Madame la ministre, je ne suis pas le premier à relativiser vos crédits, mais il me semble important de remettre en perspective ce que vous affichez.
La mission « Recherche et enseignement supérieur », dans son ensemble, bénéficiera de 24, 813 milliards d’euros de crédits de paiement, soit une hausse de 2, 9 % hors inflation si l’on prend en compte les annulations de crédits intervenues en cours d’exécution budgétaire, et non de 5, 3 %, comme affiché. Or ce montant est légèrement inférieur à celui que prévoyait la programmation budgétaire pluriannuelle, qui faisait apparaître des hausses successives de 3, 3 % et de 3, 6 %, soit 24, 963 milliards d’euros pour 2010 et 25, 866 milliards d’euros pour 2011.
Sur le montant de 1, 8 milliard d’euros supplémentaires encore affiché par le Gouvernement, 995 millions d’euros seraient destinés à l’enseignement supérieur et 804 millions d’euros à la recherche. En réalité, seuls 376 millions d’euros supplémentaires seront effectivement alloués à l’enseignement supérieur et 274 millions d’euros à la recherche, le reste provenant des intérêts tirés de la vente des actions EDF, des partenariats public-privé pour l’immobilier universitaire et de la dépense fiscale liée au crédit d’impôt recherche.
Les crédits budgétaires de la mission « Recherche et enseignement supérieur » n’augmenteront donc, en 2010, que de 650 millions d’euros, et les deux tiers de cette somme seront consacrés à des engagements d’investissements. Si l’on prend l’exemple des partenariats public-privé, il faut plus de dix-huit mois pour faire aboutir un dossier de cette nature, d’où le très faible nombre de projets actuellement susceptibles d’être financés en 2010. Les 420 millions d’euros alloués aux partenariats public-privé sont donc tout théoriques, pour ne pas dire virtuels.
Pour ce qui concerne la recherche universitaire, les crédits affectés aux actions qui en relèvent affichent des hausses considérables, de l’ordre de 100 % en moyenne. Mais ces augmentations sont dues, en totalité, au transfert de la masse salariale aux établissements ayant opté pour les compétences élargies, qui représente 2, 15 milliards d’euros sur 2, 6 milliards d’euros programmés, alors que la hausse affichée est de 1, 5 milliard d’euros par rapport à 2009 ! Au final, la hausse effective de 350 millions d’euros – faisant suite à celle de 56 millions d’euros enregistrée en 2009 – ne permettra pas à la recherche universitaire de rattraper son retard en matière d’équipement des laboratoires et de soutien aux projets, d’autant que, je le rappelle, en 2008, les six actions du secteur, hormis l’action 12, transversale, enregistraient des baisses de crédits variant entre 5 % pour l’action « recherches scientifiques et technologiques en sciences de la terre, de l’univers et de l’environnement » et 20 % pour l’action « recherches scientifiques et technologiques en mathématiques, technologies de l’information et de la communication, micro et nanotechnologies » ou l’action « recherches scientifiques en sciences de l’homme et de la société ».
Madame la ministre, ni votre ministère ni la direction du CNRS n’ont fait état de la première place mondiale attribuée à cet organisme de recherche par l’institut espagnol SCImago dans son classement portant sur 2 000 institutions, organismes de recherche, universités, laboratoires, instituts privés, et fondé sur le nombre de publications parues dans un très vaste catalogue de revues internationales, sur une période donnée. Seule la délégation Provence-Corse du CNRS mentionnait cette information sur son site. Ce silence, comparé au battage médiatique organisé autour du classement de Shanghai, soulève des questions. Cette situation est d’autant plus étonnante que la reconnaissance de l’excellence du CNRS aurait pu trouver un écho particulier à l’occasion des manifestations entourant le soixante-dixième anniversaire de cet organisme de recherche. Pouvez-vous, madame la ministre, nous en expliquer la raison ?
Le CNRS est en profonde restructuration. Le décret le réorganisant en dix instituts a été publié au début du mois de novembre et le contrat d’objectifs 2009-2013 a été approuvé au cours de cette année. Je partage l’avis du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, le CSRT, sur le projet de décret réformant le CNRS : les adaptations nécessaires ne doivent « pas remettre en cause la spécificité de l’organisme (transversalité disciplinaire) et ses missions (depuis l’animation des recherches les plus fondamentales, jusqu’à sa contribution à la valorisation des résultats de ses recherches), sinon la recherche française risquerait d’être fragilisée ».
Le CSRT a rappelé, à juste titre, que le CNRS est « classé comme l’un des principaux organismes de recherche en Europe, et que sa crédibilité nationale et internationale est indiscutée ». En outre, avec sa longue tradition d’excellence, le CNRS occupe le premier rang, en Europe, en termes d’engagement dans des collaborations européennes et est aujourd’hui un acteur majeur de la construction de l’espace européen de la recherche.
À propos du crédit d’impôt recherche, un rapport de M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, a confirmé ce que nous affirmions, à savoir que « le coût du crédit d’impôt est directement lié aux évolutions législatives du dispositif », et donc pas forcément à un accroissement de l’effort de recherche des entreprises. M. Carrez ajoute que le principal bénéficiaire du dispositif est non pas l’industrie, mais le secteur des services, et que le crédit d’impôt recherche profite massivement aux grandes entreprises.
Je sais, madame la ministre, que l’interprétation de la répartition de la dépense fiscale entre les secteurs économiques, s’agissant en particulier de la catégorie des services bancaires et d’assurance, vous a quelque peu agacée. J’ai entendu votre argument selon lequel cette nomenclature incluait les holdings de grands groupes. Néanmoins, cette polémique sur la répartition de la dépense fiscale liée au CIR conforte la nécessité de pratiquer une évaluation exhaustive de ce dispositif fiscal par tranche et par secteur d’entreprise le plus rapidement possible, démarche autrement plus sérieuse que le recours aux QCM et aux sondages. Toutes les institutions, au premier rang desquelles la Cour des comptes, ainsi que les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, comme l’a prouvé le débat organisé sur ce sujet, voilà quelques mois, sur l’initiative de notre collègue Yvan Renar, vous demandent de procéder ainsi.
Une réflexion doit également être engagée, à mon sens, sur l’opportunité de moduler ou de limiter le recours au CIR suivant les secteurs économiques et/ou les domaines de recherche. Je ne voudrais pas tomber dans la caricature, mais je doute que nos concitoyens approuvent que de l’argent public puisse être affecté, sans aucun contrôle, à d’éventuelles recherches sur la modélisation de nouveaux procédés de titrisation, recherches dont l’intérêt est d’ailleurs également douteux, en termes de compétitivité et de croissance !