Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l’examen de ce projet de budget de l’enseignement supérieur et de la recherche s’inscrit dans un contexte de crise généralisée, très préoccupant pour les jeunes de notre pays.
Alors que nous arrivons à mi-parcours de la mise en œuvre du plan licence, où en sommes-nous au regard des objectifs fixés ? Rappelons que les principaux étaient, à l’horizon 2012, de diviser par deux le taux d’échec en première année de licence et d’amener 50 % d’une classe d’âge à ce niveau.
À cette fin, le plan licence prévoit cinq heures hebdomadaires d’encadrement pédagogique supplémentaires par étudiant et, pour chaque année de licence, l’accompagnement des étudiants par un enseignant référent, du tutorat et un contenu de la licence rénové, avec l’instauration d’une première année davantage pluridisciplinaire et recentrée sur les fondamentaux.
Ces mesures, qui semblent correspondre aux objectifs du plan, s’avèrent en fait insuffisantes pour offrir aux étudiants un véritable cadre d’enseignement adapté. L’erreur des auteurs des réformes successives de l’enseignement secondaire aura été de ne pas comprendre qu’un enseignement s’adressant à la masse des jeunes ne peut pas se contenter de reproduire le modèle d’un enseignement destiné, jusqu’alors, à une élite. En bref, il ne faut pas confondre massification et démocratisation. Il serait grave de renouveler la même erreur pour l’enseignement supérieur, en particulier pour le premier cycle.
Aujourd’hui, 77 % des bacheliers accèdent à l’enseignement supérieur. L’université doit s’adapter pour que le plus grand nombre réussisse : cette adaptation concerne les contenus, la formation des maîtres, les méthodes pédagogiques, les moyens matériels, l’accompagnement des jeunes étudiants, etc.
Par ailleurs, il faut rapprocher les classes préparatoires aux grandes écoles, où les élèves, encore au lycée, sont suivis, encadrés, accompagnés, et les universités, où les étudiants se trouvent trop souvent isolés, sinon parfois totalement perdus.
Outre cette problématique, les mesures du plan licence posent d’autres problèmes.
Il y a tout d’abord la question des moyens accordés. Pour le financement du plan sur sa durée globale, de 2008 à 2012, 730 millions d’euros avaient été prévus. Cependant, à mi-parcours, c’est moins de 40 % du budget total qui a été engagé : 500 millions d’euros manquent à l’appel !
La mise en œuvre de ce plan semble donc compromise, et cela est d’autant plus vrai que le manque de moyens financiers induit un manque de moyens humains. Certes, les suppressions de postes ont été gelées dans votre ministère, mais cela ne suffit pas pour mener une politique ambitieuse ! On constate d’ailleurs aujourd’hui que les dispositifs prévus par le plan licence ne sont pas mis en place dans les universités, faute de moyens humains. Selon un bilan de la mise en œuvre du plan licence réalisé par l’Union nationale des étudiants de France, l’UNEF, en décembre 2008, « seules 32 % des universités ont augmenté les volumes horaires de leurs formations, 28 % ont limité le nombre d’heures de cours en amphis […] ». C’est très peu, après plus de deux ans d’action !
Ce plan n’apporte, en outre, aucune avancée quant aux articulations envisageables entre le premier cycle universitaire et les autres enseignements post-baccalauréat, tels que les classes préparatoires ou les grandes écoles.
De même, les passerelles entre les différentes filières universitaires sont inexistantes ou d’une complexité telle qu’elles sont inutilisées en pratique.
Le Gouvernement annonce qu’une telle articulation sera mise en place pour le lycée. Une réforme identique devrait être réalisée pour la licence, les étudiants étant nombreux à ne pas trouver leur voie du premier coup. Ce serait un complément tout à fait judicieux du travail mené actuellement sur l’orientation, et cela rassurerait les élèves du lycée, en leur accordant un droit à l’erreur dont l’usage ne leur ferait pas forcément perdre une ou plusieurs années. C’est aussi grâce à cela que vous pourrez lutter contre l’échec scolaire.
Vous nous aviez annoncé, madame la ministre, que 2009 serait l’année de la vie étudiante. Le 29 septembre dernier, c’est le paiement d’un dixième mois de bourse qui a été promis aux étudiants. Mais, début novembre, vous avez indiqué que ce dixième mois de bourse ne concernerait pas tout le monde, faute de moyens. Et effectivement, dans le projet de budget que vous nous présentez aujourd’hui, le premier euro des 155 millions nécessaires au versement de ce dixième mois n’a pas été budgété pour 2010. Vous avez affirmé, lors de votre audition par la commission de la culture, que ce serait fait « ultérieurement ». Pourriez-vous nous en dire un peu plus et rassurer les étudiants qui attendent la réalisation de vos promesses ? Après tout, les étudiants, comme tout le monde, ont besoin de moyens pour vivre douze mois sur douze…
Le programme « Vie étudiante » est l’une des lignes en baisse de votre budget, ce qui est tout à fait préoccupant au regard des conditions de vie et d’études des étudiants, toujours plus précaires. Cela a notamment pour conséquence qu’un étudiant sur deux est obligé de se salarier pour financer ses études, les risques d’échec augmentant ainsi de 40 %.
Comme l’ont montré plusieurs études, la rentrée a coûté plus cher aux étudiants cette année : 3 % de plus que l’année dernière, en moyenne. Tout augmente, des frais d’inscription à l’université au prix des tickets de restaurant universitaire en passant, bien sûr, par la cotisation à la sécurité sociale étudiante.
Pour faire face à cette montée des prix, vous avez annoncé l’objectif d’augmenter de 10 % le nombre de boursiers, en relevant les plafonds. Le système des bourses est le garant de l’égalité des chances : cela est vrai à l’université, et peut-être plus encore dans les classes préparatoires aux grandes écoles.
