Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, nous assistons à une véritable prise de conscience des pouvoirs publics nationaux, européens et internationaux, de la nécessité d’élaborer une législation réprimant les violences conjugales et encadrant la protection de l’enfance.
Des avancées non négligeables ont eu lieu en France, telle la loi du 4 avril 2006, qui résulte de l’adoption de la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, due entre autres à l’initiative de M. Roland Courteau, à qui je tiens à rendre hommage. Une autre avancée réside dans la création, en 2008, d’une mission d’évaluation de la politique de prévention contre les violences faites aux femmes, placée sous la présidence de Mme Danielle Bousquet.
Malgré ces progrès, de réelles difficultés demeurent, et il paraît donc nécessaire de poursuivre les efforts engagés dans ce domaine.
De nombreux chiffres alarmants ont déjà été cités. Je n’en ajouterai qu’un : à l'occasion de l’étude Cadre de vie et sécurité menée par l’INSEE, sur la période de 2007 à 2008, plus de 800 000 personnes âgées de 18 à 75 ans ont déclaré avoir subi des violences physiques ou sexuelles dans le cadre de leur vie familiale, dont plus de 50 % ont été commises par leurs conjoints actuels.
Comme nous le savons tous, les chiffres officiels sont bien souvent, hélas ! l’arbre qui cache la forêt. Les violences au sein du couple et de la famille sont fréquentes, complexes et, par là même, très difficiles à appréhender.
De nombreuses femmes victimes d’agressions n’osent pas porter plainte, soit par peur, soit à cause de ce que les psychiatres appellent un « processus de conditionnement » auquel elles sont soumises et qui les conduit à accepter l’intolérable.
Comme le montrent les estimations réalisées par l’Observatoire national de la délinquance, les plaintes déposées par les victimes représenteraient moins de 9 % des violences conjugales réellement subies.
À ce phénomène s’ajoute l’insuffisance des dispositifs de détection et d’accompagnement psychologiques et juridiques des victimes de violences conjugales. L’article 5 de la présente proposition de loi, qui prévoit que les victimes de violences conjugales bénéficieront de l’aide juridictionnelle sans conditions de ressources, a pour objet de remédier à cette situation.
Mes chers collègues, nous sommes confrontés à un fait social majeur, et il est indispensable d’améliorer le dispositif de lutte contre les violences au sein du couple, en poursuivant l’effort engagé en matière de prévention et de répression.
L’article 1er de cette proposition de loi vise à insérer dans le code pénal la notion de « violence psychologique ». Cette dernière est oubliée par notre législation, bien qu’elle représente les trois quarts des violences recensées en France. Elle est bien souvent le préalable aux agressions physiques, et s’accompagne d’incidences lourdes et parfois irrémédiables sur la santé physique et psychique des individus. D'ailleurs, elle frappe aussi l’entourage et affecte fortement la vie familiale, sociale, relationnelle et professionnelle.
Cette violence psychologique peut se manifester de manières très diverses : harcèlement moral, mépris, isolement, insultes, humiliations en public ou en privé. Les mots et la persécution morale sont parfois aussi meurtriers que la violence physique pure.
Même si des professionnels du droit ont émis des doutes quant à l’effectivité d’un tel délit, tant il est difficile à prouver, des psychiatres ont précisé que, à partir d’une certaine intensité, la violence psychologique était détectable et mesurable. Il est donc nécessaire de légiférer afin d’intégrer cette dimension dans notre législation.
Le présent texte permet aussi des avancées en ce qui concerne les conséquences de cette forme de violence, directe ou indirecte, sur les enfants au sein de ces couples.
Nombre de professionnels de santé, en contact avec ces enfants, sont témoins des dangers que la violence au sein du couple fait peser sur leur bien-être.
Cette violence, au-delà de ses conséquences physiques et psychiques directes, a des répercussions sur le développement de l’enfant, car elle perturbe son fonctionnement cognitif et émotionnel, ce qui se traduit par des difficultés d’intégration, par un repli sur soi ou encore par divers troubles des apprentissages.
Cette violence affecte aussi la conduite de l’enfant, qui est alors marquée par des « problèmes extériorisés », comme la banalisation des violences physiques et morales, l’adoption de comportements agressifs ou encore l’usage de la violence, mais aussi par des « problèmes intériorisés », comme la dépression ou la propension à se poser en victime.
Ces impacts sont dramatiques pour l’épanouissement et le développement de l’enfant. En outre, de telles situations ne sont pas sans répercussions dans le temps. Parvenus à l’âge adulte, ces enfants seront exposés à des difficultés accrues en termes d’intégration sociale et de stabilité psychologique, et ils reproduiront parfois des comportements violents à l’égard de leurs proches, équivalents à ceux qu’ils ont connus lorsqu’ils étaient jeunes.
L’exposition des enfants à la violence dans le couple, que celle-ci soit physique et manifeste, ou psychologique et impalpable, induit des troubles importants en matière de développement. La protection des enfants est donc une nécessité. Les articles 2 et 3 de notre proposition de loi s’inscrivent dans cette perspective.
L’article 2 vise à élargir aux pacsés et aux concubins le champ des dispositions permettant au juge aux affaires familiales d’éloigner l’auteur des violences du domicile commun. C’est une proposition de bon sens.
L’article 3, quant à lui, tend à mettre en place une séance mensuelle d’information sur le respect mutuel entre les sexes dans les écoles, les collèges et les lycées, mais aussi à instituer une journée nationale de sensibilisation aux violences au sein des couples.
L’école a en effet un rôle clé à jouer dans la prévention des violences, afin d’éviter que certains comportements ne s’ancrent chez les enfants dès leur plus jeune âge. Nous pouvons espérer qu’une meilleure sensibilisation lèvera le tabou qui existe parfois dans de telles situations, et qu’elle encouragera les enfants victimes ou témoins de tels actes à prendre conscience de la nécessité d’en parler.