Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu de la grande qualité des rapports qui viennent d’être présentés et des informations qui ont été communiquées à l’instant par mon collègue Alain Joyandet, je me contenterai de donner quelques coups de projecteur sur certains éléments susceptibles de vous intéresser d’un point de vue économique ou financier.
J’évoquerai d’abord les effets de la crise sur les pays africains.
Même si ces derniers ne souffrent pas directement des conséquences directes de la crise financière, ils en subissent malheureusement les répercussions économiques de manière indirecte. Cela tient à plusieurs facteurs. Je pense notamment à la diminution de 12 % de la demande extérieure de ces pays en 2009, alors qu’une augmentation de 3 % avait été constatée en 2008, à la baisse des prix des matières premières et au ralentissement des flux d’investissement étrangers dans les pays émergents, qui ont chuté de moitié en 2008 et en 2009.
C’est peut-être ce phénomène qui sera le plus marquant. En effet, si nous prenons les valeurs absolues en Afrique, les investissements, qui s’élevaient à 53 milliards de dollars en 2007, contre 29 milliards de dollars en 2000 – il y avait donc eu une très forte augmentation –, sont retombés à 29 milliards de dollars en 2008 et à un niveau encore inférieur pour 2009. Nous ne sommes pas très éloignés d’une division par deux des volumes d’investissements directs étrangers, ce qui est évidemment considérable, ne serait-ce que par comparaison avec le volume de l’aide publique au développement.
Dans le même ordre d’idée, les transferts des fonds des migrants, qui représentent une contribution essentielle au revenu des ménages dans les pays en développement, donc à leur consommation, accusent malheureusement d’ores et déjà une baisse significative.
À cet égard, je voudrais répondre à l’interrogation de M. le rapporteur spécial Michel Charasse sur l’épargne des migrants et les incitations fiscales. En fait, nous souhaitons agir – nous en avons déjà débattu l’an dernier – sur deux leviers. D’une part, nous voulons favoriser la baisse du coût des transferts des fonds des migrants, qui représentent au total 300 milliards de dollars dans le monde, soit le triple de l’aide publique au développement ; il est utile d’avoir ces ordres de grandeur en tête. D’autre part, nous cherchons à encourager l’épargne des migrants, notamment avec le « compte épargne codéveloppement », qui bénéficie d’une aide fiscale, mais qui – Alain Joyandet vient de le souligner en écho à vos propos, monsieur le rapporteur spécial – se révèle un peu décevant.
Nous avons décidé de lancer une réflexion interministérielle – elle sera prochainement confiée à une personnalité particulièrement compétente – sur les deux volets que je viens d’évoquer, afin, d’une part, de faire baisser les coûts des transferts, qui sont particulièrement élevés en France, notamment parce que nous n’avons pas réussi à conclure suffisamment de conventions avec les banques, et, d’autre part, d’établir un bilan objectif des dispositifs de soutien à l’épargne des migrants, d’analyser les raisons de leur insuccès et de proposer des pistes de réforme.
Au total, compte tenu des baisses d’investissements et des phénomènes économiques que je viens de rappeler, le niveau de croissance économique en Afrique, qui était d’environ 6 % par an avant la crise, devrait être en 2009 légèrement supérieur à 1 %, selon les dernières estimations du Fonds monétaire international, le FMI. Et nous savons bien que la croissance démographique, elle, demeure bien supérieure.
Nous sommes donc confrontés à des risques très importants, notamment au regard de la réduction de la pauvreté et des progrès qui avaient été réalisés en ce sens ces dernières années.
Dans le même temps, tous ceux qui, comme nombre d’entre vous, ou comme Alain Joyandet et moi-même, travaillent beaucoup avec les Africains sont frappés par leur « résilience », pour reprendre un terme à la mode, et par leur capacité de résistance aux difficultés de la crise.
Cette situation de crise éclaire, me semble-t-il, d’un jour nouveau la question si importante, dont vous avez débattu à juste titre ici, de l’équilibre entre aide bilatérale et aide multilatérale.
En effet, c’est, par définition, au niveau multilatéral, et sous l’impulsion du G20, lui-même largement dynamisé par les propositions du Président de la République, que des mesures contra-cycliques ont été prises dans la crise en faveur du développement. Nous avons veillé à faire en sorte que des moyens financiers supplémentaires soient fournis aux pays les plus pauvres pour lutter face à la crise. Et le meilleur outil en ce sens était, et demeure, le FMI.
Vous le savez, le Fonds a prévu d’augmenter d’environ 8 milliards de dollars ses prêts, qui seront sans intérêt, aux pays à faible revenu sur les deux ou trois prochaines années, notamment grâce à la vente de son or. Cette décision, qui est absolument historique, ne pouvait évidemment être que multilatérale.
