Intervention de Philippe Adnot

Réunion du 30 novembre 2009 à 10h00
Loi de finances pour 2010 — Recherche et enseignement supérieur

Photo de Philippe AdnotPhilippe Adnot, rapporteur spécial de la commission des finances :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, à bien des égards, la mission « Recherche et enseignement supérieur » paraît privilégiée : dans un contexte budgétaire très contraint, ses crédits, qui s’élèvent à 24, 8 milliards d’euros en crédits de paiement, affichent une progression de 2, 88 % à structure constante par rapport à 2009 ; quant à ses emplois, ils échappent à la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux.

Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche évalue ainsi à 1, 8 milliard d’euros l’effort supplémentaire consenti en 2010 par l’État dans ces domaines.

Cette somme se décompose de la façon suivante : une augmentation des crédits budgétaires stricto sensu de 650 millions d’euros ; un accroissement des dépenses fiscales de 565 millions d’euros ; une hausse des partenariats public-privé de 250 millions d’euros et du stock de ces partenariats pour 170 millions d’euros ; les intérêts de l’opération « Campus », à hauteur de 164 millions d’euros.

Certes, ces chiffres correspondent à une réalité, mais ils intègrent de nombreuses capacités d’engagement qui mettront sans doute un certain temps à se réaliser. Concrètement, en 2010, seuls les nouveaux crédits de paiement et les dépenses fiscales seront disponibles, ce qui représentera 1, 26 milliard d’euros.

Le programme « Formations supérieures et recherche universitaire » reste le plus important de cette mission, dont il représente près de 50 % des crédits. Il est marqué par le passage à l’autonomie de la deuxième vague des universités, soit 38 établissements au 1er janvier 2010. Plus de 60 000 emplois sont ainsi transférés, ainsi que la masse salariale afférente.

La croissance des crédits témoigne, notamment, de la montée en charge du plan « Réussir en licence », auquel 66, 5 millions d’euros supplémentaires seront consacrés cette année, ce qui représentera un effort cumulé de 730 millions d’euros sur cinq ans.

Bien des espoirs reposent sur cette réforme. En effet, nous parviendrons d’autant mieux à éviter des débats douloureux sur la sélection à l’entrée de l’université que cette orientation sera réussie.

Je souhaite également souligner la progression des crédits du programme « Vie étudiante », qui, d’une part, accompagnent la montée en charge de la réforme des bourses, et, d’autre part, témoignent d’un effort substantiel en faveur de l’accueil des personnes handicapées.

S’agissant des remarques qualitatives, je concentrerai mon propos sur cinq points. En effet, le secteur qui nous revient est si riche que nous devons nous limiter, ce qui est dommage, mais préférable pour la clarté de notre débat.

Premièrement, j’aborderai un sujet transversal, à savoir l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement, l’AERES.

Nous avons déjà salué par le passé la mise en place d’un tel organisme, car il est important que notre système national soit soumis à une évaluation incontestable et répondant aux meilleures pratiques internationales.

Le rôle de cette agence est devenu d’autant plus essentiel aujourd’hui que le nouveau mécanisme d’allocation des moyens aux universités, SYMPA, ou système de répartition des moyens à la performance et à l’activité, attribue une partie des crédits en fonction de la notation des laboratoires de recherche par l’AERES.

Le 10 avril 2009, l’AERES a lancé sa troisième campagne d’évaluation, consacrée à la « vague A ». Elle a réalisé 1 517 évaluations pour la campagne relative aux établissements de la « vague D », c’est-à-dire celle qui couvre la période 2010-2013.

Au vu de cette activité, nous nous demandons si l’agence n’atteint pas ses limites, car elle ne compte que 70 emplois en équivalents temps plein.

Il ne faudrait pas tomber dans une « logique d’abattage » qui pourrait aboutir à une moindre efficacité de l’AERES et au rétablissement de fait des pratiques antérieures en matière d’évaluation. Dans ces conditions, mes chers collègues, nous vous proposerons de renforcer les moyens de l’agence.

Deuxièmement, j’évoquerai l’opération « Campus », qui, comme vous le savez, a été annoncée par le Président de la République et qui doit financer l’émergence d’une dizaine de campus de rang international, auxquels sont venus s’ajouter deux autres, à travers la remise à niveau de leur patrimoine immobilier.

Cinq milliards d’euros doivent être dégagés. Or, à ce jour, l’État dispose concrètement de 3, 7 milliards d’euros résultant de la vente d’une partie des titres d’EDF. Cette somme se trouve actuellement placée sur le compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État ».

Lorsque les opérations auront commencé, ces 3, 7 milliards d’euros devront être majorés d’un montant représentatif des économies de charges d’intérêts engendrées par le surcroît de trésorerie dont a bénéficié l’État depuis la cession des titres d’EDF. En quatre ans, et sur la base d’un taux d’intérêt de 4, 25 %, la somme globale à répartir serait de l’ordre de 4, 3 milliards d’euros. Or il faut 5 milliards d’euros !

