Messieurs Mermaz et Yung, vous avez fait référence à une proposition de résolution de Mme Keller, présentée par la commission des affaires européenne et adoptée par le Sénat. Or celle-ci ne s’inscrivait pas dans le même cadre. Elle faisait à juste titre référence à l’article 88-4 de la Constitution. En effet, la proposition de directive évoquée mentionnait que, avant le 30 juin de cette année, la Commission européenne devait présenter un règlement. La proposition de résolution de Mme Keller invitait par conséquent le Gouvernement à prendre en considération un certain nombre de propositions de la Haute Assemblée, afin que le futur règlement puisse tenir compte des observations formulées.
Dans un souci de cohérence, vous le savez très bien, il appartient à la commission des lois de veiller à établir une jurisprudence en la matière. Elle est dans son rôle. Il est normal qu’elle rappelle les règles, ce qui nous permettra, justement, d’être encore mieux entendus.
Je tiens aussi à le préciser, la procédure choisie, à savoir la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, avait pour but, mes chers collègues, de permettre le débat, pour bien montrer que nous sommes tous attachés au sort des réfugiés. Un débat de qualité, qui arrive maintenant à son terme, s’est tenu. Au lieu de voter contre cette proposition de résolution, j’espère que le Sénat votera pour la motion que je m’apprête à défendre.
Je serai bref, M. le rapporteur de la commission des lois ayant déjà largement exposé les arguments qui en justifient le dépôt.
Vous me permettrez néanmoins, mes chers collègues, d’insister sur deux points.
En premier lieu, je veux rappeler, afin d’éviter à l’avenir toute dérive, les termes exacts des deux premiers alinéas de l’article 88-4 de notre Constitution : « Le Gouvernement soumet à l’Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l’Union européenne, les projets d’actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d’actes de l’Union européenne.
« Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée – et cela est prévu dans notre règlement –, des résolutions européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou propositions mentionnés au premier alinéa, ainsi que sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne. »
Je salue à cet égard le travail de Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois lors de la révision constitutionnelle de 1999 préalable à la ratification du traité d’Amsterdam : c’est à cette occasion que l’article 88-4 a pris une forme proche de celle que nous connaissons aujourd’hui en matière de résolutions européennes. Ses travaux permettent de comprendre le sens précis de cet article.
Pour en revenir à la proposition de résolution déposée par nos collègues du groupe socialiste, elle ne repose, comme l’a indiqué notre rapporteur, ni sur un projet d’acte européen ni sur un document émanant d’une institution européenne, livre vert, livre blanc ou autre. Elle invoque deux directives en vigueur, et principalement celle du 20 juillet 2001 relative à la protection temporaire.
En second lieu, la proposition de résolution invite certes, de manière générale, à la réforme des instruments européens en matière d’asile et de protection internationale, mais elle demande surtout que la France sollicite de la Commission européenne qu’elle propose au Conseil d’attribuer aux ressortissants afghans le bénéfice de la protection temporaire. Nous sommes encore plus loin tant du texte que de l’esprit de l’article 88-4.
On peut d’ailleurs s’interroger sur l’intervention du Parlement dans une procédure de cette nature visant à solliciter la Commission.
Mes chers collègues, je l’ai rappelé d’entrée de jeu afin d’éviter tout malentendu, cette motion n’a pas pour objet d’escamoter le débat sur le fond, c’est-à-dire sur les conditions d’accueil des réfugiés afghans en France et en Europe. Ce débat vient d’ailleurs d’avoir lieu, et M. le ministre y a pleinement participé, de même que nos collègues de tous les groupes, et nous nous en félicitons.
Il s’agit simplement de faire respecter les procédures prévues par notre Constitution. Comme le disait Lacordaire, entre le fort et le faible […], c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Si nous voulons être entendus, nous devons respecter le droit.
L’article 88-4 de la Constitution permet d’adopter des résolutions dans des cas précis. À l’article 34–1 de la Constitution figure désormais un droit général de résolution, instauré – je devrais dire restauré – par la révision constitutionnelle de juillet 2008. C’est sur cette base juridique qu’il convient de s’appuyer quand on veut présenter des résolutions qui ne peuvent se fonder sur l’article 88-4 de la Constitution.
Il existe donc deux régimes distincts. Celui qui est prévu à l’article 88-4 doit être utilisé conformément à son objet, qui est de prendre position sur un projet, au sens large, d’acte ou de réforme envisagé au niveau européen. L’existence de l’article 34–1 renforce d’ailleurs mon argumentation : puisque nous disposons d’un droit général permettant de déposer des propositions de résolution, lesquelles, je le rappelle, ne sont pas assujetties à un examen en commission, n’utilisons l’article 88-4 qu’à bon escient !
C’est important, parce que nous ne sommes pas seuls. N’oubliez pas qu’il s’agit non pas d’une interprétation du droit purement franco-française, mais d’une question touchant l’Europe et son fonctionnement. Nous devons donc être prudents et ne pas inciter nos partenaires à des interprétations dont les dérives pourraient être lourdes de conséquences pour l’avenir.
Vous le savez, certains de nos partenaires, particulièrement exigeants, sont réticents à aller de l’avant dans la construction européenne. Aussi, ne leur donnons pas des armes pour bloquer davantage l’avancée européenne, parce que nous ne nous montrerions pas dignes de confiance en interprétant d’une manière par trop audacieuse les textes adoptés avec peine.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Je le répète, celle-ci porte non pas sur le fond, mais sur la forme, c'est-à-dire sur le respect du droit, qui nous permet de renforcer nos positions.
Grâce à l’article 34-1 de la Constitution, nous disposons des outils nécessaires pour déposer des résolutions sur les sujets politiques qui nous paraissent de nature à être traités dans cette assemblée.