Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat était nécessaire et urgent, et je remercie notre collègue M. Dominique Mortemousque d'avoir posé cette question orale avec débat : nous pouvons ainsi faire ici les constats nécessaires, surtout interroger le Gouvernement et, via celui-ci, l'Europe sur les mesures à venir en vue de soutenir la filière avicole.
L'épizootie d'influenza aviaire ne date pas d'aujourd'hui : à l'image de la grippe humaine, qui revient chaque année sous des formes diverses, elle frappe ici et là régulièrement depuis plus d'un siècle. Sa première description date de 1878, en Lombardie. Depuis 1959, vingt-cinq épisodes d'épizootie ont été enregistrés dans le monde.
En 1983, les États-Unis furent touchés et durent abattre plus de 17 millions d'oiseaux et dépenser 54 millions d'euros. On se souviendra également de l'épidémie, aux Pays-Bas, en février 2003, qui a coûté, selon mes sources, le décès d'un vétérinaire et près d'un milliard d'euros de pertes pour seulement 200 millions d'euros d'aides.
Enfin, l'épidémie de l'été 2005 est partie des Philippines, gagnant la Chine en novembre, puis la Thaïlande.
La suite, nous la connaissons tous : en Europe et en France, les cas se sont multipliés chez les oiseaux, en particulier, chez les chats et dans quelques élevages. La transmission à l'homme du virus H5N1, les dizaines de décès humains qui ont été enregistrées et l'ampleur géographique du phénomène nous permettent malheureusement d'employer le terme de panzootie.
Fort heureusement, jusqu'à présent, le virus H5N1 ne semble pas se transmettre entre humains. Il faut cependant rester très prudents, car les trois grandes épidémies du XXe siècle sont soupçonnées d'être d'origine aviaire par des biologistes moléculaires et virologistes américains : la grippe espagnole de 1918 était un virus de sous-type H1N1, la grippe asiatique de 1957 un virus H2N2 et celle de 1968, dite de « grippe de Hong-Kong », un virus H3N2. Ces virus ont tous trois trouvé les clés d'entrée dans les cellules humaines.
L'expérience nous amène à constater que les pays riches éradiquent plutôt bien les pandémies, alors que les pays pauvres demeurent des foyers permanents, faute de moyens de détection précoce, de logistique vétérinaire et de moyens financiers d'indemnisation.
Ce constat nous amène à plaider fortement pour que les pays riches affectent des ressources et des moyens aux pays pauvres, comme le préconise M. Bernard Vallat, directeur général de l'Organisation mondiale de la santé animale.
La dimension mondiale semble indispensable, tant pour la prévention que pour la mise en oeuvre de moyens curatifs. Ce type de mondialisation, que je qualifierais de positive si elle se mettait en place, se heurte violemment aux fabricants d'antiviraux, aux grands groupes pharmaceutiques, qui préfèrent grossir encore leurs fortunes en vendant des centaines de millions de doses de Tamiflu. Chacun se souvient encore du comportement de ces groupes à l'égard du virus du sida et de la possibilité pour les pays pauvres de fabriquer des génériques ou d'y accéder.
Les brevets des vaccins deviennent un véritable obstacle à la lutte contre les pandémies. La mobilisation des organisations non gouvernementales et d'un certain nombre de pays a cependant permis que les choses bougent quelque peu dans ce domaine. Ainsi, les groupes Roche et Gilead ont enfin rendu publiques les techniques de fabrication du Tamiflu et négocient avec les industriels du générique.
Cet exemple montre bien qu'il n'y a pas de fatalité pour que les monopoles en tous genres reculent au profit du bien-être de l'humanité.
En novembre 2005, quelque cent trente pays se sont engagés à apporter 2 milliards de dollars sous forme de dons et de prêts aux pays les plus démunis et les plus exposés. Le 4 avril dernier, on pouvait lire, dans le journal Le Monde, que l'Europe était « le plus mauvais élève » et qu'elle n'avait même pas décidé comment attribuer les sommes promises. C'est seulement le 30 mars dernier que nous avons appris qu'elle proposait de financer 50 % des aides nationales aux éleveurs sans pour autant dégager de budget spécifique.
Cette attitude de l'Union européenne est incompréhensible et irresponsable. Elle n'engage pas à la confiance la filière avicole française, qui attend des aides !
