Nous sommes bien loin du calcul effectué par le Gouvernement, qui annonçait qu’un euro dépensé en crédit d’impôt par l’État engendrerait trois euros d’investissement par les entreprises !
Le rapport de M. Carrez sur ce thème est d’ailleurs circonspect : le CIR concernerait 80 % des entreprises de plus de 250 salariés. Vous contestez ce chiffre, madame la ministre. Nous avons besoin d’en savoir plus, et la demande d’une étude d’impact du CIR formulée par plusieurs rapporteurs, ainsi que par notre groupe, est d’autant plus judicieuse que les petites entreprises novatrices peinent toujours à financer leurs projets.
De surcroît, comment expliquer à nos chercheurs la baisse des moyens, la précarité des postes, alors que le présent projet de budget fait la part belle aux choix de recherche des entreprises les plus riches ?
Au titre du grand emprunt, 10 milliards d'euros serviront à transformer quelques groupements d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche en institutions pluridisciplinaires. Mais la pluridisciplinarité, base de l’approche systémique et de l’innovation, ne se décrète pas en plaçant tout le monde sous la même hiérarchie ; elle se construit par la facilitation, par la souplesse, par la rencontre, par le partage, elle demande du temps et n’est pas compatible avec la sommation d’être rentable de suite, d’être compétitif, d’être forcément meilleur que le voisin pour garantir le financement de l’année suivante… La pluridisciplinarité se construit avec des équipes durables, qui se connaissent et ne sont pas fragilisées par le financement du projet.
S’agissant des thématiques, il faut plus de recherche développant l’intelligence environnementale, des outils de mesure de la symbiose, ou du divorce, avec les écosystèmes –même le MEDEF vous le demande –, de nouvelles technologies moins gourmandes en ressources naturelles, des énergies renouvelables, des modes de transport de l’électricité au rendement plus efficace pour mettre un terme au gâchis actuel…
Le programme « Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de l’aménagement durables » aurait pu contribuer au « changement d’ère », comme dit la communication autour du Grenelle de l’environnement. Il n’en est rien. L’action « recherche dans le domaine de l’énergie » est encore « squattée » par le nucléaire, qui émarge à toutes les lignes possibles de tous les ministères – décarbonisation, innovation, international… –, sans pour autant nous garantir l’indépendance énergétique, ni une solution pour les déchets, ni même la sécurité, au vu de la fréquence des incidents.
Bien entendu, pour compléter ce que vous appelez le « mix énergétique », vous saupoudrez le tout d’un peu de recherche sur le développement des énergies renouvelables, par exemple la production d’électricité d’origine photovoltaïque, pour faire plaisir aux écologistes, mais vos services ont les yeux de Chimène pour les biocarburants de deuxième génération, alors que la première génération d’agrocarburants s’est révélée calamiteuse, tant par son écobilan qu’en raison des conséquences de son développement pour les paysans pauvres. L’ADEME a sûrement mieux à faire, avec ses crédits, que de donner à Total 7 millions d’euros d’argent public pour travailler sur ce sujet !
Nous avons atteint des niveaux jamais égalés de concentration de gaz à effet de serre depuis l’époque préindustrielle. Alors que les énergies renouvelables sont une solution, 63 millions d’euros seront gâchés dans des recherches sur ce que vous appelez le « CO2 maîtrisé » et les « carburants diversifiés ».
Il en va de même pour le captage et le stockage du carbone : l’Agence nationale de la recherche, fataliste, considère que l’on n’a rien trouvé de mieux pour réduire le taux de gaz à effet de serre. Encore des grands travaux pour tenter de réparer les erreurs, plutôt que de l’intelligence pour promouvoir un autre développement ! Selon le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, la captation et le stockage du carbone ne seront pas opérationnels avant 2030, et même si les résultats se révélaient concluants, il serait trop tard pour lutter contre les changements climatiques. Et ne parlons pas des risques de fuites en surface et d’acidification des sols !
Le budget de la recherche doit avoir pour vocation de construire l’avenir. Sa fonction première est la production de connaissances et de solutions pour le futur ; il ne doit pas être un énième cadeau aux entreprises gourmandes ou le fonds de commerce de la réparation des dommages du développement non durable.
C’est ainsi que nous attendons de l’INRA la définition d’une stratégie plus respectueuse des sols vivants que des intérêts de l’agrochimie. C’est ainsi que nous attendons que la France comble son retard : seulement 0, 8 % de notre production d’électricité provient de l’éolien ou du photovoltaïque. C’est dès aujourd’hui que l’avenir se construit, et la recherche ne doit pas se soumettre à des lobbies sans perspectives responsables.
Enfin, madame la ministre, même si vous n’êtes pas seule en cause, je souhaite vous interpeller sur la disparition de la cellule « culture scientifique et technique » de votre ministère, à l’heure où nous avons plus que jamais besoin d’une culture partagée des sciences et des techniques. Nous veillerons à ce que le futur opérateur national pour la diffusion et la démocratisation de la culture scientifique, le pôle Cité des sciences-Palais de la découverte, ne se constitue pas au détriment de l’originalité de ce dernier et de ses salariés. User du couperet de la suppression d’un poste de fonctionnaire sur deux n’a aucun sens quand on rapproche deux entités dont l’une est victime, et l’autre pas, sauf à vouloir compromettre le projet global. Une vraie ligne budgétaire identifiée pour le nouvel ensemble, gérée selon des critères plus modernes que le nombre d’entrées, garantirait une politique lisible.
Nous serons également attentifs à ce que la communauté de lieu avec le Grand Palais ne se traduise que par un apport de lumière, et non par une réduction des espaces scientifiques. Nous attendons enfin des précisions quant au mode de financement durable des centres de culture scientifique et technique en province et de toutes les associations de terrain.
Madame la ministre, ce projet de budget brandi comme un drapeau cache assez mal le désarroi des équipes dans les laboratoires, qu’elles soient modestes, comme celles travaillant sur la phytopharmacie ou l’éco-toxicologie dans les universités, ou célèbres, comme celles de l’Institut Pasteur, pourtant fortement mises à contribution en ce moment. Le plan cancer se concentre sur l’industrie pharmaceutique et néglige la traçabilité des polluants, qui permettrait pourtant de prévenir la maladie. Ce projet de budget cache mal que nous vivons dans une société trop peu motivée par la recherche, qui donne beaucoup plus à ses clubs de football qu’à l’INSERM !