Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, voilà un an et demi, Mme Lagarde, se refusant à parler de plan de relance économique, déclarait que la France avait besoin d’une gestion rigoureuse et de réformes ambitieuses.
Quelques mois plus tard, à la suite de la faillite de la banque Lehman Brothers, le Président de la République présentait son « arme anticrise » : un plan de relance. Il appelait même à « refonder le capitalisme ». C’était il y a tout juste un an.
Voilà quelques jours, en déplacement dans le Var, Nicolas Sarkozy dressait un bilan on ne peut plus flatteur de son action sur le plan économique. S’il est vrai que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il est toujours impératif de se confronter à la réalité des faits.
Je scinderai mon propos en deux parties distinctes. La première aura trait à la consommation ; la seconde concernera le rôle des collectivités dans le soutien à l’investissement public en 2009.
Les récentes données publiées par l’INSEE pour le mois d’octobre dernier montrent que la consommation des ménages a crû de 1, 1 % en un mois. Certes, cette dynamique positive peut être perçue comme la poursuite d’un mouvement de correction. Il n’en reste pas moins que les dernières données statistiques confirment bien la bonne résistance de la consommation de nos concitoyens, qui a progressé de 3, 5 % en un an.
Une analyse plus fine de la composition de la consommation des Français démontre que cette croissance n’a pas été tirée uniquement par l’automobile, mais bien par d’autres secteurs, n’en déplaise au Président de la République, pour qui soutenir la demande reviendrait « à verser de l’eau dans le sable » et qui juge que, « si cela marchait, on le ferait, cela se saurait ». Les chiffres sont là pour démontrer le contraire !
À ce titre, le subterfuge consistant à coupler la consommation à une augmentation de l’endettement à venir procède d’un préjugé idéologique. Bien loin d’entraîner mécaniquement des recettes supplémentaires, le fait de soutenir la consommation vise aussi à provoquer un choc de confiance chez les consommateurs et les chefs d’entreprise. Or nous en avons d’autant plus besoin que le pouvoir d’achat, pénalisé par la remontée de l’inflation, devrait marquer le pas au dernier semestre.
Si l’on ajoute à cela un chômage élevé, une très faible augmentation des prestations sociales – à de rares exceptions près – et des baisses d’impôts n’ayant plus d’incidences sur le comportement des ménages, c’est bien la consommation qui risque de souffrir en 2010.
Cette perspective semble d’autant plus crédible que les industriels font preuve de la plus grande prudence. Avec des carnets de commandes stables ou qui accusent des baisses à l’exportation, leur moral a même marqué le pas au mois de novembre.
La prime à la casse est l’une des mesures phare du plan de relance. Nous le savons tous, elle a dopé le marché de la vente automobile. Mais qu’en sera-t-il une fois qu’elle aura disparu ? Qu’en sera-t-il de l’exportation de notre production en Allemagne lorsque Berlin aura mis fin à son dispositif de soutien ? Pensez-vous que les Allemands continueront à acheter autant de voitures françaises qu’ils ont pu le faire depuis un an ? On peut très raisonnablement en douter.
Ces questions méritent d’être posées ; elles conditionnent, pour partie, les ventes sur le marché intérieur, mais aussi à l’exportation.
Dans le même ordre d’idées, on ne peut que s’interroger sur la cohérence de la politique actuellement menée : d’un côté, le plan de relance prévoit des baisses d’impôt ; de l’autre, le Gouvernement gèle la prime pour l’emploi pour la seconde année consécutive !
Certes, en procédant de la sorte, le Gouvernement fait plus d’un milliard d’euros d’économie sur le dos des plus modestes. Mais, dans le même temps, il assèche une des rares sources de croissance : la consommation.
En reposant essentiellement sur des mesures de soutien à la trésorerie des entreprises et aux investissements publics, à hauteur respectivement de 11, 5 milliards d’euros et de 10, 5 milliards d’euros, mais en ignorant les mesures destinées à la consommation, le plan de relance aboutit à une logique de déséquilibre et de fragilisation.
Si cette politique privilégie la formation d’actifs et de revenus futurs, elle néglige le présent et l’urgence. Or, nous pouvons en faire le constat au quotidien dans tous nos départements, de tels choix ont des conséquences immédiates en termes de pertes d’emplois et de dépôts de bilan. On peut ainsi leur imputer une partie des 500 000 demandeurs d’emplois supplémentaires.
Dans un environnement déprécié, où des records d’endettement sont atteints, les décisions prises, comme la baisse de remboursement de certains médicaments, conduisent quasi mécaniquement à de nouveaux prélèvements.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’en viens maintenant à la seconde partie de mon propos : le rôle des collectivités.
