Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il est des jours où l'on ressent le besoin irrépressible de s'exprimer parce que l'on a le sentiment que les règles très importantes qui fondent notre droit depuis 1789 sont remises en cause.
C'est un principe essentiel de notre droit - cela a été dit, et brillamment - que, lorsqu'un être humain a purgé sa peine, il a purgé sa peine.
Vous nous proposez aujourd'hui, madame le garde des sceaux, de condamner des êtres humains à une rétention de sûreté sur le simple fondement d'une éventualité, d'une possibilité, d'une virtualité, de l'hypothèse d'un crime toujours imaginable ! C'est contraire au droit, et, comme tout le monde ici, vous le savez bien !
La rétention de sûreté que vous proposez est grave et dangereuse. On en vient à se demander si Michel Foucault n'a pas écrit des centaines de pages sur la prison en vain, inutilement !
Dix jours après avoir promulgué une loi sur la prévention de la récidive, le Président de la République a annoncé sur le perron de l'Élysée qu'une nouvelle loi était nécessaire derechef, alors même que la première n'avait pas été mise en oeuvre, qu'aucun décret n'était paru. Est-ce là une bonne façon de légiférer ? Tout le monde sait bien que non.
Permettez-moi de vous lire ce que Mme Elisabeth Guigou a écrit à propos de l'affaire Evrard : les « lois ont prévu le suivi psychiatrique des condamnés à une longue peine dès le début de leur incarcération. Francis Evrard a-t-il été soigné en prison alors qu'il y a passé trente-deux ans ? Non ! Le service médico-psychologique régional du centre de détention de Caen où il a été détenu a fermé en juillet 2005 ses 12 lits par manque de psychiatres ! Pourquoi Francis Evrard n'a-t-il eu un rendez-vous avec le juge d'application des peines (JAP) que sept semaines après sa libération en juillet 2007 ? Parce qu'un JAP traite 750 dossiers ! Était-il soumis à la surveillance judiciaire qui aurait dû l'obliger à se présenter régulièrement au commissariat ? Non ! Francis Evrard avait-il un bracelet électronique mobile qui aurait permis de le suivre dans ses déplacements ? Non ! Cela aurait évité que la justice perde sa trace, qu'il se déplace dans sept départements différents et qu'il récidive une nouvelle fois. Enfin, il y a l'hospitalisation d'office dans un hôpital psychiatrique ». Bien entendu, cela n'a pas été mis en oeuvre. Mme Guigou ajoute qu'elle « a demandé un bilan avant tout nouveau texte. Refus ! ».
Madame le garde des sceaux, vous le savez, car tout le monde le dit, il y a beaucoup à faire pour appliquer la législation déjà existante. Il n'est donc pas nécessaire de recourir à des dispositions portant atteinte aux fondements de notre République.
Des aumôniers de prison ont écrit ceci : « Aumôniers de prison, la rencontre régulière des personnes détenues nous rend bien conscients de la gravité des problèmes que soulève le projet de loi relatif à la rétention de sûreté. Le manque d'un suivi sérieux, indispensable aux auteurs d'actes graves à l'égard d'enfants, explique sans doute, pour une grande part, que ces personnes peuvent représenter un risque réel de récidive à la fin de leur peine. C'est pourquoi nous sommes convaincus qu'il faut entourer leur remise en liberté de précautions adaptées qui limitent ce risque.
« Qu'on sanctionne encore des coupables qui ont fini de payer leur dette à la société pose problème. »
Je pourrais poursuivre et évoquer également le climat général, le rapport Ginesti, celui de l'INSERM, les déclarations très lourdes faites par M. Nicolas Sarkozy au cours d'un dialogue avec Michel Onfray : la génétique prédisposerait au crime. Lorsque l'on pense cela, on en tire naturellement un certain nombre de conséquences, comme en témoigne la philosophie qui, malheureusement, inspire ce texte.
Avant de conclure, madame le garde des sceaux, je vous poserai une question. Si une personne récidive après avoir purgé sa peine et qu'elle n'a pas « bénéficié » du dispositif inscrit dans ce texte, ne dira-t-on pas alors que la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté a failli, qu'elle est coupable ? Que dira l'opinion si, après avoir subi la rétention de sûreté, une personne ayant retrouvé la liberté récidive ? Que dira alors le Président de la République sur le perron de l'Élysée ? Ira-t-on jusqu'à remettre en place des solutions extrêmes contre lesquelles notre civilisation s'est élevée, aidée en cela par le talent de Robert Badinter ?
M. About nous a déclaré que les personnes placées en rétention ne seraient pas des détenus. Mais que seront-elles alors ?
Mon dernier mot sera pour les victimes - oui, mes chers collègues, nous pensons d'abord à elles -, car elles méritent mieux. Elles méritent que, du premier au dernier jour de la détention, tout soit fait non seulement, certes, pour surveiller et pour punir, mais également pour amender, guérir, préparer l'avenir et prévenir la récidive. Elles méritent ensuite que tout soit fait avec le soin nécessaire pour accompagner la personne qui recouvre la liberté. Voilà ce que les victimes attendent et méritent. C'est cela que notre société doit exiger pleinement.