Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 7 février 2007 à 21h30
Modification du titre ix de la constitution — Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à quelques jours de la fin de la session parlementaire, à quelques semaines à peine de l'élection présidentielle, alors que la majeure partie des citoyens se trouve captivée par ce début de campagne, le Gouvernement nous propose un projet de loi constitutionnelle qui, supposé porter réforme du statut et de la responsabilité du Président de la République, aura de lourdes conséquences sur l'équilibre des pouvoirs parlementaires. En réalité, il nous est demandé de statuer sur la responsabilité politique, ou plutôt sur l'irresponsabilité politique du chef de l'État !

Il est vrai que les deux mandats du Président de la République auront été jalonnés de faits divers qui ont relancé la question récurrente du statut pénal. Par trois fois, en effet, des juges d'instruction se sont finalement déclarés incompétents à l'égard du Président.

Pour le Conseil constitutionnel, le Président de la République bénéficie pendant son mandat d'un privilège de juridiction ; pour la Cour de cassation, il jouit d'une immunité. Dans les deux cas, sa responsabilité pénale est neutralisée.

Le sujet est trop grave, il mérite que l'on ne se disperse pas sur d'autres éléments. En fait, c'est bien du sens même de notre démocratie qu'il est ici question !

Au lieu d'apporter des clarifications sur les lacunes que présentent nos institutions héritées de la Ve République, ce projet de loi accentue davantage les déséquilibres qui lui sont inhérents.

Tout d'abord, il aboutit à modifier le statut juridique du chef de l'État de façon inacceptable. En effet, il étend la protection du statut juridique de celui-ci du domaine pénal au domaine civil et administratif. Le Président de la République devient ainsi un citoyen hors du commun, surprotégé et bénéficiant de privilèges dans tous les actes de la vie civile, y compris dans sa vie privée et familiale.

Ce projet de loi met le Président de la République à l'abri de toute responsabilité, il en est fini du privilège de juridiction. Avec cette réforme, il devient tout simplement intouchable durant toute la durée de son mandat, sachant que cette immunité ne se limite plus au domaine pénal, mais qu'elle s'étend à l'ensemble des juridictions, civiles et administratives.

Désormais, en plus de ne rendre aucun compte pour tous les actes relevant du régime pénal, le Président de la République sera également irresponsable pour tous les actes relevant du domaine civil.

Mon collègue Robert Badinter a donné suffisamment d'exemples pour montrer que ce ne sont pas des hypothèses d'école. En effet, nous sommes de simples hommes et femmes et rien n'est impossible dans les relations humaines !

Avec ce projet de loi constitutionnelle, rien, absolument rien ne pourra être judiciairement reproché au Président de la République durant son mandat.

En plus de cette institutionnalisation d'une discrimination entre le Président de la République et ses concitoyens, ce texte renforce un déséquilibre structurel en faveur du Sénat et il introduit une certaine instabilité juridique.

En effet, la possibilité de destituer le Président de la République par la Haute Cour constituée par le Parlement est introduite dans notre droit. Cette nouveauté dans nos institutions aurait pu se révéler bénéfique pour la démocratie. Or elle risque, au contraire, de devenir un danger pour elle ! En l'état actuel de la Ve République, le Président bénéficie d'un privilège exclusif : celui de pouvoir dissoudre l'Assemblée nationale.

S'inspirant des travaux de certains constitutionnalistes français plaidant pour un rééquilibrage des pouvoirs entre exécutif et législatif, la possibilité de destitution est présentée comme une sorte de panacée institutionnelle.

Or les États-Unis d'Amérique ne sont pas la France. Ce qui est copié là est souvent mal transposé ici, notamment parce que, là-bas, le Parlement dispose de largement plus de pouvoirs que le Parlement français.

En France, un rééquilibrage effectif entre exécutif et législatif doit passer par d'autres réformes plus urgentes, nécessaires à une réconciliation des citoyens avec leurs responsables politiques, indispensable à la rénovation de notre démocratie.

Nous devons oeuvrer pour de réelles capacités d'investigation du Parlement, dans les domaines des affaires étrangères, de la défense, des renseignements, de l'énergie, de l'industrie, mais aussi pour l'instauration d'une parité effective entre les hommes et les femmes, pour une limitation drastique du cumul des mandats et pour la reconnaissance d'un droit d'initiative législatif citoyen auprès du Parlement.

Ici, nous assistons à un rééquilibrage en trompe-l'oeil. Cette « fausse vraie réforme » ou cette « vraie fausse réforme » s'inscrit dans l'exception constitutionnelle et démocratique française : notre chère institution, le Sénat.

En effet, de par son mode d'élection, le Sénat se trouve être structurellement ancré à droite. Dès lors, cette réforme pensée et préparée au sein de la commission qu'animait Pierre Avril montre toutes ses limites.

En adoptant cette réforme, c'est une prodigieuse inégalité qui est instaurée : une inégalité entre un Président de la République de droite et un Président de la République de gauche, comme l'a également démontré Robert Badinter.

Un Président de gauche pourra d'autant plus être à la merci d'une destitution que les conditions qui mènent au déclenchement de cette procédure sont des plus floues. Il est fait mention du constat d'un « manquement manifestement incompatible avec les devoirs de son mandat ». Mais que recoupe cette notion d'incompatibilité avec les devoirs de la charge ?

Avec ce texte, en cas de grave crise politique, une opposition parlementaire pourra qualifier de « manquements manifestement incompatibles avec les devoirs de son mandat » un nombre presque infini de décisions du Président.

Des exemples récents de notre histoire politique peuvent alimenter cette thèse pendant les périodes de cohabitation ; je pense à la crise des lycées en 1986, à celle de la grotte d'Ouvéa en 1988 ou récemment aux émeutes dans les banlieues : si nous avions été sous un gouvernement de gauche, la destitution aurait été demandée !

Tout et n'importe quoi pourrait être reproché à un Président de gauche par un Parlement de droite. Ce flou implique une instabilité juridique dangereuse pour notre démocratie.

En outre, cette réforme est inacceptable en l'état. Elle a pour fonction de faire diversion, de détourner l'attention des citoyens des vrais problèmes.

Ce n'est pas en instituant un droit « d'exception » en faveur du Président de la République, contre le droit commun, que l'on renforce la démocratie de notre pays.

Alors que nos concitoyens en appellent à une meilleure justice, à une fin de l'impunité de ses dirigeants, à plus de sévérité pour la délinquance en col blanc, le message qui. lui est communiqué ici n'est vraiment pas le meilleur pour redonner confiance en la vie politique.

Le Président est et doit être reconnu comme un citoyen comme les autres. Le privilège de sa fonction doit être respecté, voire protégé, mais cela ne doit en aucun cas le soustraire aux exigences de la justice, notamment dans ses actes personnels de la vie quotidienne.

Ce n'est pas en important de façon caricaturale et imparfaite la procédure américaine de l' « impeachment » que l'on aboutit à rééquilibrer les pouvoirs entre exécutif et législatif.

En optant pour cette réforme, on se détourne de la voie d'une VIe République, citoyenne, féministe, écologique, pleinement démocratique et solidaire.

Pour toutes ces raisons, comme nos collègues députés Verts, les sénateurs Verts voteront contre ce projet de loi constitutionnelle.

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