Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 30 novembre 2009 à 21h45
Loi de finances pour 2010 — Défense

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le travail approfondi de nos commissions permet d’être assez bien informé de la réalité et de l’évolution des budgets de la défense. Nous avons ainsi une « vision déjà historique » de ces questions. C’est utile pour appréhender les mouvements financiers, les évolutions stratégiques et les programmes qui connaissent des cycles de vie très longs. C’est pourquoi je vais d’abord livrer une appréciation générale de ce budget et de la politique de défense avant d’en venir à quelques considérations plus particulières.

Depuis deux ans, vous avez entamé, monsieur le ministre, une réforme ambitieuse, hélas ! trop longtemps ajournée. Votre prédécesseur avait travaillé obstinément sur une lancée historique qui n’était plus d’actualité, refusant nos mises en garde, plombant ainsi durablement les finances du ministère. Cela a sérieusement compliqué votre tâche. Les avatars de votre loi de programmation militaire, votée avec retard, n’ont rien arrangé, et la révision générale des politiques publiques, la RGPP, vous contraint à des décisions douloureuses, dans une urgence qui conduit à l’improvisation.

Je me sens enclin à faire preuve d’une certaine indulgence, qui ne saurait être - je rassure mes collègues - de la complicité, car vous êtes pris entre le passif de l’héritage, les obligations de la RGPP et les préconisations idéologiques du Livre blanc.

La représentation nationale a les moyens de vous aider à consolider la défense nationale et la défense européenne, à condition que la majorité, celle d’aujourd’hui, qui est la même que celle d’hier, ose faire preuve d’audace, c’est-à-dire fasse le contraire de ce qu’elle a fait de 2002 à 2007 : ouvrir les yeux. Le doute m’envahit ; l’expérience, sans doute.

Nous n’avons pas voté votre LPM parce que les orientations qui la sous-tendaient nous paraissaient en décalage avec les besoins réels de la sécurité du pays. Nous avons voté contre car elle n’était que l’émanation du Livre blanc dicté par le Président Sarkozy, encore tout imbibé de la vision du monde de l’ineffable Georges Bush. Celui-ci n’a d’ailleurs guère changé, même si chacun mesure aujourd’hui les erreurs d’appréciation du cow-boy texan face à la réalité du monde et les problèmes qu’il a laissés pendants.

Mais il s’agit de la défense de la France, et nous ne souhaitons pas votre échec, qui serait lourd de conséquences pour la défense de notre pays et pour la sécurité de nos concitoyens. Car, dans un monde aussi incertain, aux menaces diffuses et changeantes, ce serait préjudiciable pour eux et nos voisins européens.

Je vous offre donc une attitude constructive, responsable mais exigeante en matière de résultats. Il convient d’analyser les modalités qui permettront ou non d’atteindre les objectifs de cette réforme.

Premier constat : l’annuité 2010 apparaît en accord avec la programmation. Les montants annoncés sont « dans les clous ». Les rapporteurs l’ont dit : le plafond d’emplois est conforme. Votre projet traduit une volonté d’efforts en faveur de l’équipement. Certes, les crédits de la mission « Défense » affichent une légère diminution de 800 millions d’euros, mais je ne saurais m’y arrêter. C’est un bon point... Mais alors que nous avons beaucoup travaillé en commission, écouté les rapporteurs, un malaise s’est subrepticement installé dans les esprits. Je vais avancer ici quelques explications possibles de cette situation.

Nous devons tout d’abord nous interroger afin de voir si ce budget 2010 nous rapproche des objectifs fixés par et pour la réforme du ministère. La commission des finances du Sénat s’est penchée sur « les aléas à long terme pour la programmation militaire » qu’elle évalue à « environ 10 milliards d’euros d’ici à 2014 ».

La deuxième interrogation porte sur la sincérité de l’équilibre budgétaire proposé par le ministère. Les rapporteurs donnent des réponses : « En 2009, faute de ressources exceptionnelles, l’équilibre financier de la mission « Défense » a donc dépendu de facteurs eux-mêmes exceptionnels : l’autorisation de consommer 400 millions d’euros de crédits reportés, et environ 300 millions d’euros d’économies du fait d’une inflation inférieure aux prévisions ».

Pourquoi s’arrêterait-on en si bon chemin ? En 2010, comme en 2009, vous nous proposez à nouveau de compléter le budget avec des recettes exceptionnelles, à hauteur de 1, 26 milliard d’euros.

Pour finir, la mission « Défense » bénéficiera encore une fois du concours des crédits du plan de relance, à hauteur de 770 millions d’euros.

Tout le monde l’aura compris, sans ces crédits, l’édifice vacillerait et s’écroulerait d’un coup. Car, non seulement ces recettes sont aléatoires, mais elles n’ont aucune perspective de pérennité, d’autant que, si les crédits issus du plan de relance sont aujourd’hui effectivement au rendez-vous, il convient de bien s’imprégner du fait qu’il ne s’agit que d’avances et non d’un surplus budgétaire.

La voilà, monsieur le ministre, la cause du malaise. On saisit qu’en réalité le budget n’est pas tout à fait en équilibre. Saupoudrées d’une fine couche d’improvisation et de recettes aléatoires, les dépenses apparaissent d’un seul coup en pleine lumière comme imparfaitement maîtrisées.

Jetons un œil sur les fumeuses recettes exceptionnelles. Tout a été dit. Les rapporteurs ont fait du bon travail. La gestion des cessions d’actifs immobiliers et de fréquences hertziennes est dans un épais brouillard. Si ces financements exceptionnels venaient à faire défaut ou à ne pas être entièrement réalisés, quelle serait alors votre capacité à leur substituer des crédits ordinaires ? Ce serait ainsi tout l’effort en faveur des équipements - tant vanté dans cet hémicycle - qui serait mis à bas.

Arrêtons-nous sur le cœur de la réforme : les ressources humaines et les territoires. En 2010, les armées vont poursuivre leur effort de restructuration et de réduction des effectifs, de fermetures et de transferts de bases, chamboulant de fond en comble la carte militaire. Les personnels civils et militaires qui vont supporter cet effort gigantesque sont insatisfaits et inquiets. Je sais que vous rechignez à prendre en compte les remarques qui vous sont faites sur ce sujet. Pourtant, sans l’adhésion des personnels, votre réforme prendra l’eau. Sans leur implication réelle, elle patinera et fragilisera l’outil de défense du pays.

Monsieur le ministre, il vous faut faire un véritable effort vers plus de concertation.

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