Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi dit de modernisation de l’agriculture et de la pêche nous est présenté alors que la quasi-totalité des filières sont en crise. Derrière elles, ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui souffrent, mais aussi des collectivités locales qui voient leurs campagnes se vider de leurs paysans et leur agriculture se concentrer à outrance.
Nous partageons la première partie des objectifs que se fixe le Gouvernement, selon lequel « la Nation doit proposer des réponses structurelles aux secteurs de l’agriculture, de la forêt, de l’aquaculture et de la pêche qui sont stratégiques pour continuer à garantir sa sécurité alimentaire, mais aussi participer à sa dynamique économique, contribuer au défi énergétique et environnemental et répondre aux enjeux de l’aménagement du territoire et du maintien d’un tissu rural actif et performant ».
A contrario, la seconde partie de ces objectifs montre que ce texte est avant tout un projet de loi d’adaptation, et non de modernisation, puisqu’il s’agit de préparer « la poursuite des négociations du cycle de Doha à l’Organisation mondiale du commerce, la réforme de la politique agricole commune de 2013 et de la politique commune des pêches en 2012 ».
L’objectif d’adaptation au cycle libéral et interminable de Doha est pour le moins inquiétant pour notre agriculture. Il faut sortir ce secteur du champ de ces négociations.
L’objectif d’adaptation à la politique commune des pêches de 2012 et à la politique agricole commune de 2013 nous laisse profondément dubitatifs quand nous lisons le rapport de l’eurodéputé libéral britannique George Lyon, qui propose une PAC plus équitable, plus durable et plus verte. Pour ce monsieur, une agriculture « équitable » signifie une agriculture productive et compétitive bordée de « filets –minimaux – de sécurité pour gérer la volatilité extrême des marchés ». Cet exemple en dit long sur l’adaptation à laquelle il va falloir procéder !
Quant à l’aide de base à l’hectare, également prévue pour 2013, si elle n’est pas encadrée, elle peut devenir une formidable prime à l’agrandissement démesuré des exploitations, au détriment de celles de taille humaine et familiale.
Alors, modernisation ou adaptation ? Dans les deux cas de figure, il faut être vigilant, tant le terme « modernisation » a pu figurer dans l’intitulé de lois en réalité très régressives.
Je voudrais à présent revenir sur le travail de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, laquelle a amélioré le texte sur certains points sans en changer l’économie générale.
Nous apprécions cependant la suppression de l’article consacré au statut d’agriculteur-entrepreneur, ainsi que les mesures tendant au renforcement des circuits courts, de la situation des producteurs de fruits et légumes frais et du rôle de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Nous partageons également le souhait de voir mettre en place une réassurance publique pour l’assurance-récolte, ainsi qu’une meilleure coopération entre pêcheurs et scientifiques. Voilà pour les principales évolutions par rapport au texte initial.
En revanche, nous regrettons que la commission ait supprimé l’article créant une taxation des plus-values sur les cessions de terrains, alors qu’il aurait été préférable de revaloriser celle-ci au profit des collectivités locales et de l’installation des jeunes agriculteurs.
L’article relatif à l’installation sous forme sociétaire qui a été inséré par la commission est quant à lui beaucoup trop restrictif au regard de la diversité de la demande.
Par ailleurs, si le lissage fiscal proposé relève certes de bonnes intentions, concernera-t-il l’ensemble des statuts agricoles ?
Enfin, nous regrettons que la commission, en dépit de la volonté commune affirmée par une très grande majorité de ses membres, ne soit pas revenue sur les dispositions très négatives de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
Je reviendrai dans quelques instants sur l’article 3, qui est la clé du texte. Rien n’y garantit des prix rémunérateurs aux producteurs ; en l’état, les dispositions de la LME ont d’ailleurs un effet inverse.
Pour l’heure, intéressons-nous au texte de la commission, sur lequel nous sommes appelés à nous exprimer.
Au titre Ier, l’article 1er tend à définir et à mettre en œuvre une politique publique de l’alimentation. Ce titre est le plus consensuel et le plus positif du projet de loi, puisqu’il s’agit de promouvoir les circuits courts et les productions locales, ainsi que d’informer les consommateurs sur l’origine des produits et sur la présence, fréquente, de colorants, de conservateurs, d’OGM et autres éléments dont les effets sur la santé humaine restent incertains.
L’enseignement général et les familles doivent prendre à bras-le-corps les questions liées à l’alimentation, à l’approvisionnement, à la préparation des mets, au repas structuré. Or le texte reste flou sur les impératifs sociétaux. Les conditions de vie de nos concitoyens, soumis à rude épreuve en matière de revenus, de rythmes de travail et de logement, ne facilitent pas une évolution positive dans ce domaine vital qu’est l’alimentation.
Quant à l’article 2, il tend à donner carte blanche au Gouvernement pour tirer les conséquences des états généraux du sanitaire. Nous en demanderons la suppression dans la mesure où il conforte la RGPP.
Le titre II est le cœur de ce texte. Ses dispositions sont censées permettre d’améliorer le revenu agricole, mais restent très éloignées des crises récentes, de leurs causes et des remèdes efficaces à y apporter.
Le titre II est intitulé « Renforcer la compétitivité de l’agriculture française ». Mais jusqu’où cette compétitivité peut-elle aller ? S’il s’agit de rivaliser avec les prix mondiaux, la bataille est perdue d’avance ; s’il s’agit de produire toujours plus de quintaux à l’hectare ou d’animaux au mètre carré, c’est très inquiétant pour l’environnement.
La contractualisation encadrée et renforcée nous est présentée comme la solution idéale. La LME, ou loi de modernisation de l’économie, restant effective, permettez-moi d’en douter, d’autant qu’une telle contractualisation existe déjà dans le code rural et de la pêche maritime et n’a pas été utilisée.
Monsieur le ministre, la seule bonne loi de nature à favoriser des revenus agricoles rémunérateurs est une loi qui fera hurler les tenants de la grande distribution. Pour l’instant, je n’entends ni ne vois rien de nouveau : les centrales d’achat continuent d’imposer leur loi d’airain, leurs propres règles, et élargissent leur dictature, y compris sur les produits biologiques, pour modéliser ce type d’agriculture, comme elles l’ont fait pour l’agriculture conventionnelle.
L’accord sur les fruits et légumes intervenu hier avec la grande distribution ne garantit en rien des prix rémunérateurs, dans la mesure où il se réfère aux années passées, au cours desquelles les prix étaient particulièrement bas. Il en faudra bien plus pour désamorcer les crises à répétition.
Nous proposerons donc d’amender cette partie du texte, afin d’interdire la vente à perte, de définir un prix plancher au-dessous duquel on ne peut vendre et un prix minimum indicatif. Nous souhaitons en outre que soient obligatoirement précisés dans le contrat le prix payé et les conditions de résiliation.
Quant au coefficient multiplicateur, voté mais rarement appliqué, il mérite d’être adapté et élargi, car il porte dans son principe l’équilibre entre producteurs et distributeurs, tout en respectant le consommateur. Il devrait être à la base d’une réflexion économique approfondie et généralisée pour assurer cet équilibre à tous les niveaux. Nous sommes ouverts à toute proposition constructive dans ce domaine, monsieur le ministre.
La réactivation de l’Observatoire des distorsions de concurrence est une bonne mesure. Pour ce qui concerne un autre observatoire, celui des prix et des marges, nous tenterons de renforcer encore ses prérogatives, dans le but notamment d’obtenir des centrales d’achat et de la grande distribution les données qu’elles refusent aujourd’hui de transmettre, sous couvert du secret commercial.
L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires doit devenir un véritable outil d’information, de prospective et d’alerte de la profession, pour anticiper et éviter les crises.
À propos des interprofessions, nous entendons améliorer leur fonctionnement en promouvant une gouvernance plus démocratique. Leur incapacité à réguler les volumes et les prix témoigne non seulement des dysfonctionnements du système, victime de la dictature des marchés, mais aussi d’une docile adaptation des responsables en leur sein.
Nous l’avons dit et redit, la concentration des organisations de producteurs, coopératives ou non, n’est pas une garantie de meilleurs prix agricoles. Il existe déjà des mastodontes qui ne pèsent pas lourd face aux centrales d’achat. Plus inquiétant est le lien qui va s’établir entre les producteurs et les organisations de producteurs, afin que personne ne reste au bord du chemin, parce que « trop petit », « trop éloigné » ou « trop revendicatif ». Monsieur le ministre, la crise laitière vient de mettre ces risques en évidence. Des dispositions législatives doivent y pallier.
Par ailleurs, l’assurance récolte est un vrai sujet, auquel nous sommes tous attachés.
D'une part, le niveau de revenu est la première condition nécessaire pour que chacun puisse assurer sa récolte. D'autre part, au mécanisme prévu par le projet de loi, qui confie cette responsabilité aux grands groupes d’assurance privés, nous préférons une solution publique et mutualisée.
Monsieur le ministre, la timidité du Gouvernement en matière de réassurance publique du système proposé interpelle l’ensemble des sénateurs sur sa volonté réelle d’aboutir. Si celui-ci est adopté, il doit être non lucratif pour les grands groupes d’assurance et intégré dans leur volet « développement durable ».
Le projet de loi entérine la vision mercantile de la gestion de la forêt soutenue par Nicolas Sarkozy dans son discours d’Urmatt.
La politique engagée dans ce domaine recèle énormément de dangers pour l’avenir de notre patrimoine forestier. Elle signe l’abandon de fait du principe de la gestion multifonctionnelle de cette forêt, pourtant inscrite dans la loi, en lui appliquant une gestion purement mercantile.
La gestion forestière ne s’appréhende qu’à très long terme. Or la révolution, c'est-à-dire le temps nécessaire qui sépare deux peuplements forestiers, se situe à l’échelle du siècle. Il est donc impératif de soustraire la gestion forestière aux influences et aux aléas du marché.
C'est la raison pour laquelle le code forestier confie l’ensemble des forêts publiques françaises à l’Office national des forêts.
C'est aussi pour cette raison qu’a été institué un versement compensateur : ainsi, chaque collectivité, quelle que soit la valeur marchande de sa forêt, peut bénéficier de la même qualité de gestion.
Si le domaine forestier français va mal, la responsabilité en incombe d’abord à l’État, et doublement : il s’est désengagé du financement du service public forestier, et ce au mépris de la loi ; il prône une politique de réforme générale des politiques publiques entraînant baisse des effectifs et hausse des récoltes.
Pourtant, les tempêtes qui dévastent cycliquement la forêt française démontrent qu’il n’est pas sérieux de maintenir cette politique de réduction des effectifs, de suppression des triages et de fermeture des services administratifs de proximité.
J’en viens maintenant au titre IV, qui vise à moderniser la gouvernance de la pêche.
La mise en œuvre des dispositions qu’il prévoit va conduire aux mêmes déficiences démocratiques que celles qui existent déjà en matière agricole. M. Revet, rapporteur du texte, a raison.