Intervention de Pascal Clément

Réunion du 7 février 2007 à 15h30
Modification du titre ix de la constitution — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le régime de la responsabilité du chef de l'État interpelle tous les démocrates, quelle que soit leur époque. Au vieux principe monarchique selon lequel « le Roi ne peut mal faire », la IIe République avait substitué un régime de responsabilité politique très large du Président, sa constitution précisant que celui-ci est responsable des « actes du Gouvernement et de l'administration ».

Depuis les lois constitutionnelles de 1875, la responsabilité politique du chef de l'État ne peut être mise en cause devant les assemblées parlementaires à raison des actes qu'il accomplit en cette qualité. Le Président n'est responsable politiquement que devant le peuple qui lui a donné son mandat et peut choisir de ne pas le lui renouveler.

La tradition constitutionnelle conduit dans le même temps à ce que la responsabilité pénale du chef de l'État ne puisse être mise en jeu qu'en cas de « haute trahison ». La Constitution du 4 octobre 1958 dispose, en son article 68, que « le Président de la République [...] ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice ».

Ainsi rappelées, ces règles posées par le titre IX de notre Constitution semblent simples. Elles sont pourtant apparues, à l'expérience, sources d'ambiguïtés.

Par sa décision du 22 janvier 1999, relative à la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel a interprété l'article 68 comme instituant un privilège de juridiction. Il a en effet précisé que le Président de la République, pendant la durée de ses fonctions, ne peut voir sa responsabilité pénale mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article.

Ainsi, pour le juge constitutionnel, la Haute Cour de justice a compétence pour connaître de l'ensemble de la responsabilité pénale du Président de la République, y compris s'agissant des actes antérieurs ou détachables de l'exercice de ses fonctions. Le chef de l'État bénéficie d'un privilège de juridiction de portée générale.

Par son arrêt du 10 octobre 2001, la Cour de cassation a confirmé que le Président de la République, hors le cas de haute trahison, ne peut être poursuivi devant aucune juridiction pendant l'exercice de son mandat, et ce y compris à raison de faits antérieurs à son élection ou sans rapport avec l'exercice de ses fonctions.

Pour autant, la Cour de cassation a estimé que le chef de l'État ne bénéficiait pas d'un privilège de juridiction. Elle a en effet jugé que « la Haute Cour de justice n'étant compétente que pour connaître des actes de haute trahison du Président de la République commis dans l'exercice de ses fonctions, les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l'action publique étant alors suspendue ».

Pour l'autorité judiciaire, le chef de l'État est donc passible, hors le cas de haute trahison, des tribunaux de droit commun, mais il bénéficie d'une inviolabilité temporaire pendant la durée de son mandat, la prescription étant suspendue pendant le même temps.

Ainsi, les deux juridictions s'accordent sur l'essentiel : le Président de la République, hors le cas de haute trahison, ne saurait, pendant son mandat, être mis en cause devant aucune juridiction pénale de droit commun. Toutefois, une divergence d'analyse révèle un doute sur la portée exacte des dispositions de l'article 68 de la Constitution. Par ailleurs, les termes de cet article, notamment ceux de « haute trahison », nécessitent d'être précisés.

Toutes ces considérations ont conduit le Président de la République, conformément à l'engagement exprimé devant l'ensemble de nos concitoyens, à demander à une commission, présidée par le professeur Pierre Avril, de « réfléchir et [lui] faire, le cas échéant, des propositions sur le statut pénal du Président de la République ».

Cette commission a proposé une révision complète du titre IX de la Constitution, procédant à une réécriture intégrale des articles 67 et 68. Le chef de l'État et le Gouvernement ont choisi de faire leurs les propositions de la commission, dont les principaux éléments peuvent être résumés comme suit : réaffirmation du principe d'immunité du Président pour les actes accomplis en cette qualité ; inviolabilité durant le mandat pour les autres actes avec cependant la possibilité de destitution « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

L'article unique du projet de loi qui vous est présenté modifie l'intitulé du titre IX de la Constitution, qui devient « La Haute Cour », au lieu de « La Haute Cour de justice ». Ce titre est toujours composé des articles 67 et 68, mais, comme je viens de le dire, une réécriture totale de ceux-ci est proposée.

