Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce budget pour 2010 met en œuvre des conceptions et des décisions avec lesquelles nous sommes en profond désaccord. Il est donc, comme l’étaient les précédents, la traduction d’une politique à laquelle nous nous opposons. Il est l’application des grandes orientations stratégiques définies par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et représente déjà la deuxième annuité d’une loi de programmation militaire, votée en juillet dernier, dont nous avions contesté les décisions.
Tout le dispositif de votre projet de budget, monsieur le ministre, repose sur un postulat incertain : à travers celle du ministère, la réforme de nos armées, leur modernisation, doit permettre de dégager des économies qui seraient intégralement réinvesties dans les équipements, l’entraînement des forces et dans la revalorisation de la condition militaire.
L’utilisation que vous faites de ces économies est pourtant sujette à caution. C’est ainsi que vos dépenses d’équipement, par exemple, n’atteignent pas cette année les montants prévus par la loi de programmation militaire.
IL faut, en outre, noter que, pour des raisons financières et politiques, de graves incertitudes pèsent sur des programmes majeurs comme le Rafale ou l’A400M.
Moins dépenser, mais mieux dépenser : qui ne souscrirait à une telle ambition ? Mais derrière les bonnes intentions, il y a la réalité. La réalité, c’est la mise en œuvre de réformes qui découlent directement de la révision générale des politiques publiques et de la réduction du format des armées conformément au Livre blanc.
Très concrètement, ces réformes se traduiront cette année par la suppression de 8 250 postes, dont 2 000 personnels civils, pour atteindre l’objectif des 54 000 suppressions sur six ans fixé par la LPM.
La restructuration de nos implantations militaires se fait aussi au prix de la suppression d’une vingtaine d’entre elles l’an dernier, et de vingt-quatre cette année. La création de dix-sept bases de défense, au prétexte de mutualiser et rationaliser les fonctions d’administration et de soutien, est loin d’avoir fait la démonstration qu’elles permettront des synergies suffisantes pour induire de réelles économies.
À la marge de manœuvre très discutable qu’induisent ces économies s’ajoutent des recettes exceptionnelles tout à fait aléatoires : ces recettes, qui sont une des conditions de la réussite de votre réforme, proviennent de cessions d’actifs immobiliers et ne sont pas à la hauteur de ce que vous aviez prévu.
Quant aux cessions de fréquences hertziennes militaires, comme elles ne pourront être effectuées qu’au second semestre 2010, à l’évidence, leur produit ne peut être attendu avant 2011.
Je dois toutefois reconnaître que le renforcement des crédits opportunément inscrits cette année au titre du plan de relance vous permettra de « tenir » votre budget, mais comment ferez-vous l’année prochaine ?
Enfin, toutes les économies envisagées pour assurer la réforme risquent d’être aussi sérieusement entamées par l’application de décisions non prévues, comme celle de notre pleine réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN.
Cette décision, arrêtée, je le rappelle, par le seul Président de la République sans débat parlementaire, était une réorientation stratégique majeure, profondément révélatrice d’une vision atlantiste de l’ordre mondial. Prise sans qu’aucune contrepartie soit exigée, elle nous prive désormais de toute possibilité d’analyse stratégique autonome.
Elle visait, paraît-il, à rassurer nos partenaires européens, en leur démontrant que nous ne voulions pas concurrencer l’OTAN, et, dans le même temps, à leur faire partager l’idée qu’il est nécessaire de faire progresser l’Europe de la défense. On a pu constater que la défense européenne avait très peu progressé depuis, comme l’a dit M. de Rohan lors de notre débat consacré aux moyens de sortir de l’impasse en Afghanistan.
En tout état de cause, cette décision nous coûtera fort cher en moyens humains et financiers. Entre 2010 et 2015, elle représentera au moins 650 millions d’euros qui n’étaient pas inscrits dans la loi de programmation militaire, le surcoût étant essentiellement lié aux salaires des 1 250 personnels concernés. À cette somme s’ajouteront 30 millions d’euros de cotisations supplémentaires versées à l’OTAN, ainsi, ne l’oublions pas, que notre contribution financière annuelle de 170 millions d’euros.
Totalisées, ces sommes pèseront lourdement sur notre budget, et je m’associe à ce propos à l’interpellation que vient à l’instant de lancer M. de Rohan au Gouvernement au sujet des enjeux liés au nouveau concept de l’OTAN. Comme lui, je souhaite que les parlementaires soient davantage associés aux décisions.
Si l’on considère par ailleurs que la politique désastreuse menée en Afghanistan absorbe 95 % des sommes engagées par l’OTAN au titre de ses opérations extérieures et la moitié du budget total de nos propres OPEX, soit 450 millions d’euros par an, on mesure le caractère exorbitant de la décision du Président de la République.
