Monsieur le président, si vous le permettez, je défendrai également l'amendement n° 131, sans excéder les dix minutes qui me sont imparties.
La promotion de l'apprentissage auprès des familles des jeunes susceptibles de suivre précocement une formation initiale en alternance peut-elle s'accommoder du travail de nuit, le dimanche et les jours fériés des apprentis mineurs ?
C'est la contradiction fondamentale entre vos annonces et votre politique qui éclate dans ce dossier. Comment envisagez-vous d'atteindre le chiffre mythique de 500 000 apprentis ? En remplissant à marche forcée les sections d'apprentissage et les CFA ! En obligeant des enfants de quatorze ans - cela a failli être treize ans et neuf mois, avec l'accord de M. de Robien - à entrer dans vos sections d'apprentissage junior !
Nous connaissons déjà le traitement statistique du chômage avec les radiations par dizaines de milliers et les contrats aidés annoncés avant d'être signés. Allez-vous maintenant essayer de faire un traitement statistique de l'apprentissage et de la formation professionnelle ?
On voit bien quel est votre objectif : trouver de la main- d'oeuvre pour les métiers « en tension ». Pourquoi appelle-t-on ainsi certains métiers ? Nous n'avons cessé de dire que les métiers en question ne trouvent pas de personnel parce que les salaires sont bas, les conditions de travail souvent pénibles, les tâches parfois rebutantes, les horaires souvent décalés et démentiels.
Ces métiers ne sont des métiers « en tension » que du point de vue statistique, le seul sans doute qui importe à des politiciens braqués sur les chiffres du chômage. En réalité, ils sont tout simplement pénibles.
Votre raisonnement est d'une évidente simplicité : puisque des jeunes sont au chômage, d'une part, et que des métiers manquent de bras, d'autre part, on va faire entrer les jeunes dans ces métiers. Et le plus tôt sera le mieux, puisque, justement, on manque de main-d'oeuvre !
Et comme il y a par ailleurs, des jeunes en révolte dans les banlieues, on va mélanger le tout. On pourra ainsi résoudre trois problèmes à la fois.
Permettez-moi de vous rappeler que, au début des années 2000, l'Union professionnelle des artisans, c'est-à-dire les employeurs directement concernés par la pénurie de main- d'oeuvre dans les secteurs du bâtiment et des métiers de bouche, avait signé un accord pour la formation des jeunes, l'application de la réduction du temps de travail et l'amélioration des conditions de travail.
Cette politique était fondée sur le respect des jeunes et sur l'intérêt pour ces métiers, la volonté de les revaloriser, de leur donner une image favorable et attrayante.
Le gouvernement de l'époque soutenait activement cette démarche gagnant-gagnant. Et des jeunes ont, en effet, été attirés vers l'apprentissage et vers ces métiers. On en mesure les premiers résultats aujourd'hui.
La démarche que vous suivez n'a que faire de pareilles subtilités. Puisque des métiers ne trouvent pas de main-d'oeuvre, on va orienter à quatorze ans des enfants vers ces professions, et le tour sera joué !
J'ajoute, monsieur le ministre, que j'ai été surpris hier par une déclaration de M. Philippe Bas. Il nous a dit, en effet, que dans la mesure où nous n'acceptions pas la suppression des allocations familiales, qui est une sanction, nous devrions accepter l'apprentissage à quatorze ans. L'apprentissage à quatorze ans serait-il une sanction ?
Nous ne pensons pas que les enfants trouveront beaucoup d'attrait à des professions dans lesquelles on leur imposera, dès quinze ans, de travailler de nuit, le dimanche et les jours fériés, si l'employeur le décide. Seule la période comprise entre minuit et quatre heures du matin reste protégée.
Nous estimons que le travail de nuit est incompatible avec la santé et la sécurité des jeunes, qui n'ont pas encore achevé leur croissance.
Avec les enseignants, nous constatons que des jeunes qui ont travaillé la nuit ne sont pas en état, le matin, de suivre les cours dispensés en CFA ou en section d'apprentissage. Cela risque fort de les conduire à un échec lors de l'examen final. Quel sera alors leur avenir ?
