Les annonces faites hier par le Premier ministre me conduisent à réitérer la demande de débat au Parlement que j'avais déjà formulée au mois de juillet, lors de la discussion du projet de loi d'habilitation, pour qu'un texte de loi spécifique soit élaboré sur ce sujet, qui le mérite bien.
Dès le lancement du plan de cohésion sociale, j'ai souligné que l'apprentissage était une voie importante, valorisante, porteuse d'emplois pour les jeunes, et qu'il fallait le développer, mais à la condition de pouvoir en débattre. Vous comprenez que les pressions exercées pour le travail le dimanche, les jours fériés et la nuit pour les apprentis de seize ans - on ne sait toujours pas où en sont les décrets ni la liste des entreprises concernées, mais peut-être allez-vous m'éclairer sur ce point ? - nous incitent à être extrêmement vigilants et à manifester notre opposition en l'état actuel des choses.
Pour en revenir à la situation de l'emploi, les résultats quasi-miraculeux annoncés aujourd'hui doivent être, pour le moins, relativisés.
En ce qui concerne le contrat « nouvelles embauches », le Premier ministre, dès le début du mois de septembre, en annonçait 100 000 comme étant acquis ; nous sommes passés à 200 000 aujourd'hui. Il semble que nous soyons loin de la réalité, et la méthode Coué, si elle a ses vertus, ne remplace pas de véritables emplois. En fait, il ne faut pas négliger l'effet de substitution aux CDD et CDI de ce nouveau contrat, tellement plus avantageux pour l'employeur.
Le basculement de chômeurs en fin de droits ou bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique vers le RMI a augmenté de 6, 6 %. La nouvelle convention de reclassement personnalisé, la CRP, ouverte aux salariés licenciés, permet aussi de « sortir » un certain nombre d'entre eux des statistiques du chômage pour les inscrire parmi les stagiaires de la formation professionnelle. Le nombre de radiations des fichiers de l'ANPE a fortement augmenté ces derniers mois : 37 172 radiations en septembre, contre 31 651 en août, et 163 717 sorties pour absence au contrôle. Or on nous annonce que le mouvement va s'intensifier !
Quant aux emplois créés, ils doivent être considérés avec précaution. Ce sont principalement des contrats aidés : après avoir, pendant trois ans, vilipendé et détruit le traitement social du chômage, vous en découvrez l'utilité depuis six mois ; que de temps perdu ! Et 73 % des nouveaux contrats signés sont des contrats précaires, précarité qui ne remplace pas le chômage, mais s'y ajoute : le mitage au long d'une vie de salarié entre le chômage et l'emploi précaire, voire la prestation de services, remplace de plus en plus rapidement l'emploi durable, et cela non plus seulement pour un faible nombre ou pour les emplois sans qualification, puisque cette situation est en passe de se généraliser y compris jusqu'aux cadres.
Cette insécurité de l'emploi a un effet délétère que l'on ne peut négliger. Mais au lieu de la combattre, monsieur le ministre, vous l'institutionnalisez, et plusieurs éléments de ce projet de budget pour 2006 en sont l'illustration.
Je centrerai cependant mon propos sur deux programmes : le programme 133 : « Développement de l'emploi », et le programme 111 : « Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations du travail ».
Outre qu'il est difficile de comparer des dotations affectées sous des dénominations différentes, le Gouvernement a profité de l'entrée en application de la LOLF pour se livrer à des modifications de périmètres qui rendent ce projet de budget particulièrement opaque.
Comment ne pas évoquer, d'abord, la question de la compensation des exonérations de charges accordées aux entreprises ? Pour des raisons d'affichage, ces exonérations de cotisations patronales figurent désormais en moins-values de recettes dans la première partie du projet de loi de finances, et non plus en dépenses. J'ai déjà eu l'occasion de rappeler à plusieurs reprises le soutien de mon groupe au principe de la compensation intégrale de ces exonérations à la sécurité sociale, mais mon opposition quant à la méthode. Cette opposition est d'autant plus résolue que le montant de ces exonérations ne cesse d'augmenter et qu'il s'agit désormais d'exonérations générales sur les bas salaires sans que soient exigées de contreparties, notamment en termes d'emplois.
