Intervention de Pascal Clément

Réunion du 7 février 2007 à 21h30
Modification du titre ix de la constitution — Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi constitutionnelle

Pascal Clément, garde des sceaux :

Si, monsieur le sénateur : lorsqu'on parle de comportement « manifestement incompatible » avec la fonction présidentielle, on voit de quoi il s'agit. Avec la haute trahison, que trahit-on : la Constitution, ses devoirs, sa famille ? On peut trahir tout ce qu'on veut ! C'est donc très flou.

Les juristes sont unanimes sur ce point : la haute trahison est très difficilement définissable et c'est pourquoi nous y avons substitué un concept politique relevant du comportement.

Le Président de la République ne peut, pendant son mandat, être mis en cause devant aucune juridiction pénale de droit commun. Il demeure toutefois une divergence, à savoir le privilège de juridiction que lui maintenait le Conseil constitutionnel et l'inviolabilité temporaire que lui accorde la Cour de cassation. Il fallait donc trancher ce différend, et c'est l'objet du présent projet de loi.

En ce qui concerne l'immunité totale, je vous rappelle, monsieur Badinter, que le texte prévoit une procédure de destitution du Président de la République en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». C'est le Parlement qui appréciera la nature de ce manquement. S'agissant d'une procédure pénale, il n'est pas anormal que le manquement ne soit pas strictement défini sur le plan juridique.

Il est, en revanche, évident que la notion de manquement aux devoirs des fonctions de Président de la République dépasse le cadre institutionnel et s'applique à des infractions graves. Vous avez évoqué le meurtre d'une maîtresse, mais un tel crime serait tellement médiatisé qu'il tomberait dans le droit commun.

Monsieur Lecerf, je ne partage pas votre inquiétude quant au bouleversement institutionnel que provoquerait la réforme.

Il ne faut pas en exagérer les conséquences pour faire trembler le Sénat. Inutile d'imaginer le général de Gaulle « traîné » devant la Haute Cour ! M. Badinter nous a d'ailleurs dit en substance qu'une telle procédure serait peu praticable et qu'il vaut donc mieux ne pas s'engager sur cette voie. Je considère pour ma part que, dans l'hypothèse où la France serait scandalisée par le comportement d'un Président de la République, il est souhaitable de pouvoir demander la constitution d'une Haute Cour qui réunirait les deux chambres du Parlement. Je pense toutefois que l'engagement d'une telle procédure ne se produira pas avant fort longtemps, si tant est qu'il se produise un jour, en tout cas avec une chance d'aboutir.

Madame Boumediene-Thiery, le présent projet de loi ne met pas le Président de la République à l'abri de toute responsabilité. Nous suivons simplement la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel. Vous pourriez me répondre que nous la consacrons. Le texte n'a pas cette ambition : il a pour objet de fixer une jurisprudence et non pas de compléter les décisions de la Cour de cassation.

Je vous trouve bien pessimistes, mesdames, messieurs les sénateurs de gauche. Il est vrai que le Sénat de la Ve République a toujours été à droite, mais vous oubliez de rappeler qu'il fut à gauche pendant toute la IIIe République.

La situation peut parfaitement évoluer et bien malin qui peut dire aujourd'hui si, dans cinq ou dix ans, le Sénat sera de droite ou de gauche. Nous n'avons aucune certitude à cet égard.

Nous constatons d'ores et déjà que l'introduction de la proportionnelle, à partir de quatre sénateurs, a rééquilibré les choses et elle continuera de le faire.

Telles sont les précisions que je souhaitais apporter. J'espère qu'elles rassureront ceux qui s'inquiètent du bouleversement institutionnel que pourrait provoquer l'adoption de cette réforme, qui est présentée à la fin de la législature, mais qui est préparée depuis son début, ce qui a permis à tous d'y réfléchir. Je pense qu'elle permet de perfectionner notre Constitution, sans pour autant la bouleverser.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion