Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 30 janvier 2008 à 21h30
Rétention de sûreté — Article 1er

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

L'article 1er étant le coeur de ce projet de loi, demander sa suppression revient à exiger le retrait du texte.

Les raisons de notre opposition ont été longuement exposées. J'essaierai donc d'être synthétique. Nous sommes hostiles à la rétention de sûreté telle qu'elle est prévue à l'article 1er du projet de loi pour trois raisons essentielles.

Première raison, nous n'aurons pas les moyens d'appliquer, dans des conditions acceptables, les dispositifs existants de lutte contre la récidive. Nous avons encore moins ceux d'appliquer les nouvelles dispositions prévues par le texte, qu'il s'agisse de la mesure de la dangerosité ou de son traitement.

Deuxième raison, ce projet de loi tente, sans y parvenir, de concilier des logiques opposées. Nous venons d'en avoir la démonstration ! La logique pénale ne peut voir dans la rétention de sûreté qu'une peine, et la logique administrative de sûreté en fait une mesure de police sanitaire. C'est l'esprit de l'hospitalisation d'office.

Puisqu'on invoque les exemples étrangers pour justifier l'acclimatation en France de la rétention de sûreté, on constatera qu'ils sont sinon complètement satisfaisants, du moins cohérents, ce qui n'est pas le cas des propositions qui nous sont faites.

En Allemagne, à infractions équivalentes, les peines sont beaucoup moins lourdes qu'en France, et l'équivalent de la rétention de sûreté est à durée limitée. Nous aurons, quant à nous, à la fois le système de pénalités le plus lourd du vieux continent et la rétention de sûreté à durée indéterminée des Anglo-Saxons !

Mais c'est la comparaison entre les logiques des systèmes anglo-saxon et néerlandais qui est la plus éclairante.

Dans le système britannique et canadien, le jugement à l'origine de la rétention de sûreté est une condamnation à durée indéterminée. Qu'elle cesse ou qu'elle soit poursuivie, la rétention de sûreté reste une modalité d'application de la peine initiale. Il ne viendrait à l'esprit de personne de priver de liberté quelqu'un si ce n'était pas prévu par le jugement, quel que soit le pronostic établi sur le comportement futur de l'individu, encore moins de le faire à titre rétroactif.

Le système néerlandais ne fait pas de distinction, à la différence du système français, entre le « malade mental », pénalement irresponsable, et la personne atteinte de « trouble de la personnalité ou du comportement », pénalement responsable en France. D'un côté, il y a ceux qui suivent la voie psychiatrique, assimilable à notre hospitalisation d'office : ils ne sont pas condamnés, mais soignés, ce qui coûte d'ailleurs très cher au contribuable hollandais. De l'autre côté, il y a ceux qui suivent la voie judiciaire et qui font l'objet d'une condamnation.

Troisième raison, le dispositif proposé ne prend pas assez en compte, à notre sens, le caractère insuffisamment fiable des méthodes d'évaluation de la dangerosité pour nous mettre à l'abri tant des remises en liberté fautives que des rétentions abusives.

On ne peut, en effet, séparer les deux problèmes et alternativement, comme nous le faisons, durcir tous les six mois les conditions d'incarcération, quel que soit le nom qu'on lui donne, et tous les ans se préoccuper de faire respecter les droits des présumés coupables, en l'espèce des présumés susceptibles d'être coupables.

Nous ne pouvons cautionner un système trop sensible à l'air du temps pour être juste. Mais je vous concède, madame le garde des sceaux, que le temps où la justice s'efforçait d'abord d'être juste est loin derrière nous. Aujourd'hui, la fonction de la justice est apparemment avant tout de consoler et de donner ainsi l'illusion qu'elle protège.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion