Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, « Comment peut-on parler de République quand la réussite scolaire et l’avenir professionnel dépendent non de l’intelligence, non du courage, non de l’ardeur au travail, non du mérite mais beaucoup du milieu social d’où l’on vient, du quartier où l’on habite, du nom que l’on porte, de la couleur de sa peau ? […] Le plus grand danger qui menace notre modèle républicain, c’est que la République devienne une idéologie désincarnée » : c’est en ces termes que le Président de la République, Nicolas Sarkozy, évoquait la République qu’il appelait de ses vœux, à l’occasion de son discours à l’école Polytechnique.
Mais, sur le terrain, dans les politiques mises en place, dans les arbitrages ministériels, rien – ou si peu ! – ne traduit cet engagement de façade. Les décisions présidentielles contreviennent aux beaux discours élyséens. Les frontières de la République s’arrêtent-elles là où la question sociale est la plus aiguë ? Plus encore qu’en 2005, année marquée par des semaines d’affrontements violents, nos quartiers sont les grands oubliés, les « territoires perdus » de la République. Le Gouvernement, avec indifférence, détourne le regard et ne se préoccupe pas du sort des huit millions de nos concitoyens qui vivent dans des territoires éligibles à la politique de la ville et, le plus souvent, aiment leur territoire, en dépit des difficultés.
Nous en sommes à l’heure des bilans ! Les grandes promesses du plan « Espoir banlieues » ne se traduisent pas sur le terrain. Le Président de la République avait fait état d’une « mobilisation sans précédent pour casser les ghettos ». Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, l’ONZUS, montre que l’écart entre les zones urbaines sensibles et le reste du territoire ne s’est pas réduit depuis 2005. Les éléments qui ont contribué à la révolte de l’automne 2005 n’ont pas disparu, bien au contraire.
L’insécurité n’a pas reculé : la suppression de la police de proximité, parti pris idéologique de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, a eu les conséquences néfastes que l’on sait. Son rétablissement, via les unités territoriales de quartier, est tardif et vraiment insuffisant. La sécurité dans les zones sensibles est vue sous l’angle de la technologie – vidéosurveillance, Taser –, de la politique du chiffre – contrôle au faciès, multiplication des procédures pour outrage –, et non sous l’angle d’une présence policière stable et rassurante pour tous.
La tâche des policiers dans les quartiers sensibles est difficile. Mais quand des fautes sont commises, il faut qu’elles soient sanctionnées. Les abus et les dérapages de quelques-uns ne doivent pas discréditer le professionnalisme de la majorité, car l’impunité porte préjudice à l’ensemble de nos forces de l’ordre. Ce n’est pas faire preuve d’angélisme que de dénoncer ces pratiques et d’appeler à des sanctions. Au contraire, c’est soutenir les policiers, reconnaître leur rôle et leurs revendications sur les effectifs, dans les missions républicaines qui leur sont confiées. Dans le domaine de la sécurité, donc, le résultat n’est pas au rendez-vous !
En ce qui concerne l’emploi, le chômage frappe durement les habitants des zones sensibles. En moyenne, un jeune sur quatre y est au chômage, contre un jeune sur huit dans le reste de la France. En matière de revenus, une personne sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté, et même une sur deux pour les moins de 18 ans. Le taux de chômage dans les zones urbaines sensibles s’établit à presque 17 % ; il est moitié moins élevé sur les autres territoires.
En dépit de ce tableau très sombre, le Gouvernement a, dans un premier temps, refusé de réserver une partie de la dotation de solidarité urbaine aux villes les plus pauvres. De l’avis de Mme la secrétaire d’État et de Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois et président de l’association des maires « Ville et banlieue de France », il est impératif de concentrer la DSU sur les villes les plus pauvres, et non de la saupoudrer sur les 750 zones urbaines sensibles, si l’on veut réellement obtenir des résultats.
Par ailleurs, comme le réclame Mme la secrétaire d’État, l’engagement de tous les ministères est nécessaire pour s’attaquer à ce que Jean Louis Borloo avait qualifié de « cancer de la République ». Le diagnostic existe depuis longtemps ; les conséquences sont connues ; les moyens sont aujourd’hui notoirement insuffisants.
C’est de la non-assistance à population en danger, et j’évoquerai cinq exemples de cette indifférence du Gouvernement.
Premier exemple, l’an passé, à l’occasion de la discussion de la loi de finances, le Gouvernement avait fait voter, contre l’avis des commissions concernées, la limitation des avantages fiscaux et sociaux consentis aux zones franches urbaines. Or, pour l’ONZUS, ce dispositif a montré son efficacité puisque, dans les zones franches urbaines, le taux d’activité a augmenté en moyenne de 20 % par an.
