Intervention de Jacques Pelletier

Réunion du 7 février 2007 à 15h30
Interdiction de la peine de mort — Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Jacques PelletierJacques Pelletier :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en 1981, sur l'initiative du Président François Mitterrand et de son garde des sceaux, Robert Badinter, et à l'issue des votes favorables des deux assemblées, la France a renoncé à la peine de mort, rejoignant, enfin ! le camp des nations abolitionnistes.

Aujourd'hui, grâce à la volonté du Président Jacques Chirac, le Parlement est sur le point de donner une valeur constitutionnelle à l'abolition de la peine de mort, en ajoutant au titre VIII de notre Constitution ces quelques mots d'une grande force symbolique, juridique et politique : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »

Je garde un grand souvenir des débats que nous avons eus pendant trois jours à la fin du mois de septembre 1981, animés par le talent du garde des sceaux de l'époque et rapporteur d'aujourd'hui, Robert Badinter.

J'avais alors, bien entendu, joint ma voix à celles des cent soixante sénateurs qui ont permis l'abolition de la peine de mort. Je crois que c'est le projet de loi qui m'a le plus marqué au cours de mes quarante ans de vie parlementaire et ministérielle.

Aujourd'hui, avec la même force et avec la même conviction, je voterai bien évidemment l'inscription de l'interdiction de la peine de mort dans la Constitution. Et je ne doute pas que notre Haute Assemblée approuvera largement -et pourquoi pas à l'unanimité ? - le très court texte qui lui est proposé.

Au sein du RDSE, l'unanimité sera au rendez-vous. Sur un tel sujet, qui touche aux valeurs de la dignité humaine et au caractère sacré de toute vie humaine, les clivages partisans de notre vie démocratique doivent s'effacer.

En effet, mes chers collègues, comme le soulignait Albert Camus, « la personne humaine est au-dessus de l'État ». C'est l'humanisme véritable qui doit triompher sur toute autre considération ! C'est cet humanisme que partagent tous les sénateurs du groupe du RDSE ; c'est aussi cet humanisme qui doit motiver les votes en provenance de toutes les travées de cet hémicycle.

Souvenons-nous de ce que déclarait Jean Jaurès, voilà plus d'un siècle, à la tribune de l'Assemblée nationale : « La peine de mort est contraire à ce que l'humanité, depuis deux mille ans, a pensé de plus haut et rêvé de plus noble. La peine de mort est contraire à la fois à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la Révolution ». Voilà une magnifique citation, qui devrait tous nous rassembler.

L'abolition de la peine de mort est un acquis de notre histoire et de la République depuis un quart de siècle. Il s'agit à présent de lui donner la plus haute valeur juridique qui soit, en l'introduisant au sommet de notre hiérarchie des normes. Nous pourrons ainsi en finir définitivement avec la peine capitale, cette peine « barbare », comme la qualifiait déjà, en 1764, Cesare Beccaria dans son ouvrage Des délits et des peines.

Nous sommes à une étape fondamentale de notre histoire politique Ne nous y trompons pas : cette révision constitutionnelle n'a pas seulement une portée juridique ; elle n'est certainement pas purement formelle !

Au-delà de sa valeur de puissant symbole, le vote auquel nous allons procéder revêt, comme celui de 1981, une grande et réelle portée politique. De ce point de vue, l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle est véritablement utile pour au moins trois raisons bien précises.

Premièrement, l'inscription dans la Constitution de l'abolition de la peine de mort nous permettra de renforcer nos engagements internationaux en matière de droits de l'homme, puisqu'elle rendra possible la signature et la ratification du deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989. M. le garde des sceaux et M. le rapporteur ayant longuement évoqué ce sujet, je n'y insisterai donc pas.