L'article 67 nouveau pose les règles de fond applicables à la responsabilité du chef de l'État. Il est constitué de trois alinéas.

Le premier alinéa réaffirme le principe traditionnel d'immunité du Président de la République pour les actes accomplis en cette qualité. La rédaction ainsi retenue fait disparaître l'ambiguïté de l'expression « dans l'exercice de ses fonctions ». Ainsi, pour tous les actes accomplis par le chef de l'État pendant la durée de son mandat, l'irresponsabilité est la règle.

Deux limites sont toutefois posées à ce principe : celle qui résulte de l'instauration, par l'article 68 nouveau, d'une procédure de destitution et celle qui procède de la compétence, déjà reconnue à l'article 53-2 de la Constitution, de la Cour pénale internationale.

Le deuxième alinéa est consacré à tous les autres actes du Président de la République, c'est-à-dire à ceux accomplis pendant la durée de son mandat, mais sans lien avec celui-ci, et à ceux commis antérieurement à son élection. Il pose un principe d'inviolabilité de portée générale.

L'Assemblée nationale a adopté, avec l'accord du Gouvernement, deux amendements précisant la portée de ce principe.

Le premier amendement permet d'expliciter que, durant son mandat, toute action à l'encontre du Président est exclue, quels qu'en soient l'objet ou la finalité, devant toute juridiction, y compris civile, ou autorité administrative.

Le Président ne peut notamment pas être requis de témoigner, ce qui ne fait nullement obstacle à un témoignage spontané. De manière générale, aucun acte de procédure ne peut être imposé au chef de l'État, mais il lui est toujours loisible d'y répondre.

Le second amendement vise à préciser que les délais de prescription et de forclusion sont suspendus pendant la durée du mandat.

Le projet de texte proposé par la commission Avril comportait, à cet alinéa, un renvoi au législateur organique, afin que ce dernier définisse les conditions dans lesquelles doit se réaliser le retour à l'application du droit commun à l'issue du mandat. Il est toutefois apparu que la détermination de ces conditions constituait un point fondamental de la réforme, qui méritait de figurer dans la Constitution elle-même.

C'est la raison pour laquelle ce renvoi a été remplacé par un troisième alinéa, qui fixe à un mois après la cessation des fonctions le délai à l'issue duquel prend fin la suspension des procédures et des prescriptions.

L'article 68 nouveau est sensiblement plus novateur. Composé de six alinéas, il tend à introduire dans nos institutions une procédure de destitution.

Cette destitution du Président de la République ne pourra, compte tenu du rôle éminent de ce dernier, être décidée qu'« en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». La notion de « haute trahison », aux contours incertains, est abandonnée au profit d'une expression qui, sans qualifier ce manquement, ni par référence à sa nature ni par le degré de sa gravité, consacre un critère tenant exclusivement au fait que ce manquement serait incompatible avec la poursuite du mandat, c'est-à-dire avec la dignité de la fonction.

Le recours à l'adverbe « manifestement » marque que la reconnaissance de ce manquement ne saurait procéder d'une logique partisane et qu'elle doit transcender les clivages politiques.

Le caractère unique de cette responsabilité, qui suppose l'appréciation du comportement d'un homme au regard des exigences de ses fonctions, imposait qu'elle fût mise en cause devant un organe non juridictionnel qui soit doté d'une légitimité démocratique égale à celle du chef de l'État. C'est ce qui a conduit à conférer ce pouvoir au Parlement, siégeant, dans son intégralité, en Haute Cour.

C'est ce qui a conduit à conférer ce pouvoir au Parlement siégeant, dans son intégralité, en Haute Cour.

La procédure est aménagée en deux temps. La proposition de réunion de la Haute Cour doit d'abord être adoptée successivement par chacune des deux assemblées. La Haute Cour, présidée par le président de l'Assemblée nationale, statue ensuite par un vote à bulletins secrets.

