Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 2 décembre 2005 à 15h45
Loi de finances pour 2006 — Travail et emploi

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme d'aucuns le disent à juste raison, il est bien difficile de parler de politique au service de l'emploi de ce gouvernement, tant les décisions successives ont, de fait, conduit notre économie vers plus de difficultés et ont enfermé notre pays dans un chômage de masse et une redoutable précarité.

La publication des derniers chiffres du chômage n'infirme en rien ce constat.

Certes, le Gouvernement affiche aujourd'hui, avec fierté, des statistiques en baisse pour le septième mois consécutif et conclut à l'efficacité de sa politique dans le cadre du plan de cohésion sociale et du plan d'urgence pour l'emploi.

Apprécions à leur juste valeur ces statistiques officielles qui reflètent très partiellement la réalité et conduisent à rendre invisibles nombre de chômeurs.

Portons au débat l'analyse avancée par de très sérieux économistes de la direction des études économiques de BNP-Paribas.

Pour ces derniers, « la baisse du chômage en France depuis avril s'explique surtout par des effets statistiques ». Ainsi se trouve confirmé notre argument selon lequel la définition retenue du chômage ne prend pas en compte les nombreuses situations intermédiaires de sous-emploi entre l'emploi et le chômage total.

Toujours selon cette étude, la baisse sensible du nombre de chômeurs de catégorie 1, catégorie à propos de laquelle le Gouvernement communique beaucoup, masque une augmentation du travail précaire et des reprises d'activité à temps partiel. Entre juin et septembre, le nombre de chômeurs en activité réduite, ceux dont l'activité dépasse soixante-dix-huit heures dans le mois, a augmenté de 53 000.

D'autres facteurs tout aussi objectifs sont rappelés, à savoir la stabilisation de la population active, mais aussi les motifs de sortie de l'ANPE, traduisant une augmentation des formations, ainsi que des radiations pour « absence au contrôle », lesquelles ont augmenté de 8, 9 % en un an et comptent au total pour 56 % des sorties de l'ANPE.

S'agissant du contrat « nouvelles embauches », ce dernier n'a pas eu d'impact sur l'emploi jusqu'à présent. La même appréciation peut être faite quant à la relance de l'emploi aidé dans le secteur public, trop récente et pas assez rapide pour compenser la baisse du nombre de contrats emploi-solidarité et de contrats emplois consolidés. Rappelons tout de même que, si 52 000 contrats d'accès à l'emploi et contrats d'avenir ont été créés, presque 100 000 anciens contrats aidés ont été supprimés.

Il convient aussi d'insister sur l'atonie persistante de la croissance et l'absence marquée de redressement des créations d'emplois dans le secteur privé, de déplorer les licenciements et la suppression d'un million de postes dans l'industrie en un an, mouvement destructeur que vous ne parvenez pas en enrayer. En témoigne encore la décision du groupe PSA de renvoyer 2 400 travailleurs intérimaires et sous contrat à durée déterminée de ses usines d'Aulnay, de Poissy, de Mulhouse et de Sochaux, et ce alors même que la productivité a plus que doublé, le nombre de voitures fabriquées par salarié et par an passant de 18 à 42.

Vos choix et les réformes du marché du travail qui sont conduites favorisent ces méthodes patronales, l'utilisation exclusive de l'emploi précaire comme variable d'ajustement, avec un cynisme révoltant.

Vous construisez une société dans laquelle l'emploi stable, correctement rémunéré, qui procure un vrai statut social, garantissant des droits et permettant la construction de projets d'avenir et de vie, n'existe plus.

Qualitativement, la situation de l'emploi s'est fortement dégradée, sous l'effet notamment de l'allégement du coût du travail. Résultat, les normes d'emploi sont destructurées, le salariat est massivement « smicardisé », l'emploi est déqualifié et le travail appauvri, vidé de son sens.

Une note de l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, publiée en juin dernier, relève la responsabilité des employeurs qui utilisent les contrats aidés et, plus généralement, la panoplie d'emplois précaires à leur disposition, à d'autres fins que la réinsertion des personnes éloignées de l'emploi. En privilégiant coûte que coûte le retour à l'activité au détriment de l'insertion professionnelle, vous encouragez ces pratiques.

Ce projet de budget, finançant les mesures du plan « Borloo » et celui du plan « Villepin », ne corrige pas le tir. Pis, il accentue encore le trait. Le contrat « nouvelles embauches » est valorisé, alors qu'il est unanimement condamné par les organisations syndicales qui déplorent elles aussi les dérives permises et l'utilisation de ce contrat par les employeurs en lieu et place du contrat à durée indéterminée. L'effet d'aubaine de votre politique marche à fond et commet des ravages.

Ainsi, l'on compte aujourd'hui 2, 5 millions de travailleurs vivant en dessous du seuil de pauvreté et un « sans domicile fixe » sur trois occupant un emploi.

Entre 1983 et 2003, le recours à l'intérim a plus que quadruplé et le nombre de contrats à durée déterminée a été multiplié par plus de six.

Le sous-emploi, entendu par l'INSEE comme le temps partiel contraint, a été, quant à lui, multiplié par huit.

Lutter réellement contre la précarité implique nécessairement de résorber l'emploi précaire, mais aussi de réformer l'ensemble des contrats aidés.

En effet, ces derniers ne laissent souvent pas d'autre choix qu'un temps partiel. De plus, ils n'offrent quasiment pas de perspectives durables : ils ne mènent que très rarement à un emploi pérenne.

Le recours abusif à ces différentes sortes de contrats précaires a fortement perverti les relations de travail dans notre pays.

La multiplication de ces contrats, dont le dernier en date est le contrat « nouvelles embauches », fragilise un peu plus le contrat à durée indéterminée et ses droits afférents.

La multiplication de ces contrats renforce également les liens de subordination du salarié vis-à-vis de l'employeur. Elle encourage le turn over des salariés dans certains secteurs et conduit à tirer vers le bas les conditions accordées aux salariés diplômés et qualifiés entrant sur le marché du travail. Une étude récente montre d'ailleurs le seuil critique franchi au regard des emplois cadres, s'agissant des salaires et rémunérations.

Toujours sous le prétexte de lutter contre le chômage, vous avez parallèlement entrepris de dynamiter le code du travail, de même que certaines avancées jurisprudentielles en matière de protection des salariés licenciés.

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