Deuxièmement, l'adoption de cette révision constitutionnelle constituera un signal très fort envoyé par notre patrie des droits de l'homme en direction du monde entier, et plus particulièrement des pays réfractaires à l'abolition. La liste de ces pays, encore beaucoup trop longue, est bien connue. On y trouve aussi bien des régimes autoritaires comme l'Iran, l'Arabie saoudite ou le Nigeria que des grandes puissances comme la Chine, le Japon, l'Inde ou encore les États-Unis, depuis que, en 1976, la Cour suprême a décidé que l'application de la peine de mort n'était pas contraire à la constitution américaine.

En ce début du XXIe siècle, une véritable démocratie ne doit-elle pas se définir selon des standards plus larges que le seul respect du critère électoral ? L'achèvement du processus démocratique ne passe-t-il pas également par le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, parmi lesquels doivent se trouver le respect de la vie humaine et l'interdiction de la peine de mort ?

Par notre vote, nous adresserons aussi un formidable encouragement à tous les militants abolitionnistes qui luttent de par le monde. Ces hommes et ces femmes se battent avec courage, dignité et conviction pour faire reculer la barbarie. Ils prennent parfois des risques pour leur intégrité physique, voire pour leur vie.

Presque toujours, ils constituent une minorité qui brave les opinions publiques et tente de convertir les masses à la raison. Il en fut, d'ailleurs, ainsi en France en 1981, puisque, au moment où le législateur a voté pour l'abolition, il a voté contre l'opinion publique qui s'exprimait dans les sondages. C'est aussi cela une démocratie éclairée, mes chers collègues.

Que tous ces militants résolus à en finir avec la peine de mort dans le monde n'oublient jamais ces quelques mots du génie de l'absurde que fut Eugène Ionesco : « C'est toujours une poignée de quelques hommes, méconnus, isolés au départ, qui change la face du monde ».

À cet égard, c'est un hommage appuyé que je tiens à adresser à notre illustre rapporteur, M. Robert Badinter, qui milite infatigablement, depuis toujours, pour l'abolition de la peine de mort.

Troisièmement, mes chers collègues, l'inscription dans notre Constitution de la phrase : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. » nous protégera davantage contre la tentation récurrente de certains de rétablir la peine de mort.

En effet, de façon régulière, ce faux débat resurgit dans notre pays en fonction de l'actualité dramatique de certains crimes, parmi les plus abjects et les plus horribles, notamment les meurtres d'enfants ou les attentats terroristes. Voilà trois ans, par exemple, quarante-sept de nos collègues députés ont déposé une proposition de loi tendant à « rétablir la peine de mort pour les auteurs d'actes de terrorisme ».

De telles revendications, largement guidées par l'émotion et la colère, nous rappellent que le combat et le militantisme en faveur du maintien de l'abolition dans notre droit positif doivent être permanents et continus.

Revenir sur cette grande avancée et changer la loi nécessitera désormais d'engager au préalable une révision de la Constitution. C'est là un verrou juridique supplémentaire qu'il ne faut pas négliger ! Toutefois, le principal verrou se situera toujours dans les consciences.

De même que l'abolition n'a pas d'effet sur une élévation du taux de criminalité, la peine de mort n'est en rien dissuasive.

Le droit à la vie des personnes, la nécessité du pardon de la part de la société, le droit à la rédemption de celui qui transgresse les règles et la loi sont des impératifs d'ordre moral que nous nous devons de mettre en oeuvre, ce qui ne signifie pas qu'il faille laisser impunis les actes répréhensibles. Par ailleurs, s'agissant de la proposition de loi déposée par quarante-sept députés, que je viens d'évoquer, la condamnation à mort offrirait aux terroristes la satisfaction de devenir des martyrs de leur cause.

Mes chers collègues, en adoptant, aujourd'hui, ce texte au Sénat et, très prochainement, au Congrès, nous inscrivons dans la Constitution l'interdiction de la peine de mort, ce qui signifie que nous nous éloignons encore davantage du crime et de la barbarie qu'elle représente, a fortiori pour un État démocratique.

Ainsi, nous donnerons raison à Cesare Beccaria, qui déclarait : la peine capitale n'est « ni utile ni nécessaire » : elle n'est qu'un « crime judiciaire ». §

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