Cette procédure a été améliorée par l'Assemblée nationale sur deux points très importants.

D'abord, afin d'éviter les dérives partisanes, les votes intervenant en application de ce dispositif devront être acquis à la majorité qualifiée des deux tiers. Cette modification est parfaitement en adéquation avec l'objectif poursuivi, qui est de sanctionner des comportements tout à fait incompatibles avec l'exercice de la fonction présidentielle, indépendamment de toute logique politicienne.

Ensuite, toute délégation de vote est désormais interdite. La mise en oeuvre de la procédure suppose en effet une appréciation délicate de la compatibilité des faits avec l'exercice de la fonction présidentielle. Une telle appréciation ne peut être que personnelle et ne saurait se faire par procuration. Au surplus, la gravité des conséquences qui pourraient s'attacher à la mise en oeuvre de cette procédure implique que chacun soit amené à se déterminer en conscience lors des deux phases de la procédure.

L'Assemblée nationale a également modifié, avec l'accord du Gouvernement, les conséquences qui s'attachent à la décision conjointe des deux chambres de réunir la Haute Cour. En effet, il est apparu difficile de prévoir une période de suspension du Président de la République pendant le déroulement de la procédure parlementaire. Si cette procédure ne devait pas aboutir à la destitution du chef de l'État, son autorité, après une période de suspension, serait affaiblie.

Dans le même temps, il n'est pas souhaitable que le Président de la République demeure trop longtemps sous la menace d'une éventuelle destitution. C'est pourquoi il est apparu nécessaire de réduire de deux mois à un mois le délai imparti à la Haute Cour pour se prononcer.

La décision de la Haute Cour de destituer, ou pas, le Président de la République est d'effet immédiat. En cas de destitution, il est définitivement mis fin au mandat en cours du Président de la République, qui redevient par le même fait un justiciable ordinaire.

Enfin, l'article 68 dispose qu'une loi organique fixe ses conditions d'application. Celle-ci pourra notamment, conformément aux propositions de la commission Avril, prévoir des règles relatives à la recevabilité des propositions de résolutions tendant à la réunion de la Haute Cour, imposer non seulement des délais, afin que ne dure pas trop longtemps la période de mise en cause du chef de l'État, et des précautions, afin que celui-ci puisse assurer sa défense.

Le texte ne prévoyant pas de disposition transitoire ou d'application différée, les règles qu'il fixe à l'article 67 trouveront à s'appliquer au mandat en cours. Celles qui sont relatives à la Haute Cour deviendront applicables dès l'entrée en vigueur de la loi organique nécessaire à sa mise en oeuvre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi constitutionnelle qui vous est présenté est inspiré par la volonté de dissocier les logiques judiciaire et politique. De ce fait, il confie aux représentants du peuple, et pas à une juridiction spéciale, la responsabilité de destituer, le cas échéant, le chef de l'État élu au suffrage universel direct.

Il ne s'agit nullement là de changer la nature du régime ni même d'en modifier l'équilibre. Au contraire, ce choix s'inscrit dans le prolongement des constituants de 1875, de 1946 et de 1958. Il s'agit, pour l'essentiel, d'apporter des précisions nécessaires quant à l'irresponsabilité du chef de l'État et de consacrer la simple suspension de la prescription en ce qui concerne son inviolabilité. Le dispositif proposé par le Gouvernement a été amélioré de manière consensuelle par l'Assemblée nationale, sans que l'équilibre du texte soit remis en cause.

Certains parlementaires se sont interrogés sur l'opportunité de présenter en fin de la législature une réforme constitutionnelle sur cette question. Permettez-moi cependant de souligner l'intérêt d'une telle réforme.

Tout d'abord, il s'agit là d'un engagement pris par le Président de la République lors de la campagne présidentielle. Chacun a à coeur de montrer que les engagements électoraux de notre majorité ont vocation à être respectés.

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