Vous connaissez, madame la ministre, mon engagement en la matière depuis le rapport de 2007, présenté au nom de la commission des affaires culturelles unanime, par lequel nous nous étions inquiétés de l’absence de diversité sociale dans les classes préparatoires aux grandes écoles.
Vous-même avez fixé pour objectif que les grandes écoles accueillent 30 % de boursiers. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui, puisque ces derniers représentent 20 % des effectifs des écoles de commerce, et seulement 12 % pour les écoles dites « très sélectives », comme HEC ou l’ESSEC.
Cela étant, plutôt que sur les bourses, le Gouvernement semble vouloir miser sur une autre forme d’ « aide » : les prêts. En cette période de crise de confiance à l’égard de nos banques, la mesure semble hasardeuse.
En septembre 2008, vous avez annoncé, madame la ministre, la mise en place d’un nouveau dispositif destiné à aider les étudiants : l’État apporte une dotation de 5 millions d’euros à un organisme, appelé OSEO, afin qu’il puisse garantir, à hauteur de 70 %, des prêts accordés par les banques aux étudiants. Actuellement, cinq réseaux bancaires sont partenaires de cette opération. Vous aviez prévu que ce système permettrait d’accorder 20 000 prêts avant la fin de 2008, et 60 000 en 2009.
En revanche, le dispositif des prêts d’honneur, attribués à taux nul par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les CROUS, aux étudiants non boursiers, a été supprimé à compter de l’année scolaire 2009-2010. Pour justifier cette suppression, vous aviez fait valoir l’argument suivant : « Ce dispositif ne fonctionne pas […] 30 % des crédits disponibles ne sont pas utilisés. »
Or, le 21 octobre dernier, le nouveau dispositif de prêts garantis par l’État n’avait permis d’accorder que 6 600 prêts. On est donc très loin du chiffre de 80 000 qui aurait dû être atteint à la fin de cette année ! À peine plus de 8 % du budget alloué pour ces prêts garantis par l’État a été utilisé.
Réticences des banques à prêter à des étudiants, crainte légitime des étudiants de s’endetter avant même d’être assurés de pouvoir entrer rapidement dans la vie active : les raisons de la non-utilisation de ce dispositif peuvent être diverses. Vous avez déclaré que « ce n’est pas suffisant. Il y a l0 millions d’euros réservés dans mon budget cette année […]. Il faut les utiliser. » Et pourtant, ce type de prêts est bien moins intéressant que les prêts d’honneur à taux zéro pour les étudiants.
Parmi les éléments ayant également contribué à rendre la rentrée difficile figure le problème, qui est loin d’être nouveau, du logement.
Le logement représente, en effet, près de 50 % du budget de la rentrée pour les jeunes et leurs familles. Le logement étudiant est, on le sait, totalement insuffisant : pour un peu plus de 2 millions d’étudiants, on a recensé seulement 150 000 chambres environ, dont la moitié sont dans un état de vétusté inacceptable. Un plan a été lancé, à la suite de la publication en mars 2004 du rapport Anciaux, qui prévoyait la réhabilitation sur dix ans de 70 000 chambres du parc des CROUS et la construction de 50 000 autres. Or, plus les années passent, et plus les retards accumulés en la matière sont catastrophiques. Manifestement, aucune volonté gouvernementale ne viendra empêcher que ce plan ne se solde par un échec complet en 2014 !
Chaque année, madame la ministre, nous égrenons des chiffres plus qu’alarmants, mais rien n’y fait. Vous avez même revu vos objectifs à la baisse en février 2008 : c’est inacceptable ! Même avec ces objectifs moins ambitieux, les retards continuent de s’accumuler. Il conviendrait de construire chaque année, d’ici à 2014, 6 400 logements et d’en réhabiliter 7 800. Or, le budget prévisionnel n’autorise au total, pour les cinq années à venir, que 3 400 constructions et 8 400 réhabilitations ! Par quel tour de passe-passe allez-vous tenir vos engagements ? Savez-vous que le problème du logement empêche, chaque année, des millions de jeunes de poursuivre des études supérieures ? Comment, dans ces conditions, pensez-vous pouvoir atteindre l’objectif de 50 % d’une classe d’âge au niveau licence ?
Enfin, je voudrais mettre en lumière un dernier point qui me semble très important : la santé des étudiants.
Selon une étude de l’Union nationale des sociétés étudiantes mutualistes réalisée en 2008, un étudiant sur dix ne consulte jamais de médecin en cas de problème de santé, pour des raisons de coût. La situation évolue dans le mauvais sens depuis plusieurs années, et les conditions d’accès aux soins des étudiants se dégradent sans cesse. Le budget que vous nous présentez aujourd’hui est en baisse dans ce domaine de près de 54 % ! Il manque 55 millions d’euros à cette action ! La santé de nos étudiants a-t-elle si peu d’importance que vous ne puissiez y accorder plus de moyens ?
En conclusion, c’est la philosophie même de votre projet de budget qui est à revoir, madame la ministre. Il ne faut pas se contenter d’annoncer des politiques volontaristes en matière d’enseignement supérieur ; il ne faut pas attendre pour établir l’égalité des chances ; il ne faut pas attendre pour permettre aux futurs salariés de se former dans des conditions dignes. Certes, tout n’est pas affaire de moyens, mais pourquoi faire régulièrement des annonces gouvernementales, si les moyens ne suivent pas ?
C’est malheureusement le cas pour votre projet de budget de l’enseignement supérieur pour 2010, et c’est la raison pour laquelle, madame la ministre, nous ne le voterons pas.