Dans cette affaire, je mets de côté l'image parfois sympathique de l'entreprise artisanale où le jeune vient travailler et est traité un peu comme un membre de la famille. Ces situations existent, heureusement, et ce n'est pas celles que nous visons. Les attaques frontales auxquelles vous vous livrez au fil des différentes lois relatives à l'économie et au commerce font progressivement disparaître cette forme d'activité.
Quand on nous parle d'apprentissage, c'est aussi de grandes entreprises dont il est question, d'entreprises sous-traitantes de grands groupes, d'entreprises qui sont déjà étranglées au nom de la mondialisation.
Que l'on n'essaie pas de nous faire croire que c'est là que des jeunes qui auront commencé à quatorze ans dans le monde du travail pourront devenir ingénieurs par l'apprentissage. Il n'y a déjà que très peu d'apprentis qui y parviennent : un à deux pour mille. Les jeunes entrés en apprentissage à quatorze ans n'auront pas acquis les connaissances de base pour y parvenir. Le taux de réussite dans ce domaine sera encore plus faible.
Tout cela constitue un dévoiement de l'apprentissage alors que cette voie de formation mériterait pourtant d'être réellement revalorisée.
En autorisant le travail de nuit, le dimanche et les jours fériés dans un premier temps, en décidant que des enfants de quatorze ans seront orientés vers l'apprentissage s'ils ont connu un échec scolaire, ou à titre de sanction parce qu'ils n'ont pas été sages, vous dévoyez l'apprentissage ! Vous en faites une voie de relégation dans laquelle les familles les plus modestes regretteront d'avoir envoyé leurs enfants !
Vous prenez le risque que, chez les plus démunis, la gratification hebdomadaire joue un rôle d'appât et sorte prématurément de l'enseignement des enfants qui ne retourneront jamais au collège.
Il est évident que les buts recherchés n'ont rien à voir avec les intentions affichées. Dans ces conditions, l'apprentissage n'est pas la voie privilégiée de formation que vous annoncez, car vous le « vampirisez » avec des mesures qui nous ramènent cinquante ans en arrière.
L'apprentissage, tel que vous le concevez, constitue certes un moyen d'apprendre : les jeunes de familles modestes doivent savoir très vite que leur destin est tracé dès l'enfance. Ils doivent travailler et, surtout, obéir, quels que soient l'heure ou le jour, ils doivent s'habituer à gagner peu, à vivre dans la précarité, à na pas revendiquer, sinon ils seront « virés » et leur CNE ou leur CDD ne sera pas renouvelé.
C'est une conception étrange de la cohésion sociale que celle qui fixe les destins dès l'enfance, interdit de fait la mobilité sociale et l'espoir d'améliorer son sort ! Ce procédé repose non sur le respect et sur la confiance, mais sur la ségrégation et sur le mépris. C'est pour ces raisons de fond que nous continuerons inlassablement à nous y opposer.
Monsieur le ministre, désespérant de vous convaincre de renoncer à l'apprentissage dès quatorze ans - nous avons fait des propositions que vous n'avez pas voulu entendre - nous vous demandons qu'au moins pendant la première année, c'est-à-dire entre quinze et seize ans, l'enfant soit protégé. Nous souhaitons que le décret du 13 janvier 2006 ne soit pas applicable aux jeunes de quinze à seize ans.
En conclusion, monsieur le ministre, je vous demande si vous confirmez, devant nous, l'engagement pris par M. Borloo de promulguer rapidement un décret qui exclue la possibilité d'employer des jeunes la nuit, le dimanche et les jours fériés dans les cafés, tabacs et débits de boissons. En effet, l'activité d'apprentissage des dimanches et jours fériés consisterait pour l'essentiel à poinçonner les tickets de PMU, à doser le pastis et à écouter les brèves de comptoir ! Nos apprentis n'ont rien à apprendre dans de telles conditions !