Permettez-moi tout d’abord, monsieur ministre, de saluer votre courtoisie et l’attention que vous accordez à chacun des orateurs : les réponses que vous leur avez apportées, tant à l’issue de la discussion générale qu’à l’instant, en témoignent.
Il n’en reste pas moins que je partage le constat qui a été dressé de façon quasi unanime cet après-midi : notre agriculture connaît une crise profonde, brutale et, en un sens, totalement inédite.
Depuis 2008, les agriculteurs ont perdu en moyenne plus de 50 % de leur revenu. Le revenu des chefs d’exploitation a baissé de 23 % en 2008, avant de chuter de 32 % en 2009. Ces quelques chiffres résument à eux seuls la gravité de la situation et la violence de la crise.
Nous le savons bien, certains secteurs sont tout particulièrement frappés. C’est le cas de la production laitière, pour laquelle les perspectives sont absolument catastrophiques. La présidente-directrice générale de l’Institut national de la recherche agronomique, Marion Guillou, indique que, avec la fin des quotas, seules 40 000 à 50 000 exploitations survivront. C’est la disparition annoncée, en France, d’une exploitation laitière sur deux ! C’est dire la profondeur de la crise.
Mais aujourd’hui, et c’est une nouveauté, toutes les filières agricoles de notre pays sont touchées. Car cette crise frappe non seulement avec violence, mais aussi sans distinction ! De ce fait, près d’un agriculteur sur six envisage de cesser son activité dans les douze mois à venir : 50 000 exploitations en moins, c’est, dans le même temps, la disparition de 200 000 emplois dans notre pays.
À tous, il nous arrive de rencontrer dans nos territoires des agriculteurs qui nous disent que, compte tenu de la situation, ils vont devoir fermer leur exploitation. Quelle preuve plus éclatante de leur désarroi, de leur désespérance, que cette tentation, ô combien déchirante, de renoncer à ce qui a représenté toute leur vie ? Car chacun d’eux a un amour viscéral pour le travail de la terre !
Ce désespoir est aujourd’hui aggravé par les mots, par l’attitude des pouvoirs publics au plus haut niveau, par l’impression d’impuissance qu’ils donnent. Il l’est aussi par la froideur et la distance du Président de la République à l’égard du monde agricole, qui renforcent encore le sentiment d’abandon ; dans ce contexte, le rendez-vous manqué du Salon de l’agriculture est apparu comme un révélateur. Il l’est encore par les politiques conduites ces dernières années par les différents gouvernements.
À ce titre, comment ne pas relever la responsabilité de la loi de modernisation de l’économie ? Son objectif, louable, était de relancer la consommation par une baisse des prix, mais elle a eu pour effet déplorable de permettre à la grande distribution d’imposer aux exploitants des prix d’achat de moins en moins rémunérateurs, sans conduire pour autant à une baisse des prix à la consommation. Bien plus, elle a abouti à cet incroyable paradoxe : les prix à la consommation, dans le meilleur des cas, sont stables, quand ils n’augmentent pas, alors que les prix payés aux producteurs, au mieux, sont inchangés et, au pis, diminuent !
Comment, dans le même temps, ne pas regretter notre isolement en Europe – vous avez déjà répondu sur ce point, monsieur le ministre, mais je maintiens le terme – et dénoncer l’abandon des quotas laitiers par votre prédécesseur, M. Michel Barnier, lors du « bilan de santé » de la PAC ?
Je crains malheureusement que le texte qui nous est présenté aujourd’hui ne mette pas fin au désespoir, car il n’est pas à la hauteur des enjeux, et c’est le moins que l’on puisse dire !
Avant d’aborder plus précisément le contenu de ce projet de loi, je veux saluer le travail de tous nos collègues en commission et me féliciter des progrès qu’il a rendus possibles. Le groupe socialiste a analysé et examiné ce texte avec sérieux et bonne foi. Nous avons déposé 140 amendements constructifs – c’est dire l’attention que nous y avons portée –, mais une douzaine seulement a été retenue. D’ailleurs, je ne me priverai pas de souligner les quelques avancées que le texte permettra de réaliser.
Cela étant, force est de reconnaître que, pour l’essentiel, le projet de loi lui-même n’est guère porteur d’espoirs. Nous en récusons la philosophie générale, nous déplorons la faiblesse des moyens concrets mis en œuvre et nous regrettons profondément l’absence d’outils nouveaux qui contribueraient à inventer l’agriculture de demain.
Que dire, d’abord, de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ? L’initiative est en soi louable, si ce n’est que cet organisme existe déjà, à défaut de pouvoir fonctionner, privé qu’il est de moyens concrets. En la matière, ce sont les initiatives privées et les associations de consommateurs qui, aujourd’hui, font l’essentiel du travail et permettent un accès aux données chiffrées.
L’inscription de cet observatoire dans la loi ne nous pose aucun problème, mais ce que nous demandons au Gouvernement, c’est de mettre enfin en application tous les dispositifs garantissant une totale transparence en matière de formation des prix. Or, depuis des années, nous ne sentons pas un fort volontarisme sur ce sujet…
Que dire, ensuite, de l’orientation générale qui sous-tend ce projet de loi ? L’inspiration est évidente et tient en deux mots, même si vous les avez récusés, monsieur le ministre : libéralisation et dérégulation. En somme, après avoir détricoté, tant à l’échelon national qu’au niveau européen, les outils de régulation publique de l’agriculture, vous vous offrez une session de rattrapage en mettant en place dans la précipitation des tentatives de régulation privée qui, malheureusement, seront insuffisantes.
Je veux parler de l’obligation de contractualisation entre agriculteurs et acheteurs, qui semble constituer l’axe principal de ce projet de loi. Telle qu’elle est proposée, la contractualisation n’est qu’un leurre, car elle donne à croire que l’on pourrait introduire par contrat de l’égalité entre deux parties foncièrement inégales : d’une part, l’acheteur, à savoir quelques transformateurs hégémoniques et quelques immenses centrales d’achat hyperpuissantes, et, d’autre part, le vendeur-exploitant, dont l’offre est éclatée et que ses produits, généralement périssables à très court terme, placent dans une situation de fragilité manifeste à l’égard de son cocontractant.
Certes, la contractualisation peut présenter des avantages, notamment en clarifiant les relations entre acheteur et vendeur, mais elle ne peut constituer à elle seule une politique globale de régulation. Pour le dire plus clairement encore : non, la contractualisation n’est pas et ne sera jamais une réponse satisfaisante à la disparition des quotas laitiers, que la France a abandonnés dans la négociation communautaire.