Elles réalisent, à elles seules, 71 % de l’investissement public, alors que le poids de leur dette dans le PIB, en recul de 0, 7 % cette année, ne représente que 6, 9 %. Chacun de nous le sait : les collectivités ont eu un rôle central dans le soutien à l’investissement public en 2009. Via le dispositif de remboursement anticipé du FCTVA, instauré par l’article 1er de la loi du 4 février 2009 de finances rectificatives pour 2009, portant plan de relance, elles se sont engagées à hauteur de 54 milliards d’euros. Pour reprendre les termes employés par le président Arthuis, cette disposition a constitué « un puissant levier pour les entreprises locales ».
Grâce à l’intervention du groupe socialiste du Sénat, notamment de ma collègue Nicole Bricq, le Gouvernement a pu très tôt prendre la mesure du risque qui pèserait sur les collectivités ayant souscrit une convention avec l’État et qui ne réaliseraient pas leurs investissements dans les délais impartis.
Ces dernières ont obtenu gain de cause lors de l'examen de la première partie du présent projet de loi de finances, conformément, d’ailleurs, à ce qu’avait promis le Premier ministre lors du dernier congrès des maires de France. Le dispositif de remboursement anticipé sera donc reconduit en 2010.
Cependant, malgré les indications du ministre en commission des finances, le fait que le Gouvernement refuse d’unifier le remboursement sur le mode le plus favorable – celui des EPCI – est extrêmement dommageable.
En effet, la récente intégration du FCTVA dans l’enveloppe fermée des dotations contribue à asphyxier financièrement les collectivités territoriales puisqu’elle conduit à minorer artificiellement l’évolution de la dotation générale de fonctionnement.
Ce contexte et ces dispositions expliquent la tendance au reflux qui marque les investissements des collectivités territoriales. En outre, compte tenu du recul de certaines recettes – notamment la baisse de 9, 5 % des droits de mutations, représentant, uniquement pour les départements, un manque à gagner de plus de 2 milliards d’euros –, conjugué aux réformes en cours et aux menaces que celles-ci font très clairement peser sur le devenir de leurs finances, les collectivités territoriales appliquent le principe de précaution.
Notre collègue François Marc en parlait la semaine dernière en citant des maires de son département, et nous le savons tous : partout, en France, l’inquiétude des élus est palpable. Certains d’entre eux ont suspendu les discussions budgétaires, d’autres attendent que les perspectives soient un peu plus lisibles, certains ont d’ores et déjà renoncé à certains projets. Telle est bien la réalité aujourd’hui. Elle affecte directement et négativement nos territoires et notre économie.
Comment ne pas évoquer l’absence totale de disposition relative à l’emploi dans ce plan de relance ? Pourtant, les chiffres sont là : plus de 500 000 demandeurs d’emplois supplémentaires en l’espace d’un an, dont 52 400 pour le seul mois d’octobre ! Et il s’agit en plus d’une sous-estimation, de nombreux chômeurs renonçant à chercher du travail dans la conjoncture actuelle. Les radiations pour défaut d’actualisation représentent ainsi 42, 2 % des sorties de Pôle emploi et ont augmenté de 23, 4 % entre octobre 2008 et octobre 2009.
Voilà en quoi ce plan de relance, tant vanté par le Président de la République, est largement insuffisant.
Il est plus que temps, pour des millions de nos concitoyens, que le Gouvernement prenne la mesure de son échec en matière de travail et d’emploi. À nos yeux, le concept de valorisation du travail n’a de sens que si, au-delà du simple slogan, il se traduit par une politique clairement axée sur la croissance de l’emploi et sa préservation.
Aussi, il est temps d’agir en mettant en place un véritable plan de relance de l’emploi. Pour les chômeurs, je réitère les propositions que j’ai formulées il y a deux jours lors de l'examen de la mission « Travail et emploi » : le prolongement de six mois de la durée d’indemnisation sur la base de 80 % du salaire ; l’extension des contrats de transition professionnelle à l’ensemble des bassins d’emploi avec une durée d’indemnisation de deux ans ; et l'augmentation du coût des licenciements pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs propres actions. Tel pourrait être le socle d’un plan de relance visant le soutien de l’emploi.
Jusqu’alors, le Gouvernement, via le plan de relance, avait négligé la consommation et soutenu le seul investissement. Malheureusement, la crise n’est pas derrière nous et une croissance de 0, 3 % ne sera pas suffisante pour endiguer la hausse du chômage et de la précarité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les réformes en cours, notamment la suppression de la taxe professionnelle, font peser de multiples risques sur notre économie. Par conséquent, si le Gouvernement ne s’engage pas dans une politique de soutien marqué à la consommation des ménages et des collectivités, s’il ne se lance pas dans la bataille de l’emploi et continue à laisser faire les logiques du moins-disant social, ce sont les moteurs essentiels de notre économie qui risquent d’être irrémédiablement mis à mal !