Je doute à cet égard, comme je l’ai dit à cette même tribune le 16 novembre dernier, que le virage stratégique orchestré avec l’« afghanisation » des combats actuellement en cours d’élaboration soit le bon, mais nous n’en saurons véritablement plus que demain, après les annonces du Président Obama, sauf à se fier aux quelques « fuites » récentes.
Ainsi, comme vient de le dire M de Rohan, Le Monde en ligne de ce soir, citant des sources diplomatiques, affirme que les États-Unis auraient demandé à notre pays d’accroître son contingent militaire en Afghanistan de 1 500 soldats. Que pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apprendre à ce sujet ?
Plutôt que de nous enferrer de manière suiviste dans une politique coûteuse en moyens humains et financiers qui a fait la démonstration de son inadaptation et de son inefficacité, remplaçons une stratégie militaire vouée à l’échec pour résoudre ce conflit par, sous couvert d’un nouveau mandat de l’ONU, une stratégie politique et diplomatique faisant place à toutes les parties prenantes afghanes.
Les moyens ainsi économisés pourraient, par exemple, être plus utilement consacrés à l’équipement de nos forces et à leur maintien en condition opérationnelle.
Mais, au-delà de ces surcoûts occasionnés par des politiques que nous désapprouvons, nous contestons aussi la répartition de certains de vos crédits.
Ainsi en va-t-il des crédits consacrés aux armes nucléaires, qui représentent 10 % de votre budget total et 25 % des crédits consacrés à l’équipement de nos forces, soit 11 millions d’euros par jour !
Notre force de dissuasion nucléaire n’est pas seulement maintenue à un strict niveau de suffisance, pour reprendre les termes du traité de non-prolifération nucléaire, que la France a signé. Je sais que le président de la République aime se prévaloir de la suppression d’un escadron de bombardiers nucléaires ou encore de la fixation d’un plafond de 300 unités pour les têtes nucléaires comme preuve de sa volonté d’œuvrer au désarmement dans ce domaine. Mais, monsieur le ministre, dans le même temps, nous menons une prétendue politique de modernisation, en fait une politique de perfectionnement de nos armes nucléaires qui n’ose pas dire son nom.
C’est ainsi que, si nous avons supprimé un escadron de la force aérienne stratégique, nous avons aussi mis en service opérationnel, au début du mois d’octobre, un nouveau missile équipé d’une nouvelle ogive nucléaire au sein de cette même force.
Cela explique d’ailleurs l’importance des crédits qui sont consacrés aux armements nucléaires et qui, pour l’essentiel, concernent nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et portent sur la fabrication du nouveau missile intercontinental M51.
Pourtant, l’utilisation éventuelle des armes nucléaires ne correspond plus aux réalités des menaces et des conflits d’aujourd’hui : selon la doctrine du Livre blanc, notre stratégie de dissuasion a pour objet « d’empêcher une agression d’origine étatique contre les intérêts vitaux du pays ». À l’heure ou la quasi-totalité des conflits sont des actions militaires conventionnelles ou provenant d’actes terroristes, on voit bien que la logique de la dissuasion nucléaire est de moins en moins adaptée.
Monsieur le ministre, je me sens contrainte de dire – et, si j’en crois les deux anciens Premiers ministres français qui viennent de s’exprimer sur ce sujet dans une tribune de presse, je ne suis pas la seule – que vos orientations budgétaires dans le domaine de la dissuasion nucléaire sont en contradiction avec la politique officielle que la France défend dans les instances internationales. Notre représentant au Conseil de sécurité des Nations unies a ainsi voté, tout récemment encore – le 24 septembre dernier –, la résolution 1887 présentée par les États-Unis en faveur d’un désarmement généralisé.
Je sais, monsieur le ministre, que j’entre là dans un domaine qui est moins directement de votre responsabilité, mais il s’agit cependant d’un élément important de la politique du Gouvernement.
Notre pays devrait donc mettre à profit les nouvelles orientations de la politique étrangère américaine pour contribuer, lui aussi, à rétablir la confiance internationale dans les processus de désarmement.
Les États-Unis et la Russie viennent de s’engager à conclure un accord pour remplacer le traité START de réduction des armements stratégiques reposant sur un véritable système de vérification de ces réductions. À quelques mois de la conférence de révision du traité de non-prolifération nucléaire, c’est un exemple à suivre sur la voie de la lutte contre la prolifération.
Soutenons donc toutes les initiatives de réductions effectives des arsenaux existants, non pas par des votes qui nous engagent peu, mais par des actes concrets de désarmement. Nous devrions ainsi participer plus activement aux efforts faits par d’autres pays en entrant pleinement dans un processus de négociation sur la réduction de notre armement nucléaire.