Je souligne néanmoins que le système pénal allemand est beaucoup moins répressif que le système français au regard de la durée des peines prononcées et que la mesure de rétention ne peut être prononcée qu'en cas de multiplicité d'infractions ou d'antécédents pénaux.
En matière de comparaison internationale, l'exposé des motifs du projet de loi aurait dû faire mention du dispositif actuellement en vigueur en Russie, qui fonctionne selon une articulation comparable à celle du texte qui nous est soumis, c'est-à-dire qu'il permet de mettre à l'écart, sans peine, toute personne présentant une dangerosité sociale, notamment politique.
Le projet de loi que nous examinons n'est donc pas une harmonisation avec la législation européenne. Il s'agit d'un texte extrêmement répressif et stigmatisant. Comment, en effet, ne pas s'inquiéter du lien sous-jacent entre dangerosité et maladie mentale au coeur de ce projet de loi ?
Ce texte assimile les malades mentaux à des délinquants potentiels. Or il est important de rappeler qu'une large majorité des malades mentaux n'est pas dangereuse.
En intégrant dans le même texte mesures de sûreté pour les personnes les plus dangereuses et révision de la procédure pénale pour les irresponsables mentaux, le projet de loi n'atténue pas cette confusion.
Le risque de stigmatisation qui en résulte met à mal l'intégration dans la société de la personne atteinte de maladie mentale et est attentatoire à sa dignité.
De plus, il existe une loi de 1990 qui permet d'interner, donc de retenir administrativement, les malades mentaux, criminels ou pas, même préventivement, en dehors de toute conduite délictueuse ou criminelle, puisqu'ils sont un danger présumé pour eux-mêmes et pas seulement pour autrui.
En conséquence, à quoi bon prévoir une hybridation juridico-administrative pour une catégorie particulière, celle des condamnés à la peine de quinze ans au moins ?
Il n'est pas établi à ce jour d'équivalence certaine entre la dangerosité psychiatrique et la dangerosité criminologique.
Le projet de loi prévoit que cette dangerosité sera appréciée par la commission pluridisciplinaire. Or un médecin psychiatre n'a aucune compétence particulière pour apprécier une dangerosité criminologique ou sociale. Confier une telle mission à l'expert procède d'une dangereuse confusion entre maladie mentale et délinquance.
Les exemples étrangers néerlandais et allemands, auxquels le Gouvernement se réfère pour justifier son texte, démontrent que la question de l'évaluation de la dangerosité est pourtant déterminante.
En effet, aux Pays-Bas un centre d'évaluation est chargé de déterminer l'existence éventuelle d'un trouble mental et d'évaluer une probable dangerosité, ainsi que le risque de récidive.
Cette évaluation se déroule sur plusieurs semaines et procède d'une observation pluridisciplinaire et quotidienne de la personne, laquelle est placée dans une situation la plus proche possible de son mode de vie habituel. Cette expertise coûte 1 000 euros par jour et peut durer sept semaines.
De même, en Allemagne, à la suite de modifications ultérieures de la législation, les conditions de l'expertise ont été améliorées. Cette dernière doit être effectuée par des spécialistes soumis à une formation continue, et les experts ainsi formés utilisent des méthodes d'évaluation avec élaboration de grilles d'analyses, de manière à homogénéiser les critères d'appréciation.
L'expertise se déroule sur deux entretiens d'une durée totale de quatre à six heures et coûte 4 000 euros.
Or ici, contrairement aux pays précités, le texte ne prévoit aucune garantie sur la procédure d'évaluation de la dangerosité. Ce projet de loi contredit les professionnels de la santé mentale, sans tenir compte d'aucune de leurs objections et propositions.
Nous savons que le système pénal français manque cruellement de médecins réellement formés à l'expertise et que les médecins aujourd'hui inscrits sur les listes des cours d'appel ne font pas l'objet d'évaluation particulière quant à leurs compétences.
Pourtant, dans un rapport d'information sur les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses de 2006, Philippe Goujon et Charles Gautier préconisaient de renforcer le dispositif d'expertise français en créant des centres d'expertise pluridisciplinaire où la personne pourrait être observée pendant plusieurs jours.
Visiblement, le projet de loi ne s'embarrasse pas d'une telle garantie. Pourtant, madame le garde des sceaux, vous avez évoqué ce rapport tout à l'heure.
Par ailleurs, l'adoption du principe de dangerosité va avoir de graves conséquences sur les principes qui sont au fondement même de notre système judiciaire.
Aujourd'hui, un seuil est franchi puisque le texte abolit le principe même de la présomption d'innocence, la présomption de dangerosité suffisant à incarcérer un individu alors même qu'il n'a pas commis de crime, sinon celui pour lequel il a déjà purgé une peine.
Avec ce texte, le lien entre l'infraction commise et la sanction est tout simplement supprimé. Le fantasme remplace les faits. Cette « justice de sûreté » contredit notre justice de responsabilité, mettant à mal le principe même de la responsabilité pénale.
Le dispositif prévu procède d'une philosophie de l'enfermement manifestement contraire à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui proscrit toute forme de détention hors les cas prévus par l'article 5.
La logique d'enfermement est, en fait, très clairement revendiquée par le projet de loi puisqu'il est précisé que « pendant cette rétention, la personne bénéficiera de droits similaires à ceux des détenus, en matière notamment de visites, de correspondances ».
En réalité, ce projet de loi s'inscrit dans la culture du « risque zéro » qui, sous prétexte de lutter contre la récidive, impose depuis plusieurs années des législations de plus en plus répressives et attentatoires aux libertés publiques.
Avec une telle loi, quelle perspective auront les condamnés ? Ils ne sauront qu'à l'issue de leur peine si leur incarcération sera poursuivie, sans qu'ils ne sachent pourquoi et pour combien de temps. Dans ce cadre, comment mener une politique de réinsertion de ces personnes ?
L'état désastreux des services psychiatriques des prisons réduit le plus souvent le rôle des personnels soignants à la distribution de médicaments, en particuliers de substitution. Ils ne peuvent assurer un accompagnement des personnes malades.
Nous l'avons dit dans notre intervention générale et nous le répéterons, les prisons françaises sont un milieu pathogène. Ce texte de loi ne fera qu'amplifier ce constat dramatique.
En somme, ce projet de loi, en se fondant sur une notion totalement subjective et stigmatisante, laisse place à l'arbitraire le plus total au lieu de s'inscrire dans une perspective d'accompagnement et de thérapie. Il n'est d'aucune utilité pour des personnes peu ou prou soignées, en rupture de suivi de traitement.
Une fois de plus, le Gouvernement fait le choix du « tout répressif » et de la relégation, et ne répond pas aux drames et à la misère des prisons et des hôpitaux psychiatriques. Comme dans le cas des précédentes lois répressives, il n'est pas envisagé de porter la réflexion sur les dispositifs d'insertion et de probation.
Dès lors, plusieurs interrogations s'imposent. Pourquoi ne pas entamer un suivi médico-social effectif dès le début de l'incarcération et attendre la fin de la peine pour mettre en oeuvre un suivi consistant ? Pourquoi ne pas envisager de placer la personne condamnée dans un centre socio-médico-judiciaire dès le début de la peine ?
Tant qu'on ne s'occupera du devenir des condamnés qu'à leur sortie de prison, le temps de détention demeurera, je le crains, un temps mort !