Au-delà de l’insuffisance apparente des crédits, se posent des questions opérationnelles. Qui gérera ces dotations ? Seront-ce les universités ? Celles-ci disposent-elles des compétences nécessaires pour réaliser et gérer correctement des placements aussi importants, puisque, pour un certain nombre d’établissements, ils approcheront les 500 millions d'euros ? Nous pouvons en douter…

Madame la ministre, pouvez-vous nous donner quelques explications sur ce point ? En effet, nous nous sommes interrogés et nous estimons que le système retenu, aux termes duquel chaque université placera une certaine somme d’argent, les intérêts étant utilisés pour financer les coûts annuels des contrats de partenariat, risque d’être coûteux pour l’État et de ne pas être nécessairement bien maîtrisé. Nous pourrions débattre de ce sujet, me semble-t-il.

Troisièmement, j’aborderai le nouveau système d’allocations des moyens.

Les aménagements proposés pour 2010 sont conformes aux préconisations du rapport de contrôle que j’ai réalisé avec notre collègue Jean-Léonce Dupont : ajustement du poids respectif des enveloppes de licence et de master, prise en compte de la situation des universités de petite taille par la surpondération des 10 000 premiers étudiants, majoration de la pondération des étudiants de licence, de master et d’IUFM, c'est-à-dire d’instituts universitaires de formation des maîtres, tertiaires, ainsi que celle des DUT, les diplômes universitaires de technologie. Toutes ces mesures vont dans le bon sens.

Au-delà de ces aménagements techniques, madame la ministre, vous avez annoncé deux évolutions importantes : d’une part, le modèle prendra en compte la nouvelle équivalence entre les travaux pratiques et les enseignements dirigés, ce qui représentera un coût de 45 millions d'euros ; d’autre part, il n’y aura pas, en 2010, de redéploiements d’emplois entre les universités, ce qui, me semble-t-il, contribuera grandement à la réussite des opérations en cours.

La dotation de chaque université tiendra compte toutefois de la situation de celle-ci du point de vue des emplois. Il est proposé de maintenir des crédits particuliers en faveur de la compensation des « emplois manquants », qui devraient passer de 20 000 à 25 000, et peut-être un jour à 45 000, de manière à permettre ce rééquilibrage.

Les écarts historiques entre les universités pourront ainsi être progressivement rééquilibrés, sans qu’il soit pour autant nécessaire de recourir à des redéploiements massifs entre établissements, ce qui aurait créé un très mauvais climat.

Nous sommes tout à fait favorables à cette solution, car il y avait une difficulté à réussir la réforme de l’université, dans laquelle nous mettons beaucoup d’espoir.

Je me félicite, par ailleurs, que les réformes en cours concernant le financement de l’enseignement supérieur privé relevant de votre ministère, ou de celui de l’agriculture, introduisent la notion de performance, ainsi qu’un lien entre l’allocation de moyens et l’atteinte des objectifs fixés dans les contrats quadriennaux.

Le quatrième sujet a trait à la réforme engagée de la gestion des unités mixtes de recherche. Je rappelle que c’est un sujet majeur, puisque 43 % des laboratoires publics prennent la forme d’une unité mixte de recherche.

La réforme s’appuie sur la limitation du nombre de tutelles scientifiques et, surtout, sur la mise en place du mandat de gestion unique pour l’hébergeur de l’unité : cela signifie que l’établissement qui héberge le laboratoire est responsable de l’unité pour l’ensemble des partenaires.

Afin que ce mandat devienne réalité, il convient de procéder à une harmonisation des règles fiscales, comptables et financières régissant les différentes catégories d’établissement public. Ce projet de loi de finances y contribue en permettant notamment aux établissements publics à caractère scientifique et technologique, les EPST, de recruter également sur des contrats à durée indéterminée.

Mais, madame la ministre, des divergences qui pourraient conduire à certains comportements irrationnels restent à régler. Elles concernent notamment le différentiel de taxe sur les salaires ou les frais de déplacement. Autrement dit, certaines méthodes comptables permettraient d’opter, selon les circonstances, pour des rattachements qui ne seraient pas les plus opérationnels.

Le cinquième sujet est relatif au financement de la maturation des projets de recherche innovants et de la preuve de concept. Ces phases sont primordiales, car elles permettent d’examiner le potentiel d’application d’un projet dont la recherche fondamentale est terminée. Or elles ne sont pas, ou peu financées. D’une part, les financements publics sur la recherche fondamentale sont épuisés et, d’autre part, ce projet n’est pas suffisamment avancé pour attirer des financements publics ou privés de recherche appliquée.

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