Les effets psychologiques liés à l'évolution géographique de la maladie ont conduit à des baisses très sensibles de la consommation, qui s'établissaient de 15 % à 30 % dès le mois de novembre, selon les segments, pour se situer aujourd'hui à environ 5 %, et ce dans le contexte d'une aviculture française encore fragilisée par les délocalisations au Brésil, les importations de viandes saumurées de Thaïlande et du Brésil, et l'accord de Marrakech sur le commerce international, qui a « plombé » les facilités par les vides juridiques européens en matière d'importation.
La découverte d'un premier canard mort et infecté par le virus H5N1 dans l'Ain, le 21 février dernier, puis la contamination de l'élevage de Versailleux ont eu pour effet d'aggraver la crise de confiance et de voir se fermer de nombreux créneaux à l'exportation. Cet élevage étant le seul à avoir été infecté, les présomptions sont très lourdes pour que la principale cause de contamination soit due aux allées et venues des journalistes, qui, pour le moins, n'ont pas rendu service à la profession.
Dès le 28 février dernier, une vingtaine de pays fermaient leurs frontières à la volaille française ; le 2 mars, ils étaient quarante-trois à décider un embargo, ce qui a eu pour effet d'amplifier la crise sur le terrain.
Accouveurs, éleveurs de volailles et de gibier à plumes, sélectionneurs, transporteurs, abatteurs, transformateurs et salariés ont tous été touchés.
À ce titre, l'exemple de la Bretagne, qui représente 33 % de la production française, est particulièrement évocateur, et ce n'est donc pas un hasard si quatre sénateurs bretons sont inscrits dans ce débat ! Entre 10 000 et 20 000 emplois y sont menacés, en premier lieu les plus fragiles, à savoir ceux des intérimaires et les contrats à durée déterminée ; le port de Brest lui-même a vu son trafic à l'exportation de volailles chuter de 33 %.
De nombreux abattoirs pratiquent le chômage partiel, ce qui touche durement des salariés à faible revenu. L'allongement des vides sanitaires va se répercuter pendant de longs mois sur le revenu des éleveurs, qui subissent déjà les dures conditions des intégrateurs. Les ventes de volailles démarrées aux particuliers ont chuté de 70 %, si bien que le stock de volailles invendues atteint 400 000.
Cet exemple montre bien les conséquences de la crise sur le plan national, auxquelles s'ajoutent des effets en cascade : chute de 8, 5 % de la production d'aliments du bétail en janvier et en février, mise à mal du secteur de la sélection, frais liés au coût des stockages industriels, notamment.
Venons-en aux aides indispensables. Il faut souligner ici l'implication financière de nombreux départements et régions, en particulier dans le secteur de la communication.
La profession attend désormais, au-delà des premières aides débloquées par le Gouvernement, des mesures à la hauteur de la crise : le maintien du potentiel de production, d'abattage et des emplois y afférant ; la compensation intégrale des pertes subies par les salariés, les aviculteurs et les entreprises ; la prise en charge sociale et fiscale des personnes pénalisées ; la poursuite de la démarche vers des produits de qualité, de gamme supérieure ; le renforcement de l'organisation professionnelle ; l'engagement des banques pour la baisse des taux d'intérêt, des découverts et des prêts ; l'instauration d'un grand débat public sur l'avenir de la filière, son évolution et la reconquête de l'indépendance des producteurs vis-à-vis des intégrateurs ; le renforcement de la communication sur les plans national et international ; enfin, le déblocage immédiat de l'embargo, qui ne se justifie plus, dans les pays où il a été instauré.
Je voudrais aussi attirer votre attention, monsieur le ministre, sur les aides qu'il est nécessaire d'apporter aux entreprises d'abattage et de transformation, afin que celles-ci échappent aux effets d'aubaine et que les emplois y soient préservés. Trop souvent, en effet, les crises constituent, dans certaines entreprises, un bon prétexte pour mettre en oeuvre un plan de licenciement concocté des mois à l'avance.
La dimension européenne et mondiale de la crise devrait amener les dirigeants politiques à modifier leurs politiques d'aide traditionnelles. Ainsi, les sommes allouées de 3 000 euros par exploitation et de 150 000 euros par entreprise ne suffiront pas. Les négociations internationales doivent fixer un objectif qualitatif et quantitatif de sécurité alimentaire.
Cette crise sanitaire, qui fait suite à d'autres crises, nous conduit à réfléchir sur la modification indispensable des règles de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, sur la nécessaire solidarité internationale, ainsi que sur la durabilité et l'aménagement de nos territoires, au sein desquels vivent des hommes.