Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 4 décembre 2009 à 22h00
Loi de finances pour 2010 — État b

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Alors que les maires des banlieues les plus défavorisées ne cessent d’alerter sur la transformation de leurs quartiers en ghettos et que les inégalités entre territoires s’accroissent, la baisse de 6 % du programme « Politique de la ville » est incompréhensible. Symboliquement, cette diminution consacre un abandon.

Les banlieues ne sont décidément pas la priorité du Gouvernement. Nous avons le sentiment que le ghetto a ceci de commode qu’il permet de concentrer la pauvreté sur des territoires déjà considérés comme sinistrés, de façon que les autres puissent continuer à vivre comme si de rien n’était.

Ancien maire de Villiers-le-Bel, élue de ce territoire depuis plus de trente ans, je connais bien la réalité des quartiers. Malheureusement, aujourd’hui, on n’en est plus à se battre pour restaurer la mixité sociale. Cette bataille-là est déjà perdue. Ce que les maires demandent avant tout, ce sont des moyens pour tirer vers le haut les habitants de ces quartiers.

Rien n’est plus difficile pour un élu au contact de sa population que de constater la détresse des habitants et de voir les difficultés s’enkyster. Qu’il s’agisse de chômage, de pauvreté ou d’éducation, les inégalités continuent de se cumuler sur ces territoires.

Le dernier rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles en témoigne : 33, 1 % des habitants des ZUS vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 12 % pour le reste du territoire. Les difficultés d’accès à l’emploi y sont toujours aussi importantes et le décrochage entre territoires ne cesse de s’accentuer. Le chômage y est d’autant plus enraciné que 66 % des actifs de moins de vingt-cinq ans n’ont aucun diplôme et ceux qui en ont un subissent les phénomènes de discrimination. Et ces statistiques ne tiennent pas compte des pleins effets de la crise que ces quartiers fragiles ont encaissés de plein fouet. Ainsi, dans le Val-d’Oise, le chômage des jeunes a augmenté de 42 % sur l’année 2009, chiffre fourni par les services de l’État.

Le plan « Espoir banlieues » n’a pas seulement échoué, il a installé un sentiment de trahison. Ce sentiment est partagé par les élus de ces villes.

L’épisode concernant la répartition de la DSU lors de la discussion de cette mission à l’Assemblée nationale l’atteste. Alors que les maires demandaient que les 70 millions d'euros supplémentaires de la DSU soient concentrés sur les villes les plus pauvres, et non saupoudrés sur les 750 zones relevant de ce dispositif, le Gouvernement a refusé tout aménagement, malgré la demande de Mme la secrétaire d'État.

Même si l’alliance informelle d’élus de banlieue issus de droite et de gauche a fini par obtenir un vote favorable de l’Assemblée nationale pour concentrer les 70 millions d'euros sur les 250 villes les plus pauvres, les maires ont pu mesurer à quel point ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes.

À cette occasion, ils n’ont pas manqué de dire leurs inquiétudes face aux réformes permanentes de la politique de la ville. Tous les ans, on est obligé de se battre pour sauver les crédits de la politique de la ville. Rien n’est jamais acquis, « tout est toujours remis en cause », soulignait Claude Dilain, le maire de Clichy-sous-Bois.

La politique de la ville reste brouillonne ; on n’arrive pas à imposer une solidarité financière minimale entre communes pour éviter qu’il n’y ait des « ghettos de riches et des ghettos de pauvres », s’alarmait Jean-Christophe Lagarde, député-maire du Drancy.

Et c’est bien là l’enjeu ! Tout donne à penser que les écarts entre territoires qui se délitent et ceux qui ont les capacités de rebondir devraient encore se creuser.

Je cite à nouveau Claude Dilain : « La France ne peut tolérer que subsistent autant de quartiers qui sont devenus de véritables ghettos. Ou alors il faudra accepter de vivre avec le spectre permanent de nouvelles crises urbaines. »

La population de ces quartiers se sent isolée et rejetée pour des raisons indissociablement sociales et ethniques.

Didier Lapeyronnie, sociologue spécialisé sur ces questions, l’exprime très bien : face à cette situation, s’est élaborée une véritable contre-société, le ghetto ; pour chacun, le ghetto fonctionne comme une cage, on est forcé d’y vivre du fait de la pauvreté et de la discrimination, et comme un cocon au sein duquel on se replie et dont on connaît au moins les règles.

Les sources du repli communautaire ne sont pas à chercher ailleurs. Cette population nous dit ceci : « Puisque vous ne voyez en moi que ma différence et non pas ce qui nous rassemble – je suis né ici, j’ai grandi ici –, alors, ma différence, je l’exhibe ! ». Quand l’intégration à la société devient impossible, c’est sur sa seule différence que l’on construit son identité.

Le dédain du Gouvernement est responsable aujourd’hui du désespoir de ces populations. Il sera responsable demain de l’enfermement communautaire et de ses conséquences. Tout cela, Bariza Khiari vous l’a dit tout à l’heure, avec talent et conviction.

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