Si, depuis la décentralisation engagée par le gouvernement Raffarin, il est admis que les ressources transférées par l'État n'ont jamais été à la hauteur des charges qu'elles étaient censées compenser, la question des conditions de transfert du revenu minimum d'insertion aux départements se pose désormais avec urgence, car elle renvoie au contexte économique et social qui est le nôtre.
Permettez-moi de consacrer quelques instants au contexte de crise dans lequel nous sommes plongés.
Cette crise sonne comme un dépôt de bilan de la politique libérale mise en oeuvre depuis plus de quatre ans par l'actuelle majorité. En effet, même si notre pays reste dans la moyenne européenne, tous les indicateurs sont au rouge. À titre d'exemple, fin décembre 2005, le fichier des demandeurs d'emploi comptait 4 122 000 inscrits dans l'ensemble des catégories, et 2 038 800 d'entre eux, soit près de 50 %, étaient allocataires de l'assurance chômage. De plus, le durcissement des conditions d'accès à l'assurance chômage, comme le raccourcissement des durées d'indemnisation ont occasionné le basculement de centaines de milliers de chômeurs vers le RMI. Selon la Caisse nationale d'allocations familiales, les allocataires du RMI étaient plus de 1 million à la fin du mois de septembre 2005. Ajoutons que plus de 30 % de ces allocataires le sont depuis plus de cinq ans et que le chômage de longue durée a augmenté de 9, 2 % en un an.
Autre indicateur : en décembre 2004, plus de 6 millions de personnes tiraient leurs revenus des minima sociaux, soit une augmentation de 3, 4 % en un an.
Le récent rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, que vous ne citez guère, monsieur le ministre, pas plus que votre majorité d'ailleurs, estime que la pauvreté frappe 12 % de nos concitoyens, soit environ un peu plus de 7 millions de personnes.
Nous voyons là les effets dévastateurs de la politique libérale mise en oeuvre depuis plus de quatre ans. Comment s'étonner que les Français manifestent massivement contre le CPE et les mesures aggravant la précarité ?
Mais revenons à la question des conditions de transfert du RMI aux départements. La loi de décembre 2003 portant décentralisation en matière de RMI et créant le RMA, a transféré l'intégralité de la mise en oeuvre du RMI aux départements. Ces derniers ont désormais en charge la gestion et le financement de l'allocation, dont la responsabilité relevait auparavant de l'État. Seules la fixation du barème et les conditions d'attribution de l'allocation restent définies au niveau national et demeurent du ressort de l'État.
Si, sur le fond, les collectivités territoriales n'étaient pas opposées à ce transfert qui permettait une mise en cohérence plus grande de leurs actions, il en va tout autrement des conditions dans lesquelles le transfert budgétaire s'est opéré. Afin de ne pas dévoyer l'esprit de la décentralisation, il était nécessaire que le transfert de compétence se double d'un transfert budgétaire idoine. Dans le cas du RMI, cette exigence était d'autant plus grande que le droit budgétaire oblige les collectivités locales à équilibrer les dépenses de fonctionnement. À défaut, et nous l'avions fait remarquer dès 2003, les départements seraient rapidement confrontés à des situations budgétaires difficiles. Malheureusement, la réalité des faits a prouvé que nous n'avions pas tort.
En effet, le 5 décembre dernier, alors que nous venions de conclure dans le cadre de ce transfert une année de plein exercice, l'Assemblée des départements de France, l'ADF, estimait que le surcoût de la décentralisation du RMI était de l'ordre du milliard d'euros pour 2005 alors qu'il avait atteint 435 millions d'euros en 2004.
Faut-il en conclure que l'objectif de ce transfert de compétence était d'assainir les comptes de la nation puisque, comme le précisait M. Mercier dans son rapport de mai dernier, « l'État transfère des compétences qu'il finançait bien souvent à crédit à des collectivités qui doivent les payer comptant » ? Le mode opératoire utilisé, tout comme l'état d'endettement de notre pays nous incite à le croire.
Par ailleurs, si l'on considère la réforme du régime social des intermittents du spectacle ou de l'allocation de solidarité spécifique, dont la durée de prestation est passée de 30 mois à 24 mois, ou bien les nouvelles dispositions de restriction de l'assurance chômage après trois refus successifs d'offres d'emploi, nous voyons se dessiner peu à peu une politique qui consiste à orienter le plus systématiquement possible les publics en difficulté vers le RMI et dont le corollaire est un désengagement massif de l'État dans la gestion des publics en difficulté.
Il n'en demeure pas moins que nous devons reconsidérer la question du RMI au regard du préambule de la Constitution de 1946, repris dans la Constitution de 1958 et qui en constitue le fondement. Il y est dit : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ». C'est à la lueur de ces devoirs que nous devons considérer l'action et les moyens dont disposent les départements.
Comme nous l'avons vu, ces derniers ont dû faire face à une hausse rapide du nombre de bénéficiaires du RMI. Je prendrai deux départements en exemple. Pour le département des Alpes-de-Haute-Provence, que j'ai l'honneur de représenter au Sénat, le coût annuel du paiement des allocations de RMI, auquel il faut ajouter les charges de gestion supplémentaires - le département a dû créer de nouveaux emplois - s'élève à plus de 10, 5 millions d'euros, soit 10 % des dépenses de fonctionnement, alors que les recettes perçues à fin de compensation représentent 8, 75 %. Le compte n'y étant pas, c'est la fiscalité locale qui doit prendre le relais.
Si seulement vous arrêtiez là ! Mais pas du tout, demain, la décentralisation modèle Raffarin chargera un peu plus la barque : d'abord avec le transfert des techniciens, ouvriers et de service, les TOS, vers l'équipement, ensuite et surtout avec le transfert des routes nationales, ce qui sera encore plus douloureux pour les départements de montagne. Dans les Alpes, monsieur le ministre, les routes où se succèdent les ponts, les tunnels et les éboulements sont plus tortueuses que celles du Poitou, et le coût de leur entretien est considérablement plus élevé. Là aussi, la facture sera salée et l'équilibre budgétaire impossible à atteindre sans augmentation des taxes professionnelles et des taxes sur les ménages.
Dans le département du Rhône, dont sont originaires Guy Fischer et Michel Mercier, le nombre des bénéficiaires du RMI a progressé de plus de 8 % entre janvier 2004 et novembre dernier.
Cette progression inquiète d'autant plus que la différence entre les recettes de la TIPP, qui sont censées financer ce transfert, et le montant global des dépenses affectées à cette allocation, atteignait 22 millions d'euros sur les dix premiers mois de l'année 2005, soit près de 20 % du montant global de l'allocation versé sur cette même durée.
Pour le 1er trimestre 2006, le déficit atteindrait déjà 6, 4 millions d'euros.