Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 7 février 2007 à 15h30
Modification du titre ix de la constitution — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

...qui affirme l'irresponsabilité du Président de la République, lequel n'est passible que des actes de haute trahison devant la Haute Cour de justice.

L'article 67 - le rapport de Jean-Jacques Hyest est sur ce point d'une grande clarté - fait bien apparaître toute l'ambiguïté du texte constitutionnel dans la mesure où deux interprétations pouvaient être données selon que l'on adopte une lecture « à la suite » ou « séparée » de ses dispositions.

Dans la première hypothèse, c'est seulement en cas de haute trahison que le Président de la République est passible de la Haute Cour de justice, la responsabilité civile et pénale des actes « détachables » de sa fonction relevant, bien entendu, du droit commun.

Dans la lecture « séparée », le principe du privilège de juridiction est affirmé, la Haute Cour de justice étant la seule juridiction devant laquelle le Président peut comparaître, même pour un délit de chasse, selon l'exemple de Barthélémy et de Duez, dans l'hypothèse où il serait poursuivi pour cet acte.

Cette ambiguïté n'a pas été levée par la décision du Conseil constitutionnel de 1999 ni par l'arrêt de la Cour de cassation de 2001, puisqu'il est résulté de ces décisions deux interprétations contradictoires auxquelles il fallait mettre un terme.

Rappelons que si ces interprétations concordent pour reconnaître l'irresponsabilité du chef de l'État sauf en cas de haute trahison, le Conseil constitutionnel, dans une interprétation « séparée », a affirmé un privilège général de juridiction au bénéfice du chef de l'État.

Or la Cour de cassation a refusé ce privilège de juridiction, mais a jugé que, si le Président pouvait être poursuivi pour des actes « détachables » de sa fonction devant les juridictions de droit commun, il bénéficiait durant son mandat de l'immunité, rendant temporairement impossible l'action publique.

Ainsi, mes chers collègues, la « cause » de la réforme qui nous est proposée aujourd'hui réside dans la nécessité de ne pas laisser perdurer une situation constitutionnelle incertaine.

Il appartient au constituant de lever cette ambiguïté en choisissant l'interprétation donnée par la Cour de cassation et en l'élargissant. Notre collègue Patrice Gélard soulignait le caractère pseudo-constituant de la Cour de cassation. Je constate que le projet de loi constitutionnelle reprend l'interprétation de cette dernière plutôt que celle du Conseil constitutionnel. Le texte a d'ailleurs été amélioré par l'Assemblée nationale.

Soucieux de clarification constitutionnelle, le projet de loi réaffirme le principe de l'irresponsabilité du Président, supprime la notion de haute trahison, affirme la notion d'inviolabilité durant l'exercice du mandat présidentiel, rendant impossible toute poursuite de quelque nature qu'elle soit, et suspend dans cette hypothèse la prescription afin de ne pas léser les intérêts des tiers. Mais surtout, le projet édicte deux réserves à cette irresponsabilité : la première réaffirme celle qui est prévue par la Cour pénale internationale, la seconde - et c'est la disposition essentielle du texte - évoque la possibilité d'une destitution

Il est heureux que soit supprimée l'hypothèse de « haute trahison ». Le rapport Avril a bien insisté sur le caractère ou trop étroit ou trop large de cette dernière. On connaît les efforts des constitutionnalistes pour énumérer les hypothèses de haute trahison : ils sont demeurés vains ; trahison au profit d'une puissance étrangère et intelligence avec l'ennemi, abstention d'un acte auquel le Président est tenu, usage abusif de l'article 16, accaparement d'un pouvoir qu'il ne tient pas de la Constitution., tout conduit à l'impossibilité de rédiger une liste exhaustive d'un tel concept !

En substituant à la haute trahison un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », le texte évoque essentiellement une situation politique. Les hypothèses que je viens d'évoquer, sans être exhaustives, y prennent toute leur place.

Comment doit-on apprécier ce manquement aux devoirs de la charge ?

Selon nous, il s'agit d'un comportement, d'une action, d'une omission ressentis par l'ensemble de la communauté nationale dans son subconscient collectif comme une attitude politique ou privée si anormale qu'elle pourrait s'étonner qu'un Président de la République puisse continuer son activité après de tels manquements.

Si cette notion recouvre tous les comportements de caractère politique, pénal ou civil, la destitution doit aller de soi pour l'opinion publique.

Le dispositif prévu, dont la mise en oeuvre a été améliorée par la substitution d'une majorité des deux tiers à une majorité absolue afin d'éviter tout comportement partisan, recueille notre approbation. Toutefois, trois objections pourraient être soulevées concernant l'interdiction de toute action civile, l'exercice du droit de dissolution et la présence au Conseil Constitutionnel du Président de la République après sa destitution.

Tout d'abord, à partir du moment où le texte s'efforce de clarifier le statut du Président de la République, autant veiller à ce qu'il n'existe plus aucune ambiguïté et que sa protection soit désormais totale à l'égard de toute action pénale ou civile concernant des actes détachables de sa fonction. Quand on connaît la médiatisation actuelle, toute protection serait vaine si on allait offrir à des tiers la possibilité d'un acharnement procédural à son égard.

Les inconvénients qui pourraient résulter pour le crédit et l'image du Président ne sauraient être comparés à ceux, si importants soient-ils, que connaîtrait un tiers ayant été momentanément privé d'un droit. Il y a là un prix à payer pour garantir notre stabilité institutionnelle !

Ensuite, en rétablissant le droit de dissolution qui avait été supprimé par le projet gouvernemental, l'Assemblée nationale a fait preuve de sagesse.

La présomption d'innocence, la prise à témoin éventuelle de l'opinion par l'exercice de ce droit, le raccourcissement du délai à un mois entre la mise en accusation et le jugement par la Haute Cour sont autant de raisons justifiant la possibilité pour le Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale dès le lendemain de sa mise en accusation.

Il serait illusoire d'imaginer qu'un Président, après sa mise en accusation, demeure inactif et que la destitution puisse intervenir un mois après. En réalité, tout incline à penser que c'est l'opinion publique, après la dissolution éventuelle et sauf dans l'hypothèse extrême où un Président serait devenu incapable de prendre une décision, qui sera l'arbitre d'une telle situation.

Enfin, demeure la difficulté la plus importante : on peut regretter que l'Assemblée nationale n'ait pas introduit l'impossibilité pour le Président de la République de siéger au Conseil constitutionnel après sa destitution. En effet, il serait paradoxal que le Président, s'il venait à être destitué, puisse censurer, de par sa présence au Conseil constitutionnel, des lois votées par ses juges.

Nous sommes tous conscients de cette difficulté. N'eût été l'urgence qui nous est imposée, et que nous déplorons, le texte aurait pu être amélioré sur ce point. On pourrait toutefois imaginer une solution, celle d'une pratique prétorienne que le Conseil constitutionnel a déjà connue par une ferme invitation à la mise en congé du Président destitué.

Imparfait, mais utile, ce texte améliore notre loi fondamentale. Il ne peut cependant prévoir toutes les situations qui iraient d'un manquement consistant à « grimper aux arbres de l'Élysée » jusqu'à l'usage abusif de l'article 16. Sur ce point, le spectre des hypothèses est inépuisable.

Soucieux de mettre un terme à cette ambiguïté constitutionnelle et prenant acte du consensus très large qui s'est dégagé à l'Assemblée nationale, la majorité du groupe du Rassemblement démocratique et social européen votera le projet de loi constitutionnelle.

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