Intervention de Jean-Pierre Bel

Réunion du 18 mai 2010 à 22h10
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Question préalable

Photo de Jean-Pierre BelJean-Pierre Bel :

Il vous arrive souvent d’être approximatif, mon cher collègue, nous en avons eu encore l’éclatante manifestation cet après-midi. Je vous engage à vérifier vos affirmations.

J’ajoute que le dispositif proposé quant à la contractualisation est pour le moins timoré. Ainsi, le texte ne précise même pas si les contrats devront garantir aux producteurs un prix couvrant au moins leurs coûts de production, rémunération du travail comprise. Faute de tels prix planchers, lesquels ne seraient pourtant pas une panacée, la viabilité des exploitations liées à un acheteur par un contrat de vente écrit n’est donc, à notre sens, en rien assurée.

Vous le voyez, le contenu du texte est malheureusement insuffisant pour répondre à la crise et inventer des outils nouveaux ; il ne permet pas même de construire, modestement, un cadre d’action pertinent.

Mais il y a plus regrettable encore que le contenu du texte : c’est tout ce que le texte ne contient pas… Bien sûr, aucun projet de loi ne peut en lui-même apporter de solution à tous les problèmes et je comprends la difficulté de votre tâche, monsieur le ministre. Pour autant, un projet de loi relatif à la modernisation de l’agriculture se doit, à tout le moins, de ne pas oublier les chantiers qui, précisément, contribueraient à faire entrer l’agriculture dans la modernité et qui constituent les clés indispensables à l’agriculture de demain.

De grands chantiers d’avenir ne sont pas – ou à peine – abordés dans le texte, alors qu’ils sont vitaux. L’absence d’une réflexion à long terme et d’une prise en compte des enjeux de fond est évidente.

À cet égard, le titre Ier, un peu pompeusement consacré à la « politique publique de l’alimentation », n’en fournit même pas l’esquisse.

Pourquoi ne pas aller au bout des choses et assumer le choix d’une alimentation de qualité, en encadrant très fortement, voire en interdisant purement et simplement certaines publicités lors de programmes télévisés destinés aux enfants ?

Pourquoi ne pas simplifier l’étiquetage nutritionnel des produits alimentaires pour permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés ?

Il est vrai que, une fois encore, monsieur le ministre, vous semblez nous inviter à agir dans la précipitation, au risque de mal légiférer.

Pourquoi, alors que vous avez demandé au Conseil national de l’alimentation de constituer des groupes de travail chargés d’élaborer des propositions sur des thématiques amples, n’avez-vous pas attendu la communication des conclusions de ces derniers, prévue pour la fin du mois de mai ? La prise en compte de ces réflexions aurait certainement permis d’alimenter votre projet de loi de manière plus substantielle puisque chacun de ces groupes travaille sur des thématiques qui nous semblent avoir été sous-estimées dans le texte. Les rapports qui nous sont promis paraissent être riches – je vous en épargnerai l’énumération – et vous auriez pu les utiliser pour nourrir plus abondamment le titre Ier.

Monsieur le ministre, comment ne pas souscrire aux bonnes intentions que vous manifestez ? Comment ne pas s’accorder sur certaines des directions que vous indiquez ? Le problème vient de ce que vos propos, souvent bien sentis, ne sont pas traduits dans le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui.

Ce texte ne comporte, selon nous, rien de concret.

Rien de concret sur le développement des circuits courts pour favoriser les produits locaux et de saison.

Rien de concret pour les hommes et les femmes qui vivent de l’agriculture, pour les jeunes qui souhaitent s’installer mais peinent à le faire, notamment en raison des difficiles conditions d’accès au foncier.

Rien de concret pour les moins jeunes en quête d’une reconversion, pour les retraités qui, après une vie de travail, survivent tout juste avec des pensions indignes.

Rien de concret pour la promotion des labels, alors qu’ils constituent autant de signes de distinction de nature à encourager les productions de qualité.

Rien de concret pour aider nos terroirs à améliorer leur image, alors même que la compétitivité de notre agriculture – vous en avez parlé cet après-midi – se joue aussi là-dessus, notamment au regard de la concurrence européenne et internationale.

Rien de véritablement concret sur le bio, qui, s’il ne constitue pas à lui seul la solution à tous les maux, n’en est pas moins une piste stratégique pour l’avenir.

Rien de concret sur la formation, la recherche, l’innovation : comme si l’agriculture française n’était pas, aussi, un secteur de pointe !

Rien de concret, enfin, sur la transparence de la chaîne de commercialisation et du processus de formation des prix, alors que c’est la clé pour permettre aux agriculteurs d’avoir des revenus décents sans accroître le coût de leurs produits pour le consommateur final : comme si l’on craignait de prendre des mesures fortes qui pourraient viser directement la grande distribution !

Bien sûr, nous avons vu la belle opération de communication organisée hier autour du Président de la République. Or, ce que nous demandons au Président, c’est non pas de communiquer, mais d’agir ! Et le seul résultat de la réunion d’hier, ce sont de belles déclarations d’intention, un résultat a minima qui ne changera pas la donne et ne leurrera pas les producteurs, lesquels l’ont d’ailleurs déjà fait savoir.

En outre, et c’est peut-être le plus inquiétant, aucune vision stratégique ne se dégage sur le futur de notre agriculture à long terme, aucune perspective n’est tracée sur l’avenir de la politique agricole commune, sur l’action possible de la France aux niveaux européen et international, alors que tout le monde sait bien que c’est là, d’abord, que tout se joue et que c’est là, demain, qu’il faudra faire entendre notre voix, au moment où la renégociation de la PAC pourrait conduire à « renationaliser » encore davantage cette politique et à amputer son budget de 40 %.

Monsieur le président, mes chers collègues, en un mot comme en mille, faute d’ambition politique et faute de volonté d’action, ce texte manque sa cible.

La régulation de notre agriculture est abandonnée entre les seules mains d’acteurs privés, sans dispositif permettant de rétablir de l’égalité entre des parties inégales. L’État se désengage d’un secteur qui, pourtant, autant que d’autres, a besoin d’une vision stratégique et d’une action publique lisible à long terme.

La France a cessé de porter un message fort sur la nécessaire harmonisation fiscale et sociale en Europe, seul instrument qui nous permettrait de lutter contre les distorsions de concurrence préjudiciables à notre agriculture.

Monsieur le ministre, vous passez à côté de nombreux chantiers d’avenir pour l’agriculture française : la qualité, la durabilité, les circuits courts, les terroirs.

Notre agriculture est riche d’un passé au cours duquel elle a relevé le défi de nous nourrir. Elle doit être riche aussi d’un avenir, car elle a tous les atouts pour entrer dans le monde de demain.

Il nous faut sortir de la crise par le haut, en nous fondant sur nos terroirs, sur nos pratiques, sur la qualité de nos produits pour nous projeter vers l’avenir.

Ce projet de loi nous paraît décidément timoré. Puisqu’il n’apporte pas les solutions nécessaires, il faut peut-être le retravailler et élaborer un texte qui réponde enfin aux grands défis que j’ai évoqués. C’est pourquoi, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, je vous propose d’adopter la motion tendant à opposer la question préalable.

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