Intervention de Virginie Klès

Réunion du 23 juillet 2009 à 14h30
Gendarmerie nationale — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Passons sur ces problèmes de forme pour en venir au fond.

Quels sont les objectifs, avoués ou non, du Gouvernement et quels sont ceux que nous pourrions partager ? Les moyens affichés sont-ils de nature à les atteindre réellement ou concourent-ils à une autre fin ?

De fait, le Gouvernement, tout à son objectif idéologique de concentrer les forces de sécurité sous une seule autorité, n’a, je l’espère, pas bien mesuré les conséquences institutionnelles, judiciaires, politiques et même économiques de son texte. Sinon, il faudrait admettre qu’il met sciemment en danger les fondements mêmes de notre République.

Dans sa présentation du projet, Mme Alliot-Marie, alors ministre de l’intérieur, et après avoir effectué un virage à 90 degrés en quittant le ministère de la défense, avait déclaré que ce texte visait, tout en garantissant le maintien du statut militaire des gendarmes, à renforcer le dispositif de sécurité intérieure. Je pense que Mme Alliot-Marie était et est sans doute toujours attachée au maintien de ce statut, mais j’aimerais éprouver le même sentiment quant à vos intentions, monsieur le secrétaire d’État, ainsi qu’à celles de M. le ministre de l’intérieur. Même si j’ai bien entendu vos affirmations tout à l’heure, j’ai du mal à partager votre raisonnement et votre optimisme sur l’absence de tout effet néfaste de ce texte.

Oui, cent fois oui, il est nécessaire de moderniser nos institutions, l’organisation et le fonctionnement des forces de sécurité, police et gendarmerie, dans leur dualité actuelle, pour mieux assurer la protection des Français et apporter un service public de qualité, proche des citoyens.

Mais fallait-il tout bousculer dans la précipitation et, malgré les affirmations gouvernementales, remettre inéluctablement en cause le statut militaire des gendarmes, la dualité des forces de police et de sécurité, la protection qu’apportait la procédure de réquisition quant à l’intervention des forces militaires sur demande civile pour le maintien de l’ordre intérieur, ainsi que la garantie d’un maillage territorial efficace jusque dans nos zones rurales ?

Fallait-il prendre le risque de voir les missions confiées aux gendarmes n’être plus, petit à petit, que celles que n’assurerait pas la police nationale, et donc de voir la gendarmerie nationale devenir le supplétif de celle-ci, avant de disparaître totalement, alors même que l’on parlait de quatrième arme ?

Trop de personnes ont évoqué, oralement ou par écrit, la « fusion de la gendarmerie et de la police », qu’il s’agisse du ministre de la défense, de parlementaires de la majorité, des syndicats de police, dont certains l’appellent explicitement de leurs vœux, ou des gendarmes, qui, eux, la redoutent. Ces répétitions ne sont pas le fait de lapsus collectifs sans fondement. Le danger que nous dénonçons depuis des mois est réel et imminent.

Oui, le statut militaire est de fait sérieusement mis à mal. Cet avis est partagé, semble-t-il, par les auteurs d’un rapport de l’Inspection générale de l’administration. Ce rapport aurait-il été classé « secret défense » ? Malgré ma demande formulée auprès de Mme le ministre de l’intérieur le 23 avril dernier, il ne m’a toujours pas été possible d’en prendre connaissance.

Quant au maintien du maillage territorial avec une gendarmerie à statut civil, nos amis belges savent à quoi s’en tenir : ils peuvent témoigner des inévitables dommages collatéraux d’une telle transformation !

Pourtant, la mécanique est en marche. Coup d’envoi : la suppression de la procédure de réquisition. Le renforcement du rôle du préfet place ainsi l’autorité militaire sous la tutelle de l’autorité administrative et rompt la chaîne hiérarchique propre à la gendarmerie. Cette interpénétration des hiérarchies civile et militaire est parfaitement contraire à la tradition républicaine. En effet, la réquisition est l’acte par lequel le pouvoir civil confie une mission de maintien ou de rétablissement de l’ordre à une force militaire : la gendarmerie serait-elle donc une force « pas tout à fait militaire » ? Modernisation serait-il synonyme de suppression dans les dictionnaires utilisés par le Gouvernement ? Ne doit-on craindre là une nouvelle doctrine d’utilisation de cette force armée ? Quelle traçabilité sera assurée quant aux ordres donnés pour son emploi ?