Les bailleurs ont également contribué. Ainsi, la France a accordé à cette occasion un nouveau prêt concessionnel de 1 milliard de dollars au FMI. Elle a également largement contribué à faire en sorte que le FMI refonde son modèle de prêt aux pays à faible revenu, afin de mieux répondre à leurs besoins.
Comme M. le rapporteur spécial Edmond Hervé l’a rappelé à juste titre, nous avons été très en avance en matière d’aide bilatérale grâce aux types de prêts accordés par l’AFD. Mais nous avons également beaucoup œuvré en matière d’aide multilatérale pour que les assouplissements des conditionnalités et du cadre d’emploi des instruments de financement du FMI profitent non seulement aux pays à revenu intermédiaire, mais également aux pays les plus en difficulté.
À ce titre, le projet de loi de finances qui vous est proposé ouvre des crédits permettant de couvrir l’intervention de la France au titre du FMI. En 2010, 20 millions d’euros de crédits sont mobilisés pour bonifier les prêts que la France accorde au FMI, en tenant compte de l’augmentation que je viens d’indiquer.
Parallèlement, et toujours pour remédier à la crise, la France a pris des initiatives pour accélérer les décaissements des banques multilatérales et augmenter leurs engagements. Le G20 a fixé un objectif d’augmentation de 100 milliards de dollars des financements des banques multilatérales sur trois ans.
Nous savons également que nous serons amenés à accompagner certaines augmentations de capital des banques multilatérales. Ce sera vraisemblablement le cas pour nous dans le projet de loi de finances pour 2011. La première recapitalisation qui est déjà intervenue est celle de la Banque asiatique de développement, avec un triplement du capital, qui a été acté lors du sommet du G20. Pour la France, cela correspond à un engagement des crédits s’élevant à 54 millions d’euros. Nous y parvenons dès 2009 par un redéploiement au sein du programme 110.
En complément de ce qui a été très bien dit par les différents rapporteurs, ainsi que par mon collègue Alain Joyandet, je souhaite vous apporter mon éclairage sur un autre point.
Outre les priorités géographiques, qui ont été fixées dans un comité interministériel présidé voilà quelques mois par M. François Fillon, je vous confirme que nous avons deux priorités sectorielles principales.
La première est la sécurité alimentaire. À ce titre, il vous est demandé d’autoriser l’engagement de 35 millions d’euros au profit du Fonds international de développement agricole. Et nous avons demandé à l’AFD de doubler son plan d’affaires dans l’agriculture et la sécurité alimentaire, qui atteindra 1, 5 milliard d’euros sur cinq ans.
Notre deuxième priorité sectorielle est l’environnement. Nous confirmons nos engagements auprès du Fonds pour l’environnement mondial. Au plan bilatéral, nous soutenons la même approche, via le Fonds français pour l’environnement mondial, plus particulièrement ciblé sur l’Afrique, qui mobilise les équipes opérationnelles de l’AFD et qui permet au passage à un certain nombre de nos entreprises, dans le respect du déliement des aides, d’apporter leur contribution, par exemple à des projets d’électrification ou d’efficacité énergétique.
Comme cela a été rappelé, le Parlement est pleinement associé à la réflexion sur la stratégie de la Banque mondiale, dont nous vous avions promis le lancement l’an dernier. Le document qui est soumis à votre appréciation et sur lequel nous attendons beaucoup de contributions sur le fond de la part des parlementaires développe deux axes, en l’occurrence le renforcement de notre rôle en tant qu’actionnaires, c’est-à-dire de notre vision du mandat de la Banque mondiale, et le renforcement des partenariats opérationnels entre nos propres actions bilatérales et les projets financés par la Banque mondiale.
Les partenariats opérationnels qui sont possibles doivent se développer encore avec l’Agence française de développement.
Monsieur le rapporteur spécial Edmond Hervé, vous êtes intervenu spécifiquement sur le compte de concours financier « Prêts aux États étrangers ».
Je souscris à ce que vous avez indiqué à propos du programme « Prêts à des États étrangers, de la Réserve pays émergents, en vue de faciliter la réalisation de projets d’infrastructure ». Le secteur urbain au sens large est effectivement l’un de ceux sur lesquels nous pouvons intervenir. Avec plusieurs pays – je pense notamment à la Chine, à l’Inde ou aux pays du Maghreb –, nous avons développé comme priorités un certain nombre de projets qui, dans le développement durable en général, se focalisent par exemple sur l’eau, les déchets ou l’efficacité énergétique urbaine. Tout cela va dans le sens que vous souhaitez.
