Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 4 décembre 2010 à 14h30
Loi de finances pour 2011 — Santé

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, fixés à 1, 22 milliard d’euros pour 2011, les crédits de la mission « Santé » augmentent de 2 % en crédits de paiement par rapport à 2010. Cette légère progression recouvre en réalité des évolutions contrastées, entre les programmes et à l’intérieur même de ceux-ci. Je ne les détaillerai pas ici, le rapporteur s’en est excellemment chargé.

Permettez-moi seulement de faire quelques remarques sur les éléments marquants de ce budget. L’année 2010 a vu la mise en place des agences régionales de santé, créées par la loi HPST. Il ne serait pas inutile, madame la secrétaire d’État, que soit dressé un bilan de la manière dont cela s’est passé et de dire si les problèmes de coordination nationale des ARS, de leurs relations avec la CNAM sont réglés. Je pense traduire là le sentiment général interrogatif en soulignant combien nous attendons de ces structures. Comme l’a dit le rapporteur spécial, la présentation globalisée de leurs moyens ne permet plus un contrôle ex ante par le Parlement. Nous l’avons voulu ainsi, mais nous resterons vigilants ex post.

Autre élément marquant de ce budget : le vent de rigueur qui frappe les nombreux opérateurs de la mission, et en particulier l’AFSSAPS qui ne bénéficie d’aucune subvention de l’État sur la période 2011-2013. En sa qualité de rapporteur de la mission « sécurité sanitaire » durant plusieurs années, mon excellent collègue Gilbert Barbier a souvent dénoncé le chevauchement entre les compétences des différentes agences, source d’incohérence et de dispersion des moyens. Avec lui, je ne peux donc qu’approuver les mesures prises aujourd’hui.

Cela étant, l’exemple du Benfluorex démontre amplement la nécessité de renforcer la pharmacovigilance. Pourquoi le Médiator a-t-il pu rester si longtemps sur le marché, alors que les alertes sur la dangerosité de la molécule datent de plus de dix ans ? Y a-t-il eu conflit d’intérêt ? Il appartiendra à l’IGAS saisie de répondre à ces questions et de déterminer les éventuelles responsabilités. Qu’il me soit au moins permis, à ce stade, d’appeler à plus de transparence dans les procédures et décisions des diverses agences. Les comptes rendus de réunion de l’AFSSAPS sont certes publics, mais on ne sait pas qui dit quoi et qui vote quoi. De surcroît, le financement de cette agence par les seuls laboratoires interpelle forcément ; il accrédite l’idée d’un mélange des genres, peu opportun.

Troisième sujet de préoccupation, la baisse des crédits destinés à l’éducation à la santé – ils diminuent de 11% – et de ceux qui sont consacrés à la prévention des risques infectieux et environnementaux – la réduction atteint 20 %. Madame la secrétaire d’État, le plan cancer est évidemment une priorité qui justifie un effort supplémentaire – ses crédits ont crû de 23% –, mais n’oublions pas une autre maladie qui continue de faire des ravages, je veux parler du sida. On dénombre 7 000 à 8 000 nouvelles contaminations chaque année et quelque 50 000 personnes ignorent leur séropositivité. C’est dire la nécessité d’une vraie politique de dépistage.

Gardons à l’esprit qu’un euro dépensé dans la prévention, c’est autant, sinon beaucoup plus, d’économisé dans le soin. La grande loi de santé publique, promise par votre prédécesseur pour cette année, se fait malheureusement attendre !

Au chapitre des satisfecit, je note le très net effort consenti en faveur de la formation initiale des professionnels de santé, avec une augmentation de 21, 6 %. La nouvelle spécialité de médecine générale mérite une attention particulière face au problème de la démographie médicale. Ce problème, pour l’heure, n’est pas tant le nombre de médecins, qui, d’après le dernier atlas du Conseil national de l’Ordre, est stabilisé à un niveau élevé, que leur répartition sur le territoire. L’Île-de-France compte 222 spécialistes pour 100 000 habitants, soit le double de la Picardie, que je connais bien pour y avoir là des enfants médecins, et je ne parle pas d’une zone reculée rurale comme mon propre département de l’Aveyron.

Il est indispensable d’agir sur les facteurs déterminants de l’installation des médecins. Roselyne Bachelot a mis en place plusieurs outils, notamment le contrat d’engagement de service public. Il est sans doute trop tôt pour évaluer leur efficacité et leurs conséquences sociologiques. Mais nous devons aller plus loin, au risque d’une grave désorganisation de notre système de soins et d’un surcoût financier, les patients étant conduits à s’orienter vers l’hôpital.

Mon collègue Gilbert Barbier l’a déjà dit dans cette enceinte : les mesures coercitives ne sont pas la bonne méthode ; elles sont dissuasives. Les médecins associent déjà au statut libéral de fortes contraintes ; il n’est qu’à voir les chiffres : seulement 8, 6 % des nouveaux inscrits à l’Ordre en 2009 ont fait le choix de l’exercice libéral. Ce faible attrait se vérifie même en radiologie, discipline souvent pointée du doigt comme la plus lucrative. Les jeunes médecins sont aussi de plus en plus nombreux à devenir « remplaçants » plutôt que de s’installer. Et ce n’est pas le recours aux praticiens étrangers, dont la formation est parfois insuffisante, qui permettra de résoudre le problème.

Le rapport d’Élisabeth Hubert, remis vendredi dernier au Président de la République, propose un ensemble de mesures intéressantes. Quelques-unes ont déjà été relevées, notamment lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale : appui à l’exercice regroupé, refonte totale des tarifs de consultation, rémunération spécifique et incitative pour l’exercice en zones sous-denses, développement de la télémédecine.

L’idée d’un recours à de nouveaux modes de rémunération, de type forfaitaire, semble progresser au sein de la communauté médicale. C’est évidemment une question lourde d’enjeux financiers. En tout état de cause, c’est la négociation conventionnelle qui devra en déterminer les contours.

L’enjeu des dix prochaines années sera très certainement le développement des systèmes d’informations et de la télémédecine. La télésanté peut être source d’économies. Sur ce point, les médecins de ville ont fait des progrès mais les liens entre l’hôpital et l’ambulatoire sont encore trop limités.

Enfin, je dirai un dernier mot sur l’aide médicale de l’État. Depuis 2002, le nombre de bénéficiaires de ce dispositif a augmenté de 40 %, entraînant une envolée des dépenses. Le sujet est complexe. D’un côté, il y a une exigence humanitaire et sanitaire ; de l’autre, il y a, je dois le reconnaître, des abus, l’AME servant parfois de médecine du travail pour les filières de travail clandestin et favorisant une certaine forme de tourisme médical.

Sans attendre le rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et de l’Inspection générale des finances, l’IGF, l’Assemblée nationale a souhaité réformer le dispositif, en recentrant le panier de soins des bénéficiaires sur les actes à service médical suffisant, en créant un droit de timbre annuel de trente euros et en limitant le nombre d’ayants droit.

Ces dispositions sont-elles applicables sur le terrain ? Madame la secrétaire d’État, je crois que là, il nous faut travailler et réfléchir en toute sérénité. Le groupe RDSE auquel j’ai l’honneur d’appartenir sera partagé, comme à l’habitude, entre ceux qui iront dans le sens de ce budget et ceux qui, inquiets de l’évolution de l’exercice de la médecine dans notre pays, s’abstiendront ou voteront contre ce budget.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion