Intervention de Jacques Muller

Réunion du 18 mai 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Jacques MullerJacques Muller :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au travers de la discussion de ce projet de loi, nous abordons un sujet de première importance.

En effet, l’agriculture est une activité particulièrement sensible, qui revêt plusieurs dimensions : une dimension stratégique puisqu’elle vise à produire notre nourriture ; une dimension économique et sociale dans la mesure où elle crée de la richesse et de l’emploi ; une dimension socio-territoriale puisqu’elle contribue à l’aménagement du territoire ; une dimension environnementale car elle influe sur les différents compartiments de l’environnement et façonne les paysages de France ; une dimension culturelle enfin, si l’on prend en compte l’attachement de nos compatriotes à leurs paysans, qui participent de l’identité de notre pays.

Ce projet de loi introduit « une politique publique de l’alimentation » ; il était temps ! La mondialisation, l’uniformisation du goût et la dérive des pratiques alimentaires aux conséquences désastreuses, notamment en termes de santé publique, exigent que l’on se dote d’une véritable politique en la matière. Enfin !

Pour autant, je dénonce le déficit patent d’articulation entre politique agricole et politique alimentaire. Le texte en discussion ne fait que les juxtaposer. J’estime au contraire que notre agriculture devrait clairement être présentée comme le premier pilier de notre politique alimentaire : l’agriculture française a d’abord vocation à nourrir la population française. C’est une priorité de premier rang.

L’objectif de « renforcer la compétitivité de l’agriculture française » et plus particulièrement – selon vos propos, monsieur le ministre – « par rapport à celle de l’agriculture allemande », qui serait en train de nous distancer, me laisse franchement perplexe.

Cela ressemble furieusement à l’objectif affiché dans les grandes lois d’orientation agricole de 1960-1962, qui visaient à « augmenter la productivité de l’agriculture française » au nom du retard de modernisation de notre agriculture par rapport à celles de nos voisins... Manifestement, dans ce projet de loi, « modernisation » signifie « continuation » !

Pourtant, un demi-siècle s’est écoulé... Notre agriculture a connu une hémorragie d’emplois sans précédent, et contribue de moins en moins à la dynamisation de nos territoires. Elle s’est considérablement artificialisée et fragilisée : en témoigne sa dépendance extrême en énergies fossiles, directement – le gazole – et indirectement à travers la consommation croissante d’intrants. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je déplore la non-prise en compte de ces nouveaux défis.

Il nous faut impérativement favoriser l’émergence de nouveaux systèmes de production agricole plus autonomes : ce n’est pas qu’une question environnementale au vu des impacts négatifs de l’agriculture productiviste, c’est également une question stratégique, à l’heure de la raréfaction annoncée des énergies fossiles.

Ce tournant nécessaire, j’ose dire « cet impératif », ne pouvait pas ne pas être engagé dans une loi dite de modernisation.

Les dispositions introduites dans le projet de loi ne sont pas à la hauteur du défi de la régulation nécessaire des marchés agricoles.

Cette régulation est tendanciellement mise à mal par les évolutions de la PAC au cours des deux décennies passées. À cet égard, la généralisation de l’assurance récolte contre « certains risques agricoles » m’inquiète profondément.

Dans la mesure où les risques sanitaires et environnementaux et les risques liés aux calamités sont déjà couverts, il s’agit implicitement des risques de baisse des prix agricoles ; de ce fait, cette disposition n’apparaît que comme une tentative d’adaptation – réservée à ceux qui auront les moyens financiers de s’assurer – au fonctionnement erratique des marchés agricoles.

Elle signifie clairement une capitulation devant ce qu’il faut appeler « l’ardente obligation » de réguler ces marchés agricoles.

On nous propose finalement, ni plus ni moins, d’instituer un dispositif néolibéral, déjà mis en place chez certains de nos voisins, en prévision de l’abandon programmé d’une PAC digne de ce nom.

Monsieur le ministre, nous attendions une vraie « modernisation de l’agriculture », qui réponde aux nouveaux défis, une agriculture plus riche en emplois, plus autonome, et qui intègre la dimension sociale du monde agricole. Cette dimension sociale est désespérément absente du texte. Or vous ne prévoyez que des aménagements à la marge qui, de fait, ne font que conforter la fuite en avant engagée depuis des décennies !

En l’état, ce texte apparaît comme un acte manqué.

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