Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis hier, nous abordons officiellement le premier acte de la réforme des collectivités territoriales. Je précise « officiellement », car cette réforme a bel et bien déjà démarré avec le projet de loi de finances pour 2010 et la suppression de la taxe professionnelle.
Vous nous demandez dès maintenant de nous prononcer sur la concomitance du renouvellement des conseillers régionaux et des conseillers généraux, s’inscrivant dans votre projet de création du conseiller territorial.
Comme beaucoup l’ont déjà dit, cette réforme avance masquée. L’ordre d’examen des textes que vous nous proposez est totalement illogique et se fait volontairement à l’envers. Vous nous obligez à anticiper les réformes futures en mettant en place un calendrier sur l’existence d’une loi qui n’est pas encore votée.
Vous voulez passer en force, comme vous avez pris l’habitude de le faire depuis quelques mois, en actant dès le mois de décembre la création des conseillers territoriaux, sans que nous ayons discuté de l’opportunité de cette mesure sur le fond !
L’objectif de votre réforme est non pas d’améliorer le fonctionnement de notre pays, mais de revenir sur la décentralisation en redonnant les pleins pouvoirs à Bercy.
Vous mettez les collectivités sous tutelle financière avec la suppression de la taxe professionnelle et vous créez un système féodal avec des collectivités totalement dépendantes de l’État, financièrement et politiquement.
Tout cela est une vaste opération de démantèlement de la décentralisation !
Pour justifier votre réforme, vous montrez du doigt les collectivités territoriales en nous précisant qu’elles sont mal gérées, qu’elles coûtent cher et en remettant en cause le travail des élus.
Vous oubliez cependant de préciser que ces mêmes collectivités réalisent 73 % des investissements publics, qu’elles ont investi 54 milliards d’euros pour la relance, contre seulement 24 milliards d’euros pour l’État, et enfin qu’elles représentent moins de 10 % de la dette publique, contre 90% pour l’État.
Les collectivités créent de l’activité, de l’emploi et des infrastructures, aménagent le territoire, soutiennent le monde associatif et, surtout, génèrent du lien social. En somme, elles remplissent leur rôle en mettant en place un véritable service public de proximité, en lien direct avec nos concitoyens.
C’est peut-être cette proximité et, sans doute, ces lieux de contre-pouvoir qui vous gênent, monsieur le secrétaire d’État, pour que vous vouliez ainsi remettre en cause leur existence.
Le projet de loi que vous nous présentez est donc une aberration d’un point de vue formel, car il suppose que le principe même du conseiller territorial, qui doit être débattu plus tard, soit déjà entériné.
En outre, sur le fond, ce projet de loi impose la convergence entre les régions et les départements, alors que seules six pour cent de leurs actions sont communes.
Votre conseiller territorial, lui, verra sa charge de travail doubler. Il devra faire face à la fois aux problématiques départementales et régionales ! Je ne vois pas comment il pourra ne pas être coupé des réalités locales, de la vie professionnelle et tout simplement du « terrain » : que va devenir la démocratie locale, celle de proximité, à laquelle tiennent tant les Français ?
De plus, nous ignorons totalement le nombre et le principe de répartition de ces conseillers territoriaux. Vous évoquez, en débat, un plancher fixé à quinze conseillers, mais rien n’est inscrit dans la loi. Les collectivités ne savent donc pas où elles vont !
Comment voulez-vous, dans ces conditions, que nous votions la concomitance, qui crée tacitement un « super-élu » bicéphale, dont nous savons si peu, en dehors du fait qu’il portera atteinte à la représentativité politique locale ?
Cette réforme est tout simplement illisible, imprécise et totalement précipitée.
Quant au mode de scrutin proposé, en dehors du fait qu’il est taillé sur mesure pour l’UMP, il porte un coup fatal à la parité.
Vous nous annoncez que le nouveau mode de scrutin devrait déboucher sur 45 000 nouvelles élues. Mais, dans le même temps, vous nous précisez que le taux de femmes élues stagnerait à hauteur de 22 %, comme c’est déjà le cas pour l’ensemble des élues départementales et régionales. Aucun progrès ne serait donc réalisé !
Pis, cette réforme comporte le risque que la sociologie des conseillers territoriaux soit dangereusement similaire à celle des actuels conseillers généraux, c’est-à-dire que la parité soit inexistante !
Il ne faut pas s’y tromper : l’instauration de ce mode de scrutin aboutira, très certainement, à faire bénéficier les hommes du statut de titulaire, alors que les femmes se verront attribuer celui de suppléante.
Interpellé sur le sujet de la parité le 2 décembre dernier au Sénat, monsieur le secrétaire d’État, vous avez indiqué : « Dans le projet, il n’y a pas d’amélioration ni de régression, mais nous sommes ouverts à toute proposition par le biais d’amendements », avant d’ajouter : « Nous sommes conscients de la nécessité de le faire, et le Gouvernement veut améliorer sa copie ».
C’est bien de reconnaître les lacunes dans ce domaine, mais il faudra concrétiser ces propos et, le moment venu, ne pas refuser de voter des propositions allant en ce sens... même si elles tendent à modifier le mode de scrutin des conseillers territoriaux !
En conclusion, il me semble impossible, idéologiquement et politiquement, de voter ce projet de loi.
Se prononcer sur une nouvelle catégorie d’élus locaux, dont le cadre et le contenu du mandat, ainsi que le mode de scrutin n’existent pas encore, va à l’encontre de toute logique.
Qui plus est, ce projet de loi s’intègre dans une réforme globale précipitée, dont les impacts s’annoncent dangereux pour nos collectivités et notre démocratie locale.