Intervention de Éric Besson

Réunion du 10 février 2010 à 14h30
Protection temporaire — Rejet d'une proposition de résolution européenne

Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai mon propos par une citation qui, je crois, devrait rassembler tous les républicains : « Le vieux peuple que nous sommes a assez vécu pour savoir qu’il est un champion dont les hommes libres ne se passent pas. Il n’ignore pas davantage que sa propre indépendance implique l’appui de ceux qui s’opposent à la tyrannie. Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. » Ces mots, vous les avez reconnus, sont ceux que le général de Gaulle prononça à Londres, le 1er mars 1941.

Ce « pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde », nous continuons à l’honorer chaque jour.

La France a inscrit dans sa Constitution, dès 1946, qu’elle accorderait le statut de réfugié à « toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ». Elle fut le principal promoteur de la convention de Genève du 28 juillet 1951, qui prévoit que le statut de réfugié est délivré à « toute personne qui craint avec raison d’être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».

La France a été, plus récemment – on le doit à mon prédécesseur, Brice Hortefeux – l’artisan du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté à l’unanimité des vingt-sept États membres de l’Union européenne, sous présidence française, le 16 octobre 2008.

La France est fidèle à sa tradition d’asile. Monsieur Mermaz, nous sommes toujours en pointe sur le sujet. C’est la France qui pousse à la création d’un régime d’asile européen commun et c’est moi qui essaie de convaincre mes partenaires européens d’agir plus vite dans ce domaine. C’est à l’instigation de la France que nous avons avancé pour que, prochainement, un bureau européen d’appui soit installé à Malte.

La France a été pionnière et est même la seule à ce jour à mener un programme de réinstallation, sur une base volontaire, des réfugiés érythréens et somaliens en provenance de Malte. La France en a accueilli cent, et est le seul pays européen à l’avoir fait.

Par conséquent, la France n’a pas, me semble-t-il, de leçons à recevoir de ses partenaires et nous honorons notre tradition d’asile.

Notre pays reste depuis plus de vingt ans, avec les États-Unis, l’un des deux premiers pays du monde pour la demande d’asile.

La demande d’asile globale adressée à la France au cours de l’année 2009 a de nouveau progressé, de plus de 10 %, par rapport à celle de l’année 2008 : 10 900 titres de séjour de réfugiés ont été délivrés au cours de l’année 2009, contre 9 700 en 2008, soit une progression de 12, 5 %. Sur deux ans, la progression est de 32 %.

Le Gouvernement poursuit le renforcement du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile.

Les centres d’accueil des demandeurs d’asile, les CADA, sont passés de 5 000 places en 2000 à 17 000 places en 2006 et ils en offrent aujourd’hui 21 000. J’ai décidé l’ouverture de 1 000 places supplémentaires en 2010, financées sur le budget du ministère de l’immigration, qui vous a été soumis.

L’asile représentait 289 millions d’euros en 2009. Il devrait dépasser 318 millions d’euros en 2010 – donc plus de la moitié des 600 millions d’euros environ dont j’ai la charge au titre du budget de mon ministère -, soit une croissance de 10 % par an.

Dans ce contexte, les membres du groupe socialiste du Sénat ont présenté le 14 décembre 2009 une proposition de résolution européenne demandant à la Commission européenne de proposer au Conseil d’appliquer aux ressortissants afghans le dispositif de protection temporaire prévu par la directive du 20 juillet 2001.

Tout d’abord, sur le plan formel, comme l’a très justement montré le rapporteur de la commission des lois, M. Pierre Fauchon, cette proposition de résolution se fonde sur une directive européenne déjà adoptée. Or, aux termes de l’article 88-4 de la Constitution, les résolutions européennes qui peuvent désormais être adoptées par le Parlement doivent s’appuyer sur des projets ou propositions d’actes de l’Union européenne ou sur tout document émanant d’une institution de l’Union, et non pas sur une directive déjà adoptée.

Surtout, en dépit de son apparente générosité, cette proposition nous semble à la fois inopportune et contre-productive. M. Mermaz ne m’en voudra pas, je l’espère, mais autant j’ai trouvé de la sincérité et de l’émotion lorsqu’il décrivait la situation des Afghans, autant je ne l’ai trouvé ni convaincant ni convaincu dans la défense de cette proposition. Je pense qu’il sait lui-même qu’elle est inopportune, car la directive du 20 juillet 2001 fixe trois conditions pour le recours à cette procédure, dont aucune n’est ici remplie.

Ces trois conditions, M. le rapporteur les a rappelées : un afflux massif, la saturation des procédures d’examen des demandes d’asile et l’impossibilité d’un retour dans le pays d’origine. J’examinerai la situation au regard de ces trois conditions.

Première condition, l’existence d’un afflux massif doit être constatée à l’échelon européen, par une décision du Conseil prise à la majorité qualifiée et sur proposition de la Commission. Or aucun des pays de l’Union européenne n’a constaté un afflux massif de demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan. J’ajoute que, sur le plan politique, aucun pays de l’Union européenne ne souhaite mettre en œuvre une telle procédure.

