Intervention de Évelyne Didier

Réunion du 4 décembre 2010 à 14h30
Loi de finances pour 2011 — Politique des territoires

Photo de Évelyne DidierÉvelyne Didier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui amenés à étudier les crédits de la mission « Politique des territoires », qui, rappelons-le, est la plus petite mission du budget général, puisqu’elle représente 0, 1 % des crédits de paiement. Cette place au sein de la loi de finances n’est pas représentative de la réalité, l’ensemble des politiques publiques devant, en principe, contribuer à un aménagement équilibré du territoire.

Pour ce qui concerne les crédits affectés à cette mission, remarquons tout d’abord que les autorisations d’engagement diminuent de 7 %, tandis que les crédits de paiement chutent de près de 13, 5 %. Nous le déplorons au moment même où la solidarité nationale devrait s’exprimer pleinement, en raison de la crise économique et sociale que nous traversons. Il faut d’ailleurs noter qu’une baisse continue est prévue jusqu’en 2013.

Venons-en aux programmes constitutifs de cette mission, notamment au programme 112, Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire, qui subit globalement une diminution des crédits d’un peu plus de 10 % en autorisations d’engagement et de 14 % en crédits de paiement.

Le CIADT du 11 mai dernier a entériné le maintien de la politique de pôles dits « de compétitivité » ou « d’excellence rurale », ce que ce programme confirme. Ainsi, les pôles de compétitivité disposent pour la nouvelle période d’une enveloppe de 1, 5 milliard euros.

Aux côtés de ces pôles, nous trouvons des instruments tels que la prime d’aménagement du territoire, utilisée ici comme un amortisseur de crise.

Sur le fond, nous voyons bien la logique profonde des réformes engagées, qu’elles concernent les collectivités ou le domaine économique. Il s’agit de rationaliser, de centraliser les pouvoirs, les savoirs, les moyens au sein de pôles – je pense non seulement aux pôles de compétitivité et d’excellence rurale, mais aussi aux nouveaux pôles urbains et autres métropoles –, ce qui, de fait, creuse l’écart avec le reste du territoire.

C’est aussi une manière de mettre en concurrence des territoires au lieu de favoriser les coopérations entre eux avec la péréquation des richesses.

Une telle politique de spécialisation est totalement contraire au développement durable.

Cette construction d’une France à plusieurs vitesses est bien visible dans le projet du Grand Paris, par exemple, qui divise la région capitale entre zones de développement économique et zones désertées. Il s’articule autour d’une spéculation foncière renforcée rejetant hors de l’agglomération les populations les plus fragiles. Le phénomène métropolitain n’est donc pas utilisé pour lutter contre les inégalités ; bien au contraire, il contribue à les renforcer.

La fracture est criante dans plusieurs domaines, notamment en termes numériques. Malgré les promesses récurrentes du Gouvernement, aujourd’hui, certaines zones restent orphelines d’accès aux nouvelles technologies. Les collectivités financeront la majeure partie des investissements.

Enfin, je remarque, une nouvelle fois, que la dimension fiscale reste très importante, comme l’a souligné M. le rapporteur spécial. Ainsi, les dépenses fiscales rattachées au programme 112 atteignent un montant de 408 millions d’euros, et ce alors qu’aucune évaluation de leur efficacité n’a été réalisée. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si le Gouvernement envisage de faire un bilan de ces exonérations, qui témoignent avant tout d’une politique pointilliste ?

Examinons maintenant l’action 2 « Développement solidaire et équilibrée des territoires », qui représente le cœur de cette mission. Son budget progresse de 0, 6 %, un peu moins que l’inflation annoncée de 1, 5 %. Nous pourrions regarder ce budget de manière positive si la RGPP n’était pas passée par là.

Le nouveau ministre du budget déclare que la RGPP « se poursuivra sans altérer en aucune façon ni notre modèle social, ni la qualité de nos services publics, ni la façon dont nous vivons dans la République. » Il faut oser !

Ce n’est d’ailleurs pas l’avis de M. Henri Sterdyniak, économiste de l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE. Il déclare en effet : « La RGPP n’est pas une réforme pensée. Si l’on avait redéfini les missions, on se serait aperçu qu’il fallait peut-être dépenser un peu plus ici et un peu moins là. Mais l’on n’a pas fait ce choix. Et l’on va forcément vers une dégradation des services publics ».