En 2005, le montant était de 17, 7 milliards d'euros, soit 55 % des dotations budgétaires ; cette année, le Gouvernement a abaissé le plafond d'exonérations de 1, 7 à 1, 6 SMIC - la trappe à bas salaires progresse - et on atteindra en 2006 le chiffre de 18, 9 milliards d'euros, soit 64, 63 % des crédits du programme « Développement de l'emploi ».
En ce qui concerne les exonérations de cotisations sociales patronales aux hôtels-cafés-restaurants, les HCR, elles sont reconduites à hauteur de 390 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 20 millions d'euros de report, dans l'attente d'une hypothétique baisse de la TVA et sans que les emplois promis aient été créés : les meilleurs chiffres que j'aie pu trouver font état d'à peine 13 000 emplois créés. Quant à l'amélioration des salaires des employés et à la baisse des prix promises, il semble qu'aucun effort n'ait été fait.
L'efficacité d'une telle politique de baisse du coût du travail est pourtant contestée par des experts de plus en plus nombreux.
Plus que jamais, les exonérations patronales demeurent l'essentiel de ce que ce gouvernement considère comme une politique de l'emploi.
A contrario, les crédits pour la création et la reprise d'entreprise dans le cadre du dispositif d'encouragement au développement d'entreprises nouvelles, dit EDEN, stagnent à hauteur de 45 millions d'euros - c'est peut-être ce qui explique qu'un amendement a été déposé ! - et la dotation de 13, 62 millions d'euros pour la création d'entreprise par des allocataires de l'ASS est transférée dans le programme « Accès et retour à l'emploi ».
En ce qui concerne le programme « Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations du travail », vous savez l'importance que j'accorde à la question de la santé et de la sécurité au travail, monsieur le ministre. Grâce à la préparation des prochaines élections prud'homales, qui nécessite de prévoir la passation de plusieurs marchés publics, vous affichez une hausse de près de 28 % des crédits de ce programme par rapport à 2005. Néanmoins, l'effort budgétaire pour 2006 reste modeste : à peine 82 millions d'euros pour l'ensemble du programme.
Je ne peux que me féliciter du recrutement annoncé de dix experts à l'Agence de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'AFSSET, qui recevra l'année prochaine une dotation de 8, 61 millions d'euros dans le cadre du plan santé-travail, plan qui, présenté en février dernier, est pour le moment sa seule réalisation.
S'agissant de l'inspection du travail, vous me permettrez d'être plus sceptique quant aux moyens supplémentaires annoncés : on compte actuellement environ 1 400 inspecteurs et contrôleurs du travail pour veiller sur 1, 5 million d'entreprises et 15 millions de salariés. Encore faudrait-il que l'on connaisse exactement les affectations de ces inspecteurs du travail ! En outre, la déstructuration du droit du travail, le développement du travail précaire et la multiplication des atteintes à la santé des salariés ne facilitent pas la mission de ces personnels, qui craignent notamment d'aliéner leur indépendance et de ne pouvoir respecter leur déontologie. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils réclament l'organisation d'états généraux de l'inspection du travail, demande à laquelle j'espère qu'il sera donné suite.
Les risques professionnels se renforcent et ont un coût social et économique de plus en plus lourd. Il nous faut donc être plus vigilants que jamais dans ce domaine.
Pour illustrer les déficiences de la politique française de la santé au travail, il suffit de prendre l'exemple de l'amiante.
Monsieur le ministre, je sais que vous avez pris acte des nombreuses propositions que nous formulons, notamment dans le domaine de la prévention, de la santé et de la sécurité au travail ; j'espère que vous y donnerez rapidement suite, lorsque l'Assemblée nationale aura rendu son rapport.
Plusieurs textes doivent retenir notre attention, monsieur le ministre : la directive Bolkestein sur la libéralisation des services qui, contrairement aux allégations du Président de la République, n'est pas enterrée, porte entre autres dangers de réelles menaces pour la santé et la sécurité des travailleurs.
De même, le programme REACH, portant sur l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, est menacé par des pressions très fortes, relayées jusqu'à l'Assemblée nationale, alors qu'il constitue sans aucun doute un progrès décisif pour la prévention et la santé au travail.
Pour conclure, je voudrais interpeller M. le ministre et dénoncer ici l'initiative scandaleuse - je pèse mes mots - de notre collègue M Jégou, qui propose de fiscaliser les indemnités journalières versées aux victimes d'accident du travail.