Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 7 février 2007 à 21h30
Modification du titre ix de la constitution — Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle qui est soumis à l'appréciation du Sénat et qui modifie substantiellement le statut du Président de la République est le résultat d'un débat amorcé depuis plusieurs années.

Ce débat était inévitable pour plusieurs séries de raisons.

La première est l'inadéquation du texte constitutionnel dès l'origine. En effet, l'article 68 de la Constitution, écrite en quelques semaines, a repris en grande partie les dispositions des constitutions antérieures en déclarant le chef de l'État irresponsable pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, sauf cas de haute trahison.

Cette rédaction, compréhensible dans les constitutions antérieures aux termes desquelles le Président ne disposait pas de pouvoirs propres dépourvus du contreseing ministériel, pose problème dans un contexte institutionnel nouveau où les actes non soumis à contreseing portent sur des sujets aussi essentiels que le recours à l'article 16, la dissolution de l'Assemblée nationale ou le référendum.

Il est vrai que le dispositif en vigueur n'est pas sans effectivité potentielle : si, par exemple, le Président recourt inconstitutionnellement à l'article 11, l'Assemblée nationale peut censurer le Premier ministre qui le lui a proposé - cela s'est produit en 1962 - et le Président peut répliquer par la dissolution : dans ce cas, le conflit entre Parlement et Président est tranché par les électeurs, comme ce fut le cas en novembre 1962.

De même, le recours abusif à l'article 16 pourrait entraîner le déclenchement de la procédure de haute trahison, puisque, durant cette période, l'Assemblée nationale ne peut pas être dissoute et le Parlement se réunit de plein droit.

Bien entendu, la notion de haute trahison n'a pas de définition unanimement reconnue, et la procédure prévue depuis 1875 crée une sorte de justice politique utilisant une procédure hybride, mi-pénale, mi-politique, qui n'est pas satisfaisante.

S'agissant d'une pratique empruntant au code de procédure pénale, sa compatibilité avec les critères du procès équitable qu'exige l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est, comme on l'a souvent relevé, plus que douteuse.

La refonte des dispositions de l'article 68 est apparue d'autant plus nécessaire que le constituant n'a pas hésité, au lendemain de l'affaire du sang contaminé, à réécrire intégralement les dispositions applicables aux membres du Gouvernement en créant sans ambiguïté possible un mécanisme de justice politique empruntant ouvertement aux règles du droit et de la procédure pénale au lieu et place de la haute trahison. Le moins que l'on puisse dire est que cette juridiction et cette procédure d'exception n'ont pas donné à ce jour de résultats probants et que c'est dans une autre direction qu'il fallait s'orienter pour le chef de l'État.

Pourtant, si nous sommes réunis aujourd'hui, ce n'est pas directement pour effacer les ambigüités de la responsabilité du Président pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions ; c'est pour adopter une procédure claire à propos des actes détachables de l'exercice du mandat présidentiel, qu'ils aient été accomplis avant ou durant celui-ci.

Les diverses procédures judiciaires concernant l'actuel chef de l'État pour des faits survenus avant son élection de 1995 ont contraint les différentes juridictions suprêmes à se prononcer sur un sujet d'autant plus difficile que la Constitution est muette. Faut-il solliciter les textes - en l'occurrence l'article 68 de la Constitution - et les interpréter dans un sens qui n'est pas indiscutable, comme a tenté de le faire le Conseil constitutionnel en 1999, ou bien, à la faveur d'une jurisprudence prétorienne, faut-il chercher dans la logique d'ensemble des dispositions constitutionnelles un fil conducteur donnant au juge pénal une solution raisonnable - c'est la solution qu'a retenue la Cour de cassation en 2001 ? La réponse n'est pas unanime et le constituant est d'autant plus contraint de se prononcer que deux jurisprudences contradictoires, entre lesquelles le Parlement devrait choisir, ne peuvent cohabiter.

Le Président de la République a demandé à un comité d'experts d'éclairer son jugement, et ce sont les conclusions de ce comité, présidé par le professeur Pierre Avril, qui ont été reprises presque mot à mot par le projet de loi constitutionnelle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion