Intervention de Robert Badinter

Réunion du 7 février 2007 à 21h30
Modification du titre ix de la constitution — Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

On nous dit que le Président sera destitué et qu'à ce moment-là il subira les conséquences de tous ses actes susceptibles de poursuites.

S'agissant des causes de la destitution, il nous a été dit, d'abord, que la haute trahison était une expression trop vague. S'étant beaucoup penché sur cette question qui le passionnait, le doyen Vedel avait défini, dès 1948, la haute trahison comme « une violation grave des devoirs de la charge ». C'était une formule générale, mais qui pouvait être mise en oeuvre.

Voyez-vous une différence avec les termes du texte qui nous est proposé : « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » ? C'est simplement plus mal écrit ! Je préférais le style du doyen Vedel.

Cette formule laisse ouverte l'interprétation souveraine du Parlement, qui décidera lui-même, au coup par coup, de la gravité du manquement. Rien de tout cela ne respecte les premiers principes de la légalité que nous évoquions tout à l'heure ! J'aurais préféré que l'on définisse la haute trahison.

En ce qui concerne le domaine des actes du Président, le principe appliqué aujourd'hui est celui des actes accomplis « dans l'exercice de ses fonctions ». On ne peut pas imputer au Président de la République, avant la fin de son mandat, des infractions qu'il aurait pu commettre dans le cadre d'autres fonctions.

Mais avec le texte qui nous est soumis, c'est fini ! À en croire les écrits des plus distingués auteurs qui sont intervenus dans cette commission, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la révélation d'actes antérieurs peut être prise en considération.

Des exemples sont cités. Supposons que l'on s'aperçoive - on voit très bien pourquoi - que le Président de la République aurait commis des actes de torture en Algérie, dans un très lointain passé. Pour les futurs candidats, on peut se demander ce que cela peut signifier. À défaut de ces réminiscences de faits historiques - que l'on connaîtra très bien avant l'élection d'ailleurs compte tenu de la façon dont on cherche dans le passé et même dont on invente ce qui ne s'y trouve pas -, on évoquera des affaires de corruption liées à des fonctions antérieures de la Présidente ou du Président de la République, à sa compromission dans des affaires de marchés publics, ou tout simplement ses liens avec un réseau de corruption qui finissait à la mairie ou à la présidence du conseil général ou du conseil régional... Tout cela n'est pas impossible !

Comment cela va-t-il se passer ? Je pose la question, parce que je connais la réalité des choses, je sais ce qui se passe ! Imaginons une instruction en cours à propos de laquelle le nom du Président ou de la Présidente de la République est cité : à quel moment le Parlement pourrait-il dire qu'il y a révélation d'un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » ? Mes chers collègues, réfléchissez ! La présomption d'innocence interdirait que l'on agisse et le Président ne pourrait pas paraître dans l'instruction en cours !

Alors, on se réunirait, on destituerait, on estimerait que les journaux fournissent suffisamment d'éléments pour que l'on considère qu'il y a manquement incompatible - puisqu'il s'agit d'une appréciation souveraine... Et si le Président, une fois destitué, bénéficiait d'un non-lieu ou d'un acquittement, on le réintégrerait ?

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