Le budget de l’État pourrait donc se permettre un manque à gagner de 3 milliards d’euros par an en faveur des restaurateurs, un bouclier fiscal de 15 milliards d’euros par an pour les plus favorisés, mais n’aurait pas 165 millions d’euros à consacrer à l’emploi dans les quartiers populaires ?
Deuxième exemple de cette indifférence, les crédits des politiques de la ville sont en nette diminution : 6 % en autorisations d’engagement et 10 % en crédits de paiement. Or le changement de périmètre, avec le départ du service civil volontaire, n’explique pas toute la baisse.
Troisième exemple, le financement de l’Agence nationale de rénovation urbaine n’est plus assuré à partir de l’an prochain. Dans les territoires, les élus se sont déjà engagés dans la phase opérationnelle de leur projet de rénovation et ont toutes les peines à obtenir de l’État le chèque prévu.
Surtout, quatrième exemple, le comité interministériel des villes, qui devait se réunir en octobre pour coordonner le plan d’action de la politique de la ville, a été repoussé sine die. Sans dynamique interministérielle, la politique de la ville se réduit comme une peau de chagrin. Or, pour que la coopération interministérielle fonctionne, il faut qu’elle soit soutenue au plus haut niveau du Gouvernement. Monsieur le secrétaire d’État, revient-il vraiment au groupe socialiste du Sénat de dénoncer aujourd’hui la très grande solitude de Mme Amara qui, dernièrement, n’a pas ménagé ses efforts d’alerte ? Nous avons le sentiment que ses collègues du Gouvernement ne jouent pas le jeu de la mobilisation collective !
Cinquième et dernier exemple de cette indifférence, votre projet pour le Grand Paris. Quand il s’agit de vouloir implanter un métro souterrain en forme de grand huit en région parisienne, étrangement, les moyens ne manquent pas : 25 milliards d’euros pour créer une liaison entre Roissy, Orly, La Défense et Saclay au profit de quelques-uns et, pour les autres, rien !
Alors que les stations prévues de ce dispendieux grand huit vont se concentrer sur quelques points seulement, la région, par le biais du Syndicat des transports d’Île-de-France, propose de créer des liaisons rapides de banlieue à banlieue pour favoriser la circulation de tous les Franciliens et non d’une minorité. Nous voulons une agglomération durable qui ne fasse pas du tri sélectif de Franciliens !
Le groupe socialiste aurait préféré que l’énergie et le temps dépensés dans le cadre du débat sur l’identité nationale soient investis dans l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens les plus fragiles.
Je profite de cette tribune pour dire à André Valentin, maire UMP à la célébrité éphémère, que « les dix millions que l’on paie à rien foutre » – et dont je fais partie ! – contribuent à la vitalité de la France. Les habitants des quartiers populaires souffrent d’être les otages des campagnes électorales. Ils veulent se loger, travailler, se déplacer et aspirent à gagner un droit à l’indifférence, autrement dit, à être des citoyens à part entière et non des citoyens à part.
Il ne faudra pas s’étonner si, prochainement, à l’instar de ce qui s’est fait aux États-Unis, la France venait à célébrer une journée sans immigrés – ou personnes issues de l’immigration –, journée pendant laquelle tous ceux qui se sentent injustement stigmatisés cesseraient toute activité et tout acte de consommation.
Le rôle de Cassandre n’est jamais agréable. Mais la situation dans les quartiers populaires est très préoccupante. C’est pourquoi, très solennellement, le groupe socialiste demande à M. le Premier ministre de réunir au plus tôt le comité interministériel des villes, de sonner la fin de la récréation en mettant un terme à cette opération politicienne sur l’identité nationale, qui vire au nauséabond : elle n’a pour seul résultat que d’ouvrir les vannes du racisme, de l’islamophobie et de la bêtise, et elle ne fera qu’amplifier le fléau des discriminations qui sont de véritables morts sociales, on ne le dira jamais assez !
Aujourd’hui, plus que jamais, le rôle de l’État en tant que garant de la solidarité nationale et de l’égalité républicaine des territoires et des populations doit constituer une priorité. La baisse des crédits, les incertitudes sur le financement de l’ANRU, du fait de la suppression de la taxe professionnelle, la remise en cause des zones franches, la fin de la clause de compétence générale des départements et des régions : tout concourt à un avenir sombre pour nos quartiers, de l’avis même des maires, de droite comme de gauche.
C’est pourquoi, vous le comprendrez, le groupe socialiste votera contre les crédits de cette mission.