher ami Robert Badinter, parce que, entre-temps, il y aurait eu une récidive que nous voulons précisément éviter.

Nous souscrivons donc aux intentions des auteurs de ce projet de loi et, pour l'essentiel, aux dispositions qu'ils proposent.

Encore faut-il, et c'est une condition essentielle, que le régime de la rétention ne puisse apparaître, mis à part la nécessaire privation de liberté, que l'on ne peut éviter, comme une détention qui ne voudrait pas dire son nom. Je me permets de demander, à cet égard, que des précisions soient apportées sur l'idée que le Gouvernement se fait de ce régime. Je rejoins ici les préoccupations exprimées tout à l'heure par M. About. Dans quelles conditions seront logés les individus concernés ? Je suppose qu'il s'agira de chambres convenables et non de cellules telles que nous les connaissons. L'hygiène sera-t-elle satisfaisante ? Quelles seront au quotidien les conditions de vie, sachant que la liberté doit y être aussi large que possible ? Des activités et des loisirs seront-ils prévus ?

J'ai la conviction que quelques précisions concrètes seraient de nature à apaiser les inquiétudes que peuvent éprouver ceux-là même qui ne nourrissent pas de prévention à l'égard d'un projet dont ils admettent la nécessité.

Une autre question appelle des précisions qui sont tout à fait nécessaires, me semble-t-il, pour clarifier les problèmes et répondre en particulier - M. Dreyfus-Schmidt devrait être satisfait - à l'objection d'effet rétroactif que certains soulèveront contre ce texte.

Il s'agit de la référence, comme condition préalable essentielle, à une condamnation originelle qui serait d'une particulière gravité. Je n'ai aucun mal à comprendre que l'expertise de dangerosité prévue par le projet de loi et susceptible de provoquer la décision de rétention soit limitée aux individus ayant fait l'objet de telles condamnations, ayant purgé leur peine et dont la prochaine mise en liberté, même surveillée, oblige à poser la question de la « dangerosité ». Mais il s'agit là d'une condition préalable et non de la cause, du fondement de la mise en rétention.

Il s'ensuit que cette cause résidant dans l'état mental de la personne concernée, tel qu'il est au moment de l'expertise médicale prescrite - c'est-à-dire hic et nunc - et renouvelée à tout le moins d'année en année, se situe nécessairement à une date postérieure à la loi. Dès lors, il n'est pas question de rétroactivité, car c'est l'expertise qui est le fondement de la décision, et elle est forcément postérieure à la loi.

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