Ainsi, désormais, le ministère de l’intérieur devra faire cohabiter sous le même toit et sous les mêmes autorités environ 100 000 gendarmes et 140 000 policiers. Avec la mise en commun des moyens, voire de certaines formations, avec le rapprochement systématique des conditions d’emploi et des missions, grandit une inutile polémique au sein de forces qui doivent œuvrer dans un cadre institutionnel serein et apaisé.

Entre devoir de réserve strict et droit syndical, déroulements de carrière et grilles indiciaires, logements de fonction, temps de travail effectif et astreintes, voire disponibilité permanente, répartition des territoires et des missions, les comparaisons se font déjà, cristallisant des incompréhensions et soulevant des interrogations fortes quant aux différences vécues comme des disparités.

Les gendarmes sont encore des militaires, soumis aux contraintes militaires, formés à la culture militaire indissociable d’un lien fort et séculaire avec le monde rural, permettant une utilisation particulière, souple, originale et, somme toute, économique des femmes et des hommes qui ont choisi de servir sous ce statut.

La police a sa culture. Fonctionnement et contraintes lui sont spécifiques. Son action est tout aussi méritoire, faite d’autant de courage et de dévouement.

C’est la présence de ces deux forces de sécurité, différentes et complémentaires, dont la France s’enorgueillit, qui garantit le bon fonctionnement de la police au sens large. Je crains que ce ne soit plus pour très longtemps !

Outre ces questions et ces comparaisons d’un statut à l’autre, en quoi la gestion des ressources humaines en « interministériel » pour les gendarmes est-elle une simplification ? Les mesures disciplinaires seraient-elles laissées au ministère de la défense tandis que la gestion des carrières et des mises en disponibilité iraient d’office à l’intérieur ? Comment imaginer que ce dispositif perdurera, sera efficace et compréhensible par tous ? Encore une mauvaise raison de porter un autre coup – très bientôt, j’en prends le pari – au statut militaire des gendarmes, qui seront donc, de plus en plus, des « pas tout à fait militaires ».

Alors, pour combien de temps le directeur général de la gendarmerie nationale sera-t-il un général issu du corps ? Et pour combien de temps la formation intégrale des officiers et sous-officiers de l’arme sera-t-elle maintenue au sein de la défense ?

Je n’oublie pas non plus les missions judiciaires, loin d’être négligeables. Là encore, jusqu’à aujourd’hui, l’autorité judiciaire garde la possibilité de choisir le service adéquat pour effectuer les missions de police judiciaire. Mais soyons logiques : la disparition du statut militaire des gendarmes et la fusion de la gendarmerie nationale et de la police nationale annoncent un seul corps de police judiciaire. Ainsi sera également perdue la dualité concernant la police judiciaire…

En résumé, les gendarmes sont des militaires qui ont des missions relevant de la sécurité intérieure, des missions militaires et des missions judiciaires, notamment de police judiciaire. Ils dépendaient donc logiquement, me semble-t-il, du ministère de la défense. Les préfets exerçaient, sans s’immiscer dans le service intérieur de l’arme, l’autorité nécessaire au quotidien pour des missions banales et ils avaient recours à la procédure de réquisition en cas de nécessité. La tutelle était clairement militaire, avec la mise à disposition des moyens auprès des autorités civiles en tant que de besoin.

Une convention de mutualisation, signée le 28 juillet 2008 entre les ministères de la défense et de l’intérieur, visait à établir une meilleure synergie entre les services ainsi qu’une utilisation raisonnée et rationnelle des moyens. Cela avait sans doute le tort d’être trop simple et compréhensible par chacun !

Sous couvert d’économies, de rationalisation et de simplification, nous voici donc avec des gendarmes pas tout à fait militaires mais constituant la quatrième arme, placés sous autorité civile mais dépendant tout de même de la gestion disciplinaire de la défense, avec des commandants d’unité territoriale relevant de l’autorité des préfets mais une direction générale placée sous l’autorité d’un général d’armée.

Les effectifs verront leur répartition territoriale effectuée par les préfets, selon des consignes qui laissent craindre que les gendarmeries ne soient définies, à terme, uniquement par défaut.

Quant aux missions judiciaires, elles sont placées sous une troisième autorité, civile.

Vous gommez des frontières légales, historiques, républicaines entre nos deux forces de sécurité, …

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