En 2009, les pays bénéficiaires des crédits que vous aviez accepté d’augmenter fortement ont été l’Égypte, la Tunisie, le Maroc, le Vietnam, où nous étions récemment avec M. le Premier ministre, le Pakistan, où je me suis rendue au mois de juillet à la demande du Président de la République, le Sri Lanka et la Serbie. Nos engagements portent sur le financement de onze nouveaux projets et sur des compléments de financement, dont deux ont un caractère très emblématique : le métro de Hanoï et celui du Caire.
Bien entendu, de très nombreux financements de la « Réserve pays émergents » sont sollicités par les pays éligibles, surtout dans le contexte de raréfaction des financements qui est connu à l’échelle mondiale. Je veux être sincère avec vous : les 400 millions d’euros d’autorisations d’engagement prévues pour 2010 ne permettront pas de satisfaire la totalité de ces demandes.
En revanche, les 300 millions d’euros prévus en crédits de paiement permettront bien de financer le démarrage des projets les plus importants, en particulier l’un des plus emblématiques : la ligne à grande vitesse Tanger-Casablanca.
Pour terminer, je dirai quelques mots sur les prêts à des États étrangers, retracés par le programme 852 « Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France ».
Ce deuxième compte de prêts soumis à votre vote décrit la participation de la France aux efforts de la communauté internationale pour réduire le poids de la dette des pays émergents. Nous poursuivons cette politique au sein du club de Paris, dont notre pays assure la présidence et le secrétariat. Vos rapports et les informations données précédemment sont suffisamment précis pour que je ne détaille pas les chiffres globaux.
Sur le plan de la technique budgétaire, les annulations de dettes sont imputées sur le programme 110 « Aide économique et financière au développement », par annulation dans le bilan de l’État ou par annulation à la COFACE. Les rééchelonnements de dette sont effectués par décaissement de nouveaux prêts grâce au programme 852, qui consolide les dettes rééchelonnées.
J’ai bien conscience de la relation, évoquée par M. Edmond Hervé, entre ces différents dispositifs et les intérêts des entreprises françaises. Cette préoccupation est totale dans le cas des crédits de la réserve pays émergents. S’agissant de l’Agence française de développement, l’AFD, Alain Joyandet et moi-même avons fait en sorte que des échanges d’informations entre l’AFD et l’Agence de soutien des exportations, Ubifrance, dans le respect des mécanismes de déliement des aides, permettent à nos entreprises, notamment à nos PME, d’avoir accès à l’information et de concourir aux appels d’offres lancés par l’Agence.
Enfin, j’évoquerai les prêts de l’Agence française de développement, puisque certains intervenants se sont interrogés sur la problématique du prêt souverain et du prêt non souverain.
En premier lieu, nous avons souhaité que la France développe son activité de prêt souverain, y compris dans les pays les plus pauvres – notamment en Afrique subsaharienne –, dans la mesure où ces prêts correspondent à des ressources additionnelles pour les pays bénéficiaires, qui peuvent contribuer – en complément de notre effort en subvention – à soulager les problèmes de financement.
Néanmoins, nous avons toujours été très clairs – et nous le sommes au cas par cas dans notre relation avec les dirigeants des pays concernés – sur le fait que cette évolution ne doit en aucun cas menacer la soutenabilité de l’endettement des pays bénéficiaires de ces prêts, d’autant plus que nous les aidons quelquefois à se désendetter par ailleurs.
C’est pourquoi nous avons demandé à l’AFD de limiter ses activités de prêt souverain aux pays dont le risque de surendettement est jugé faible, et de privilégier, dans ses prêts aux pays les plus pauvres – notamment les pays les moins avancés –, les instruments de prêt souverain les plus concessionnels, c’est-à-dire ceux que le France finance sur le programme n° 853.
En second lieu, l’AFD a développé significativement son activité de prêt non souverain, c’est-à-dire de prêt à des entités publiques. Cette évolution concerne au premier chef l’Afrique subsaharienne, où ce type d’intervention contribuera de manière essentielle au doublement des engagements du groupe AFD, tel qu’il a été annoncé par le Président de la République pour la période allant de 2008 à 2012.
Certaines interrogations ont porté, me semble-t-il, sur les interventions de l’AFD en dehors de la zone africaine, sous forme de prêts. Comme vous le savez, cette intervention s’effectue sous forme de prêts non concessionnels, puisque nous sortons de la liste des pays prioritaires rappelée tout à l’heure. Cette activité permet de déployer l’intervention de la France et de diversifier les modalités d’intervention de cette dernière. Nous pouvons d’ailleurs constater l’intérêt suscité, à travers le monde entier, par ce type d’interventions et la grande pertinence de ces outils de soutien au développement par le secteur privé.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques informations qui devraient permettre d’éclairer votre vote.