Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 10 février 2010 à 14h30
Protection temporaire — Rejet d'une proposition de résolution européenne

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon, rapporteur :

Je trouve cela d’autant plus extraordinaire que, lorsque nous avons débattu des conditions d’application de cette réforme, nous avons, sur la proposition de M. Bel et des membres de son groupe, fait en sorte que ce droit de résolution soit le plus largement ouvert. Je précise d’ailleurs que je m’étais personnellement associé à cette initiative.

Je pensais donc que vous alliez retirer cette proposition de résolution fondée sur l’article 88-4 pour la reprendre sur la base de l’article 34-1, ce qui l’aurait rendue juridiquement plus acceptable et lui aurait permis d’être débattue. Vous n’avez pas voulu le faire, pour des raisons qui m’échappent. Cela relève de votre responsabilité, et non de la mienne.

Il y a donc, pour la commission des lois, un problème de recevabilité, et je suis d’autant plus fondé à le relever que, cher collègue, vous aviez à votre disposition une autre voie.

J’aurais pu achever ici mon intervention en vous invitant, mes chers collègues, à rejeter le texte ; mais la commission a voulu faire son devoir jusqu’au bout et s’est posé la question de savoir si, dans l’hypothèse où nous serions saisis sur un autre fondement, les conditions posées par la directive étaient remplies. En d’autres termes, les ressortissants afghans peuvent-ils prétendre au bénéfice de cette fameuse protection temporaire, et je souligne à dessein l’adjectif « temporaire » ? La réponse à cette question me conduit à ma seconde objection.

La directive du 20 juillet 2001 relative à la protection temporaire pose trois critères clairs.

Premièrement, les États membres doivent être confrontés à un afflux massif de populations. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Vous avez vous-même parlé de quelques centaines de réfugiés, monsieur Mermaz. Les chiffres de 2007, les derniers fournis par Eurostat, font état de 7 665 demandes d’asile pour l’ensemble de l’Union européenne et, s’il semble que le nombre de demandes augmente depuis 2008, avec un dernier chiffre estimé de 9 135 demandes d’asile au premier semestre 2009, nous restons très loin du pic du début des années 2000, avec 45 000 demandes en 2001.

Il n’y a donc pas d’afflux massif.

Deuxièmement, les systèmes d’asile des États membres doivent se trouver dans l’incapacité de traiter dans des conditions normales, c’est-à-dire de la même manière que les demandes d’asile émanant de ressortissants d’autres pays, les demandes d’asile résultant de cet afflux.

En réalité, en France comme dans les autres États européens, rien ne démontre une incapacité des services à traiter ces demandes. Ils les traitent peut-être d’une manière que vous jugez trop restrictive, mais ils les traitent. Nous avons les résultats chiffrés et vous en avez vous-même fait état, démontrant du même coup que nous n’étions pas dans l’incapacité de traiter ces demandes.

Troisièmement, le retour dans le pays d’origine doit être impossible. Sans rouvrir le difficile débat de l’automne dernier sur les rapatriements d’Afghans, je constate simplement que la Cour européenne des droits de l’homme considère que le retour est possible. Ce retour est-il pour autant opportun ? Vous avez jugé, de manière sévère, qu’il ne l’était pas. J’estime pour ma part qu’il s’agit d’une décision politique sur laquelle le rapporteur de la commission des lois n’a pas à se prononcer.

Je m’en tiendrai donc à rapporter les réflexions de la commission, non sans avoir précisé que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui, plus que quiconque, est autorisé à donner un avis sur la question, m’a lui-même indiqué que les critères de la protection temporaire n’étaient pas réunis. Vous critiquez le fait que, dans mon rapport, je me sois référé à une note écrite. En réalité, j’ai invité des représentants du Haut Commissariat à venir s’exprimer devant la commission, mais ils ont décliné mon offre. Je ne pouvais quand même pas les faire venir de force !

En revanche, j’ai entendu M. Henry, directeur général de l’association France Terre d’Asile, qui m’a communiqué des informations extrêmement intéressantes.

Enfin, à tous ceux qui, au hasard du débat – on dit tant de choses dans un débat, surtout quand il prend un caractère plutôt politique –, ont prétendu, ou prétendront, que ces trois critères ne sont pas cumulatifs, je répondrai que, à mon avis, ils le sont mais que, en tout état de cause, aucun des trois n’est rempli.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission ne peut que vous inviter à rejeter cette proposition de résolution européenne, mes chers collègues.

Permettez-moi, cela dit, une réflexion supplémentaire. Au fond, pourquoi avoir créé cette protection temporaire si elle ne permet pas de répondre à une situation grave comme celle que vivent les Afghans aujourd’hui ? Il faut se rappeler, pour éclairer le débat, que cette directive de 2001 est directement née des suites de la crise de l’ex-Yougoslavie, puis de celle du Kosovo, au moment où les États membres de l’Union européenne venaient d’accueillir, de façon concertée, non pas quelques milliers, mais plus de 100 000 réfugiés notamment kosovars.

C’est véritablement pour répondre à ce type de situations sur le continent européen qu’a été conçue la protection temporaire, et qu’elle a pris la forme d’une directive. Vouloir aujourd’hui la détourner de sa raison d’être et de ses critères d’application ne servirait en rien la cause que l’on veut défendre, s’agissant d’une protection précaire et provisoire.

Ce serait en outre interpréter un texte européen d’une manière excessivement personnelle et nationale, ce qui serait inévitablement mal perçu par nos partenaires européens, …

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