Cette déclaration est illustrée par de nombreux exemples sur le terrain. Tous les secteurs sont touchés : la santé et l’éducation nationale sont mises à rude épreuve, la police aussi, où la réduction des effectifs est appliquée sans considération du surcroît des missions imposées.

À ce titre, je veux rappeler l’initiative remarquable prise par des magistrats, des médecins hospitaliers et des chercheurs, qui ont eu le courage de lancer l’Appel des appels, contre la logique comptable des réformes de la justice, de l’hôpital et de la recherche.

Il s’agit d’un fait unique, qui démontre le malaise présent aujourd’hui dans les territoires. Les services publics ne sont plus assurés dans de bonnes conditions, et c’est toute la cohésion sociale nationale qui s’en trouve mise à mal.

En effet, où sont donc les crédits pour des hôpitaux en zones rurales ? Pourquoi ferme-t-on petit à petit des tribunaux, des gendarmeries et des services de proximité ? Dans quelle mesure La Poste ne va-t-elle pas disparaître totalement de certains secteurs ?

Je ne peux pas, si j’en viens à la question de la présence territoriale des services publics, faire l’impasse sur la question du fret ferroviaire, laminé par les politiques successives de démantèlement de cette activité.

Vous avez fait le choix de ne pas adopter notre proposition de résolution, qui permettait à la fois de décréter un moratoire sur la fermeture des triages et de définir l’activité de transport de marchandises en wagon isolé d’intérêt général.

Pourtant, en reconnaissant cette dimension d’intérêt général, cela aurait donné de la force à l’ambition de développement des modes alternatifs à la route, conformément aux engagements du Grenelle.

Cette politique de casse du fret a des conséquences particulièrement inquiétantes, notamment dans ma région de Lorraine. Ainsi, le conseil économique, social et environnemental de Lorraine s’est vu contraint d’adopter une motion demandant à ce que les aménagements pour le délestage du sillon ferroviaire lorrain sur la branche Hagondange-Conflans de l’eurocorridor fret soient considérés par l’État comme contribuant à un outil essentiel pour renforcer la performance de l’eurocorridor et celle de l’axe ferroviaire du sillon lorrain métropolitain, reliant le Luxembourg et l’Allemagne.

À l’inverse de cette exigence, le site de Conflans-Jarny est en voie de démembrement, avec treize postes supprimés sur les vingt et un actuels. Apparemment, la situation évolue, mais nous trouvons cette logique du plan fret symptomatique de l’impasse de l’idéologie dominante et de son incompatibilité avec le développement durable.

Enfin, le désengagement de l’État favorise le partenariat public-privé, ou PPP, comme en témoigne, notamment, l’esprit même des pôles d’excellence rurale, les PER, puisque ne sont éligibles au sein de ce programme que les projets conçus en PPP.

Pour conclure, notons que le ministre aurait annoncé la signature, le 28 septembre dernier, d’une charte entre l’État et différents opérateurs publics s’intitulant « Plus de services au public », élément du plan d’action en faveur des territoires ruraux, dotés de 2, 3 millions d’euros en crédits de paiement pour cette année.

Que pourrons-nous faire avec une somme aussi faible ? Peut-être nous le préciserez-vous, monsieur le ministre ?

Sur le fond, cette évolution dans le vocabulaire met en exergue la différence de conception entre le service public, occupé seulement de l’intérêt général, et le service au public, dont l’objectif est d’être d’abord rentable. Force est alors de reconnaître que l’État se désengage de cette dimension d’intérêt général, au nom de la rigueur.

Ainsi, le Gouvernement impose le gel des dotations de l’État, alors même que la réforme des collectivités a placé certaines d’entre elles dans une situation financière intenable.

Je rappelle ici que, consécutivement à cette réforme, l’autonomie financière des départements est passée de 35 % à 12 % ! La perte de maîtrise financière et de leurs ressources par les collectivités est une atteinte forte à la conception républicaine qui prévalait jusqu’ici dans notre pays et qui assurait un aménagement du territoire.

Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons voter les crédits de cette mission.

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