La demande d’asile afghane en Europe est aujourd’hui contenue. Le nombre de demandes d’asile reçues par les pays de l’Union européenne a progressivement diminué, passant de 45 000 en 2001 à moins de 15 000 en 2009. Le nombre de demandeurs d’asile afghans est, par exemple, inférieur au nombre de demandeurs d’asile irakiens et égal au nombre de demandeurs d’asile somaliens.

En France, l’Afghanistan ne figure pas parmi les cinq premières nationalités pour la demande d’asile en 2009, qui sont la Serbie, le Sri Lanka, l’Arménie, la République démocratique du Congo et la Russie. On a dénombré 702 demandes d’asile de ressortissants afghans en 2009 sur un total de 33 200 demandes adressées à la France, soit 2 % de la demande globale.

Ce faible niveau de la demande d’asile afghane en France a une raison simple, vous l’avez vous-même souligné, monsieur Mermaz : la France est un pays de transit des filières d’immigration afghane vers la Grande-Bretagne et l’Europe du Nord. Les ressortissants afghans entrant sur le territoire national, quelle que soit leur situation administrative, se dirigent ou veulent se diriger très majoritairement vers la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège ou le Danemark. Leur présence, dans des conditions souvent très précaires, à Paris, entre la gare de l’Est et la gare du Nord, ainsi qu’autour du port de Calais, n’a pas de lien avec une quelconque insuffisance de notre dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, je veux le redire avec force.

Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas en situation de leur accorder un hébergement que nous connaissons les situations difficiles que vous avez, à juste titre, décrites. La plupart de ces ressortissants afghans ne demandent pas l’asile à la France, ils cherchent au contraire à quitter notre territoire.

À cet égard, monsieur Mermaz, je reviendrai sur certains points de votre intervention.

En ce qui concerne le hangar de Sangatte, vous êtes probablement aujourd'hui l’un des seuls à le décrire comme un lieu où l’hygiène, la sécurité et la tranquillité étaient assurées.

Quant à la « jungle », ce terme n’a pas été inventé par le Gouvernement ; c’est le nom que les migrants eux-mêmes donnaient à ce qu’il fallait bien appeler une « zone de rackets ». Loin d’être un gentil camp humanitaire, c’était une zone tenue par les passeurs où certaines personnes, qui avaient déjà payé 15 000 euros pour venir jusqu’à Calais, étaient maltraitées, exploitées et devaient encore payer entre 500 et 1 000 euros pour chaque tentative de passage vers le Royaume-Uni... Il est donc surprenant de le présenter comme un lieu où les personnes vivaient dans de bonnes conditions.

Monsieur Mermaz, l’État ne peut pas être schizophrène. Nous ne pouvons pas lutter avec détermination contre les filières mafieuses de l’immigration clandestine et laisser à proximité des gares, des points de rupture de charge ou du port de Calais, des passeurs exercer tranquillement leur trafic dans des zones d’hébergement qui ne sont absolument pas préparées à cela et qui sont, je le répète, des zones de racket. Ce n’est pas possible.

Contrairement à ce que vous avez suggéré, le 22 septembre dernier, lorsque nous avons démantelé la « jungle », nous avons le soir même offert aux adultes comme aux mineurs isolés des possibilités d’hébergement. Cent vingt-cinq jeunes mineurs isolés ont, le soir même, dormi dans des centres d’hébergement spécialisés prévus à cet effet, mais ce n’est pas de notre fait si les deux cents places prévues pour les adultes n’ont pas été utilisées : aucun adulte ne s’est présenté…

La description que vous avez faite de la situation « post-jungle », si je puis dire, est objectivement fausse.

Pour ce qui est du grand froid et de la situation qui en résulte, permettez-moi d’affirmer que l’État joue son rôle, contrairement à ce que vous avez laissé entendre, car il aide les associations, matériellement et financièrement. On ne peut donc pas prétendre qu’il ne joue pas son rôle : il le joue au même titre que les collectivités locales, les régions et les départements.

S’agissant des enfants et des adolescents, vous savez parfaitement, monsieur Mermaz, que la France se singularise par le fait qu’aucun mineur étranger isolé présent sur son sol n’est jamais raccompagné à la frontière. Nous allons au-delà de ce que préconise le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui demande simplement un abri convenable pour rendre possible la reconduite de ces enfants ou de ces adolescents dans leur pays d’origine. Ce faisant, la France non seulement respecte sa tradition d’asile, mais, parlons franchement, clairement - on ne saurait être trop concret en la matière -, le citoyen français, et donc le contribuable, paie suffisamment cher cette obligation morale pour ne pas avoir à s’offrir, en plus, le luxe de l’auto-flagellation !

Sachons au moins reconnaître les mérites de nos initiatives. Je regrette, à ce titre, la description caricaturale et négative que vous avez faite de notre action en la matière.

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